Calixthe Beyala, la femme qui contait l’Amour


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Calixthe Beyala, dans son dernier livre, L’homme qui m’offrait le ciel, publié aux éditions Albin Michel, a choisi d’explorer la relation amoureuse dans ses contradictions raciales et sociales. L’oeuvre ne passe pas inaperçue d’autant plus qu’elle traîne derrière elle un léger parfum de scandale. Pouvait-il seulement en être autrement avec l’iconoclaste auteur camerounais ? Entretien avec celle qui a fait de l’écriture un répulsif aux préjugés.

Rares sont les personnes qui pourraient prétendre ne pas s’être jetées sur le dernier livre de Calixthe Beyala comme les commères du village se jetteraient sur un Voici fripé. Et pour cause ! La rumeur dit que l’écrivaine camerounaise se serait inspirée de son histoire d’amour avec le célèbre animateur français, Michel Druker, pour donner corps à sa dernière œuvre. Le récit d’une jeune femme noire Andela, presque le portrait craché de Dame Beyala, qui entretient une relation passionnelle avec François Ackerman, une célébrité du paysage audiovisuel français. L’amour fou que les deux protagonistes éprouvent l’un pour l’autre suffira-t-il à anihiler l’égocentrisme et la lâcheté de l’un et à franchir les remparts que s’est érigés l’autre pour résister à l’amour ? Avec L’Homme qui m’offrait le ciel, Calixthe Beyala étonne encore une fois ses fans et provoque l’ire de ses détracteurs. Son récit démontre, pour la énième fois certes, comment les préjugés raciaux et sociaux peuvent mener la vie dure à l’amour, mais dans un style à la franchise brutale qui n’appartient qu’à elle. Tiré de faits réels ou non, le roman qui en ressort captive par sa pudeur, une sincérité et une lucidité qui laissent entrevoir un pan de plus de notre Calixthe, à travers cette passion et cette dignité dans l’amour, qu’elle insuffle à Andela.

Afrik.com : La rumeur veut que cette histoire d’amour soit la vôtre. Dans l’hypothèse où ce serait vrai, comment l’écrivain arrive-t-il à romancer son existence ?

Calixthe Beyala : Les auteurs ont toujours écrit des histoires qui les concernaient. Flaubert avec Madame Bovary. On retrouve un peu de Proust dans chacune de ses œuvres. L’autofiction fait partie de l’histoire de la littérature. Bien évidemment, tout cela passe par le tamis de l’imagination de l’écrivain qui est une éponge qui absorbe tout ce qui l’entoure. On prend ainsi de la distance par rapport à son œuvre. notamment pour des auteurs, comme moi, qui ont beaucoup d’autodérision. La démarche n’a rien d’exceptionnel et l’autofiction est un processus très intéressant. L’écrivain devient alors un peu schizophrène et se met en scène. Le personnage d’Andela tient autant de moi que, par exemple, l’héroïne de La petite fille du réverbère.

Afrik.com : François est très lâche et très égoïste. Andela n’est pas dupe, mais cela n’empêche pas l’amour qu’elle lui porte de s’intensifier. Vous réussissez bien à traduire cette lucidité, cette absence d’amertume qui va de pair avec un grand amour…

Calixthe Beyala : Je décris tout simplement la magnificence de l’amour. Bien qu’elle signale ses défaillances, ce pourboire d’un euro qu’il laisse au restaurant, cet égocentrisme, tous ces préjugés qui habitent François Ackerman qui peuvent être aussi ceux d’une certaine bourgeoisie… elle ne s’y attarde pas. Andela ne s’appesantit pas sur ce qu’elle considère être à la périphérie du personnage. Toutes les relations amoureuses se ressemblent, on retrouve ici les mêmes formes de trahison que dans n’importe quel couple. Il y a des hommes lâches partout. Seulement, parce que c’est un couple mixte, la dimension raciale se rajoute à la complexité de la relation.

Afrik.com : Pour Andela qui ne croyait pas en l’amour avant de rencontrer François, c’est un virage à 180 degrés…

Calixthe Beyala : Andela est une femme de combats, qui aime à endosser l’habit de justicier. Elle se croit investie d’une mission universelle : rétablir la justice. La militante qu’elle a toujours été fait passer l’amour au second plan. Cette histoire d’amour très intense la porte à la croisée des chemins. Elle veut y croire et la réciproque est vraie. Andela, qui a la quarantaine, a envie de protéger ce sexagénaire qui se comporte comme un adolescent.

Afrik.com : Votre expérience de femme et d’écrivain vous permet de comparer les Noirs et les Blancs dans leurs comportements amoureux. On dit de ces derniers qu’ils seraient plus affectueux. Quel est votre avis ?

Calixthe Beyala : Je pense surtout que c’est le mode d’expression de cette affection qui diffère. Effectivement, l’Africain ne va pas passer sa journée à dire « Je t’aime », comme le fait François avec ces sms qu’il envoie à longueur de journée à Andela. Néanmoins, il le démontrera dans ses actes, en s’attachant au bien-être de l’être aimé. Son amour s’exprime de façon plus matérielle, ce qui est peut-être plus pragmatique. L’Européen, quant à lui, va utiliser les mots, le vocabulaire pour exprimer ses sentiments. C’est peut-être cela qui donne l’impression que les Africains sont moins affectueux. Il faut dire aussi qu’ils sont issus d’un continent plus pudique. Est-ce que cela fait une différence ? Je ne sais pas.

