Chinguetti, la rose des sables


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Chinguetti
Chinguetti

Chinguetti, vieux ksar alangui de chaleur et cerné par les dunes, offre au visiteur des ruines belles et nostalgiques où il fait bon se perdre. Pour tomber, par hasard, sur l’une des dix bibliothèques anciennes du lieu. Et remonter alors le cours du temps.

Chinguetti, c’est d’abord une vision. A la sortie de la piste et de son paysage lunaire, mélange de rocailles sèches et grises, la vue monotone et un peu triste débouche sur celle, surréelle, de dunes mordorées émaillées de rose et parsemées de palmiers. Au centre de ce sable émouvant, la vieille ville de Chinguetti, étale et alanguie, offre au visiteur ses ruinesécrasées de chaleur. « Parfois, alors qu’il n’espère plus rien du paysage inhumain où il trace lentement sa route, le voyageur aperçoit, posée comme un bijou sur la nudité vertigineuse du Sahara, une de ces roses de sable faites de silice blonde, nées du désert et de la caresse du vent », écrivait déjà l’aventurière Odette du Puigaudeau en 1935 alors qu’elle se trouvait à l’orée de la ville.

Inexorablement victime de l’ensablement, la ville ancienne dans laquelle il fait bon se perdre date de 1264. Elle a fait suite à la première ville bâtie sur cet emplacement en 777 qui s’appelait alors Aber, « le petit puits » en arabe. Celle que l’on a rapidement surnommée La Mecque mauritanienne comptait alors douze mosquées pouvant accueillir chacune 1 000 hommes. Enfin, une troisième ville, qui s’organise autour de l’ancien fort français, est née il y a 43 ans, regardant en face l’antique cité et la tenant à distance, séparée d’elle par 1 km de sable.

7ème ville de l’Islam sunnite

Elément de fierté pour ceux qui l’habitent, Chinguetti est considérée comme la 7ème ville de l’Islam sunnite. Elle a gagné ce titre grâce à son ancienneté, à l’abondance des livres religieux que renferment ses bibliothèques et grâce, d’après le gardien d’une maison, à la faculté de mémoire des habitants de la ville. « Ici, on mémorise tout le Coran dès l’âge de 9 ans !! », affirme-t-il. Chinguetti est surtout connue pour être l’un des premiers berceaux du savoir de l’Islam, ayant abrité une université islamique.

La ville, avant qu’elle ne tombe dans l’oubli, était au carrefour du commerce transsaharien entre le Maroc, l’Algérie, le Sénégal, le Mali et le Soudan. Elle pouvait voir transiter jusqu’à 30 000 chameaux par nuit et offrait une halte propice aux caravanes. Aujourd’hui, il ne reste rien de ce lustre d’antan. Seules les dunes ont conservé leur majesté. Une mosquée est encore debout, entourées de maisons à demi écroulées. Couronnée d’un ciel bleu implacable et indifférent, elle accueille toujours les fidèles et l’appel du muezzin trouble encore les ruelles muettes et sablonneuses alentours.

La bibliothèque de Seif

Chinguetti, murée dans un silence à peine troublé par quelques éclats de voix fantomatiques, se dévoile au détour d’un éboulis de pierres aux reflets rosés, d’une porte solide fermée par un étroit cadenas ou d’une fenêtre entrouverte sur un vide poussiéreux. Et puis, par un bel hasard, on tombe sur la bibliothèque de Seif Islam. L’homme chaleureux vous accueille dans sa maison familiale, celle des Al Ahmed Mahmoud. C’est une des plus anciennes bâtisses du lieu. Elle dispose d’un puit de 2,5 mètres de profondeur et d’1 mètre de diamètre ; sa construction, austère mais parée de niches murales décoratives, est en grès, les linteaux en troncs de palmiers et les portes en acacia.

La famille Al Ahmed Mahmoud fait partie des dix autres lignées qui détiennent des bibliothèques dans la vieille ville. Elles étaient une trentaine dans les années 50 mais l’exode massif dû à la sécheresse les a fait fuir et elles ont souvent emporté leurs livres avec elles. La famille de Seif Islam était une famille d’érudits, de cadis (juges musulmans) plus précisément, d’où les nombreux ouvrages concernant le domaine juridique, le droit musulman et le code pénal qui sont à consulter. Econome dans un lycée, Seif s’occupe avec ses maigres moyens de la sauvegarde du patrimoine familial. Le paradoxe : pour entretenir les livres, il est obligé de les montrer aux touristes de passage quitte à les abîmer chaque jour un peu plus, au contact de la lumière et de la poussière.

La clé de Chinguetti

C’est avec entrain pourtant qu’il nous ouvre la porte de ses richesses à l’aide d’une clé de Chinguetti. Cette clé, d’origine yéménite et que l’on retrouve aussi au Mali, en pays Dogon, et au Maroc, ressemble étrangement à une brosse à dents préhistorique… Mais elle permet d’accéder à la salle des imprimés, qui bénéficie d’un système d’éclairage traditionnel faisant aussi fonction de système d’aération, gardant la température constante au gré des saisons. C’est donc à la source d’un petit puits de lumière que l’on découvre les étagères poussiéreuseset les livresqui les composent.

La deuxième pièce, plus petite et plus sombre, rassemble les manuscrits que seuls les chercheurs et les religieux sont autorisés à consulter. Religion, astrologie, astronomie, médecine, biologie, mathématiques, généalogie… Seif a classé les trésors dans des boîtes d’archives. « On a commencé à scanner les documents car ils sont très fragiles et on aimerait pouvoir en faire profiter tout le monde. Nous espérons à partir de cette base de données mettre un catalogue sur Internet. Cela fait un moment que l’Unesco ou la Fnac (chaîne de distribution française de biens culturels, ndlr) promettent de nous aider financièrement mais nous n’avons toujours rien reçu. Alors on fait avec les moyens du bord. » Dont acte : le guide improvisé sort tout de même quelques exemplaires.

L’heure du crépuscule

On découvre avec émotion un acte de mariage datant du XIIème siècle, petit bout de papier à l’encre noire étonnamment conservée, un Coran du XIIIème siècle délicatement décoré à la poudre d’or ou encore un traité d’astrologie du 18ème siècle. On aperçoit certains ouvrages rongés par les termites. Déchirement. Le temps, suspendu au milieu de tant d’Histoire, est passé malgré tout et Seif vous raccompagne à petits pas.

Le soleil a commencé son repli et les ombres portées des ruines s’allongent. L’air est saturé de l’attente du couchant. Aux bêlements lointains des chèvres et au souffle du vent dans les palmes, se joint alors, pur et presque irréel, le chant d’un petit garçon qui traverse l’espace séparant la nouvelle ville de l’ancienne en sautillant. Solitaire et beau. Comme ce « vieux ksar mystérieux qu’une vague d’or soulève dans le ciel incolore des crépuscules mauritaniens* ».

* Odette du Puigaudeau, Mémoire du Pays Maure, 1934-1960.

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