Congo – Brazza : après Sassou, le déluge ?


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Au pouvoir depuis 29 ans, le président congolais Denis Sassou Nguesso n’aurait pas le droit de se représenter en 2016 selon la constitution. Mais y a-t-il véritablement d’autres options ?

52 ans d’indépendance pour le Congo-Brazzaville. Et 29 ans de pouvoir pour le président en place Denis Sassou Nguesso malgré une interruption de cinq ans entre 1992 et 1997. Le président congolais illustre à merveille la longévité souvent contestée des chefs d’Etat africains. Après tant d’années, difficile d’imaginer un Congo sans l’inamovible Sassou.

Si la constitution congolaise du 20 janvier 2002 est respectée, le président congolais devra pourtant passer la main en 2016. Il aura 73 ans et achèvera son second mandat quand la constitution fixe à 70 ans l’âge maximum pour se présenter et précise que le président « est rééligible une fois ». Plus que 3 ans donc pour préparer la succession. Mais comment imaginer « l’après » quand tout un système est bâti autour du même chef depuis si longtemps.

La tentation du fils ?

Ces derniers mois, les scénarios plus ou moins fantaisistes fleurissent à Brazzaville. Parmi eux, la transmission quasi héréditaire du pouvoir au fils du président Denis Christel Sassou Nguesso, fraichement élu député dans le fief présidentiel à Oyo. Depuis 2004, ses différents postes au sein de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) lui ont permis de se familiariser avec la gestion de la principale ressource du pays, le pétrole, qui représente 75% des recettes budgétaires du Congo. Pour les commentateurs, son élection à la députation, dans une circonscription où la victoire lui était acquise (élu au premier tour avec 99,88% des voix), est une manière de le propulser vers les plus hautes responsabilités. Certains médias ont même annoncé, à tort, son arrivée au gouvernement en septembre 2012, à l’occasion d’un remaniement ministériel. Mais cette hypothèse de transmission monarchique du pouvoir est-elle crédible dans le contexte africain actuel, deux ans après les printemps arabes ? Plusieurs précédents indiquent le contraire. Au Sénégal, Karim Wade, le dauphin annoncé, a été marginalisé politiquement par l’élection de Macky Sall, puis entendu à plusieurs reprises par la police sénégalaise pour une affaire d’enrichissement illicite. En République Centrafricaine, le ministre de la Défense Jean-François Bozizé a été limogé et remplacé par son président de père en janvier 2013, quelques semaines après le début de la crise politico-militaire traversée par le pays. Reste l’exemple d’Ali Bongo au Gabon…

Outre le probable rejet de la population congolaise, il faudra également compter sur la résistance des caciques du régime et du Parti congolais du Travail (le parti présidentiel, héritage de la période socialiste congolaise) qui ont trop longtemps attendu leur heure et verraient d’un mauvais œil l’arrivée d’un jeune à l’expérience politique limitée. Mais sauront-ils se mettre d’accord et proposer une alternative le moment venu. Et le président Sassou Nguesso leur en laissera t’il la possibilité ?

L’heure de l’opposant historique

Serait-ce l’heure d’un opposant politique ? Là encore, difficile à dire. Après tant d’années de pouvoir et de cooptation, on peine à distinguer une figure d’opposant crédible ou historique comme a pu l’être Alpha Condé en Guinée. Avec son habileté politique et la force d’attraction de la manne pétrolière, Sassou a su quand il le fallait s’adjoindre les services de ses adversaires d’hier et affaiblir leur parti. L’illustration la plus parlante est la fracture de l’Union Panafricaine pour la Démocratie Sociale (UPADS), le parti de l’ancien président Lissouba, qui fut un temps celui de l’alternance et qui dispose d’une solide assise électorale dans les départements du Niari, de la Bouenza ou de la Lékoumou, au centre du pays. Mais les crises se succèdent et se ressemblent au sein de l’UPADS entre une mouvance proche du pouvoir et une autre qui souhaite clairement s’en distinguer.

Reste Mathias Dzon qui jouit d’une solide expérience et s’affiche volontiers comme l’opposant le plus virulent. Mais sa coalition l’Alliance pour la République et la Démocratie (ARD) est peu représentative électoralement et Mathias Dzon traine un passé de proche de Sassou : il fut son ministre des finances entre 1997 et 2002. Les différends qui l’opposent au président aujourd’hui semblent parfois plus personnels que politiques.

Le pouvoir au militaire

Le successeur du président Sassou viendrait-il alors de l’armée congolaise ? Le Congo a souvent été dirigé par des militaires. On pense aux présidents Marien Ngouabi et Joachim Yhombi-Opango qui passèrent tous les deux par Saint-Cyr. Et bien sûr à Denis Sassou Nguesso qui après l’école militaire de Saint-Maixent a gravi tous les échelons de l’armée congolaise avant de prendre le pouvoir. Contrôler l’appareil sécuritaire congolais est un atout indéniable pour calmer les ardeurs d’éventuels rivaux. La probité et l’autorité d’un officier aux qualités reconnus peuvent aussi inspirer confiance à la population congolaise lassée par sa classe politique. Pour la Lettre du Continent en date du 8 novembre 2012, les récentes nominations de militaires mbochis, l’ethnie du président, aux plus hautes fonctions de l’armée congolaise ne sont pas anodines. Elles consacreraient le principe d’ethnicisation du régime pour mieux le contrôler. Guy Blanchard Okoï, Paul Victor Moigny ou Gilbert Bokemba, respectivement nommés chef d’état-major général des Forces armées congolaises, commandant de la gendarmerie nationale et chef d’état-major de l’armée de terre en octobre 2012, sont tous les trois des mbochis du Nord du Congo, comme le président Sassou.

On le voit, l’échéance présidentielle de 2016 est une grande inconnue. Une situation qui fait le jeu du président Sassou, qui aime se présenter comme le seul garant de la paix et de la stabilité, dans un pays meurtri par la guerre civile de 97. Car il reste un scénario à ne pas exclure. Que le président lui-même, après changement de constitution, reste encore un peu.

Par Herv Keruet

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