Afrik.com : Vous parliez de la dimension raciale qui pèse sur la relation amoureuse entre François et Andela. Vous qui avez bataillé justement pour plus de visibilité pour les minorités dites « non visibles », pensez vous que la France ait évolué dans le sens d’un société plus fidèle à ce qu’elle est dans ses composantes ?

Calixthe Beyala : La situation a beaucoup évolué en France dans ce domaine. Le métissage culturel est un fait en France, surtout entre Noirs et Blancs. Ce sont les groupes qui d’ailleurs se mélangent le plus dans ce pays. Les problèmes sont plutôt liés à un problème de générations. L’homme dont il est question dans le livre n’est pas très jeune. Ses préjugés et ses réactions ne pourraient être celles d’un jeune homme de 25 ans ou d’un homme de 40 ans. François est un homme enfermé dans les années 60, l’époque coloniale. Il est convaincu que sa relation avec Andela va lui porter préjudice et par dessus tout à sa carrière. Ce racisme passif transforme ce qui était de l’amour à ce que j’appelle de l’éros colonial. François procède comme un prédateur : je vais chez l’autre emmagasiner mes meilleurs souvenirs, mes meilleures sensations aussi bien sensuelles qu’émotives…et il les emporte comme un trophée de guerre qui l’aidera à vivre tout le reste de sa vie.

Afrik.com : Outre cette relation amoureuse, il y a une relation mère-fille très piquante qui prend de l’épaisseur avec la clairvoyance de l’adolescente. Elle comprend très vite que la question raciale se pose. En quoi ce rapport particulier enrichit l’intrigue ?

Calixthe Beyala : L’adolescente est la conscience de la mère, son garde-fou. Lou rappelle à l’ordre sa mère, qui voit tout en rose parce qu’absorbée et investie dans cette histoire d’amour. Il y a comme une inversion des rôles, celle qui est censée être protégée devient celle qui protège. En dépit des rapports conflictuels qu’ont les parents et leurs enfants au moment de l’adolescence, la mère et la fille arrivent à entretenir ici une relation très affectueuse.

Afrik.com : Pourquoi ce titre, L’homme qui m’offrait le ciel ?

Calixthe Beyala : Je ne vous le dirai pas.

Afrik.com : Quelle place ce livre, votre premier véritable roman d’amour, a dans votre oeuvre ?

Calixthe Beyala : Ce livre trouve toute sa place dans la continuité de mon oeuvre. Je l’ai écrit parce que ça correspondait à la fois à un parcours personnel et littéraire. Il correspond à une réflexion, à une émotion.

Afrik.com : Quels sont les échos que vous avez de la façon dont est perçu votre livre par les femmes, d’une part, et les hommes, d’autre part ?

Calixthe Beyala : Il y a deux types de réactions. Auprès d’elles, mon livre trouve une forme d’écho, 99% des femmes, noires ou blanches du reste, me disent avoir adoré ce bouquin. Chacune d’entre elles a rencontré, un jour, un François Ackerman. Elles me disent toutes : « j’avais l’impression de lire ma propre histoire ». La réaction des hommes, les Européens en général, est très négative. C’est heureusement des cas isolés. Ils sont plutôt là à se demander : « pourquoi a-t-elle fait ça ? ». Ils estiment que c’est de « la vengeance ». Alors qu’il n’y a de la vengeance nulle part dans cet ouvrage, ce serait plutôt un hommage à l’amour. Tout simplement parce que ce je raconte est vrai. Ils se disent si Calixthe Beyala commence a parler, elles vont l’imiter. Ackermann n’est pas le seul dans son milieu à vivre comme ça. Beaucoup ont des doubles vies. Ils ne veulent pas que ça se sache. Ils sont tellement inquiets que cette face cachée de leur existence soit révélée qu’ils sont prêts à tout pour dissuader toute femme qui entreprendrait cette démarche. Leur réaction aurait eu la même virulence si j’étais une Blanche du 93 engagée dans une relation où le partenaire provient d’un milieu plus aisé et qui se croit installé dans une relation de supériorité intellectuelle et sociale. Les hommes noirs sont moins hypocrites sur ces questions. Chez les Européens, j’ai levé le voile sur un aspect sociétal qui n’avait jamais été traité. Je suis devenue la voix de toutes les sans-voix qui sont dans cette situation. Ils ont tout mis en oeuvre pour arriver à leurs fins : dissuader le plus grand nombre de lire ce livre. Il suffit de parcourir ce qui a été écrit à propos de mon livre dans Le Nouvel Observateur ou dans Le Parisien. Il y a une espèce de corporatisme hypocrite. Ce n’est pas la première fois que l’on agit ainsi à mon encontre. Ce fut le cas pour Les arbres en parlent encore parce que ce livre, que j’ai mis dix ans à écrire, démontrait l’existence d’une philosophie africaine. Une idée inconcevable en France parce que dans ce pays on dénie aux Noirs le droit d’avoir une quelconque profondeur intellectuelle. Alors qu’en Suède, le pays du Nobel, où il a été salué et distingué, ce livre a été un véritable succès.

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