Dak’art Lab, au service de l’art numérique africain


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Sylviane Diop
Sylviane Diop

La biennale des arts de Dakar inaugure cette année le Dak’art Lab, plate-forme multimédia consacrée à l’art africain contemporain et au développement de projets numériques. Sylviane Diop, en charge de cette structure mûrie depuis trois ans, revient sur les fondements et l’utilité de l’initiative.

De notre envoyé spécial à Dakar

Un laboratoire de l’art contemporain africain pour s’approprier l’outil numérique au bénéfice de la création. Le Dak’art Lab est assurément la grande nouveauté de la sixième biennale des arts de Dakar (7mai-7juin 2004). La plate-forme se veut à la fois un incubateur de projets artistiques numériques et un lieu d’échanges, de réflexion et de collaboration entre scientifiques, techniciens et artistes. Sylviane Diop, à l’origine du projet et membre du conseil scientifique de la biennale, décortique les tenants et les aboutissant de la démarche.

Afrik : Comment est née l’aventure Dak’art lab?

Sylviane Diop : A partir de l’année 2000, nous avons constaté que de plus en plus de nos artistes africains sélectionnés à la biennale commençaient à travailler avec les outils numériques. Pour vous dire, la majorité des dossiers qui nous ont été envoyés pour cette édition 2004 étaient présentés sous forme de cédéroms ou de DVD. Ce qui signifie qu’il y a une réelle appropriation de l’outil numérique par les artistes. Par ailleurs, l’Afrique manque terriblement de contenu africain, d’archives. On a toujours une image de nos arts plastiques relayée par le Nord. Ces outils numériques, comme le Dak’art Lab, peuvent justement nous permettre de créer nos propres contenus qui remontent vers le Nord.

Afrik : Quel est exactement l’objet du Dak’art lab?

Sylviane Diop : A la base, c’est un outil pour la communication extérieure du Dak’art puisque Dak’art Lab gère le site Web de la biennale. Le deuxième aspect est lié à la formation. Il offre la possibilité aux artistes qui fréquentent la biennale de venir suivre des formations sur l’outil Internet. Mais c’est surtout le volet recherche et projets qui nous intéresse.

Afrik : Quel est le principe de fonctionnement du Dak’art lab?

Sylviane Diop : Il s’agit de mettre en vis-à-vis des artistes plasticiens et des technologues. Ces derniers sont un peu enfermés dans leurs programmations et leurs systèmes. Ils font des « instal party » et s’amusent beaucoup mais, finalement, ils n’ont pas vraiment d’objectifs. Le fait qu’ils soient en présence d’artistes, qu’il y ait des échanges, peut créer de vraies synergies. Les artistes ont des projets et une créativité qui ne demandent qu’à s’épanouir à travers un outil qu’ils ne maîtrisent pas. L’idée est de créer un dialogue entre tous ces gens. Et que les uns poussent les autres à aller au-delà de leurs limites.

Afrik : Cette année, il y a beaucoup de vidéos dans la sélection officielle qui sont estampillées art numérique. Que faut-il entendre exactement par art numérique ?

Sylviane Diop : On appelle numérique toute image qui va être digitalisée, c’est à dire lisible à l’aide d’un outil dit numérique. Pour la vidéo, il y a deux types de supports. Il y a évidemment la VHS, mais il y a aussi les caméras numériques. Dès lors, les œuvres ainsi réalisées peuvent prétendre au label d’art numérique.

Afrik : Il ne suffit pas d’encoder un film pour que l’on parle d’art numérique. Quels types de créations sont développées exactement dans ce nouveau courant artistique ?

Sylviane Diop : Le numérique n’est jamais qu’un outil. Les artistes sont porteurs de projets qu’il va développer. Mais qu’ils utilisent le numérique ou qu’ils utilisent le pinceau, cela reste un outil. Simplement le numérique est un outil du 21e siècle. La nouvelle possibilité qu’il offre est qu’un peintre peut faire de la projection. Il peut également avoir du son. Avec le multimédia, les artistes peuvent avoir une conversation avec leur travail beaucoup plus étendue. Nous arrivons à une époque où les jeunes, qui grandissent avec cet outil, vont forcément avoir une créativité relayée aussi par cet outil.

Afrik : Au delà des œuvres vidéo, y a-t-il en Afrique des artistes qui utilisent les pleines capacités du multimédia, qui combinent le son, l’image et le texte ?

Sylviane Diop : Ça commence… Beaucoup plus dans les pays anglophones, notamment en Afrique du Sud.

Afrik : Des artistes numériques du Nord, notamment du Canada, sont présents à cette biennale et sont très en avance sur leurs pairs du continent. N’avez-vous pas peur que le décalage soit trop important pour être constructif ?

Sylviane Diop : C’est justement ce décalage qui nous intéresse au niveau du Dak’art Lab. Les plasticiens du Nord présents à la biennale ont une maîtrise de cet outil pour des raisons que nous connaissons tous. Au vu de la situation de l’art numérique en Afrique, il est vrai que les artistes canadiens pourraient se demander la raison de leur venue et où est la créativité dans les travaux africains. Mais il y a là une confrontation d’idées très constructive et enrichissante pour tous. Car les artistes africains ne sont pas uniquement là pour apprendre des choses. Ils apportent une autre manière d’appréhender les œuvres et le travail.

Afrik : Vous avez des exemples ?

Sylviane Diop : Adams O’Connor est un peintre sénégalais sélectionné en 2002. Il travaillait alors sur un petit ordinateur très basique, avec un outil de dessin rudimentaire. Ce coloriste s’exprimait à travers sa souris pour faire des images absolument fantastiques tout simplement parce qu’il n’avait pas accès à des tubes de peinture, à de la toile. Il avait par contre un frère qui travaillait dans l’informatique et qui avait cette vieille machine qui traînait. Il est allé naturellement vers cet outil qu’il a commencé à maîtriser de manière tout à fait autodidacte. Par la suite, il a monté des expos en montrant des cédéroms.

Afrik : Quand est apparu le phénomène en Afrique ?

Sylviane Diop : A travers l’expérience de la biennale de Dakar, c’est en 1998 qu’on a commencé à sentir un intérêt pour l’outil numérique, avec des expériences dans le Off.

Afrik : Dak’art Lab est-il amené à devenir une structure pérenne ?

Sylviane Diop : C’est un projet sur lequel je travaille depuis trois ans. Il va fonctionner en continu à la suite de cette édition. Deux ou trois projets vont être inscrits pour être développés sur les deux prochaines années. De façon à ce qu’en 2006 nous puissions présenter des actes sur les travaux que nous aurons mené. Une rencontre est prévue en 2005 dans les cadres des activités inter-biennales.

Afrik : Dak’art Lab ambitionne-t-il de devenir la plate-forme de l’art numérique africain ?

Sylviane Diop : C’est surtout ce qu’il veut être ! Et cela se retrouve dans le fait qu’il noue des partenariats avec des structures telles que le New media institute ou Ars Electronica.

Afrik : Aujourd’hui Dak’art Lab est hébergé sur le site Internet du Dak’art. Aura-t-il, à terme, son propre site ?

Sylviane Diop : Probablement dans les deux années à venir, mais il sera de toute façon accolé au site de Dak’art.org.

Pour en savoir plus :

Le site de la fondation Langlois

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