Bénin : recul dangereux de la liberté de la presse


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Jadis montré en exemple en Afrique, le Bénin ne cesse de régresser dans les classements de la liberté de la presse. En cause : la présidence Talon qui pratique la chasse aux sorcières face à tous les journalistes critiques et use de l’outil fiscal pour détruire financièrement les organes de presse dissidents.

Dans son article, Arthur MEDELE, analyse objectivement le déclin de la liberté d’expression au Bénin depuis l’arrivée du Président Talon qui pourtant, lors de sa campagne électorale se montrait tellement ouvert et protecteur de la presse. Une belle déception…

Le 18 avril 2019, Reporters Sans Frontière a rendu public son classement de la liberté de la presse 2019. Un classement dans lequel le Bénin perd 12 places, passant de la 84ème à la 96ème sur 180 pays pris en compte, alors que le pays avait déjà reculé de 6 rangs en 2018. Pourquoi une telle dégringolade?

Un glissement vers l’autoritarisme

La crise de la liberté de la presse au Bénin pourrait sembler paradoxale. En effet, le projet de société du candidat Talon avait fait l’unanimité chez les acteurs de la presse quant aux différents maux diagnostiqués et les solutions proposées pour une presse plus libre. Mais une fois au pouvoir, le désir de contrôler les institutions républicaines, notamment le parlement, a amené le gouvernement Talon à s’inscrire dans un registre d’actions liberticides pour la presse et pour l’expression en général. N’appréciant pas la couverture médiatique de son fiasco (vote de la Constitution), Talon voulait mettre la presse au pas. L’arrestation du journaliste Casimir Kpédjo pour diffusion de fausses informations dans son journal ressemble à un signal envoyé aux autres médias dissidents. Dans cette recherche de consolidation de son pouvoir, le président Talon s’est glissé « doucement » sur la pente de l’autocratie, et la limitation de la liberté d’expression, donc l’exclusion de la contradiction politique et médiatique, est la pierre angulaire de tout régime autoritaire. L’exclusion de l’opposition des élections législatives passées en est d’ailleurs l’illustration typique.

Une réglementation liberticide

Au début des années 2000,  le Bénin était premier au classement de Reporter Sans Frontière. Mais depuis 2017, le pays ne cesse de reculer dans ce même classement à cause, entre autres, d’une législation dissuasive. Le 28 novembre 2016, la Haute Autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication (HAAC), a suspendu sept médias dissidents pour diverses raisons, ce qui constitue une première depuis l’avènement de l’ère démocratique en 1990. Même si la mesure est conservatoire et qu’il existe la possibilité de recours en justice contre la mesure, la réalité est que les médias concernés ne sont pas autorisés à émettre pendant la période de procédures qui peut prendre plusieurs mois. Pour exemple, le quotidien la Nouvelle Tribune et de la télé Sikka Tv qui, malgré les différents recours et les décisions favorables, n’ont pas repris services depuis plusieurs mois.

Selon l’article 46 de la loi Organique de la HAAC, cette dernière doit envoyer une mise en demeure aux médias qui sont en infraction. Dans le cas des sept médias suspendus, la HAAC n’a envoyé la mise en demeure qu’à un seul des médias, ce qui constitue un vice de procédure dans la démarche de sanction. Or, la mesure une fois prise ne peut être révoquée que par décision de la HAAC ou de justice. Cela représente donc une perte de temps et d’argent considérables. Les prérogatives de la HAAC deviennent alors une arme de neutralisation des médias dissidents.

La vulnérabilité financière des médias et des journalistes

Les organes de presse sont avant tout des entreprises. Pour ce faire, ils ont besoin de  ressources financières nécessaires pour couvrir les charges et sont également soumis à un régime fiscal. La fiscalité est désormais instrumentalisée contre les médias dissidents. Ce fut le cas de la Nouvelle Tribune, un média dissident qui s’est vu adresser un redressement fiscal quelques jours après sa suspension par la HAAC. Pour les médias favorables, depuis l’arrivée au pouvoir du régime actuel en 2016, des notes de cadrage sont envoyées pour le traitement des informations après les conseils des Ministres. La fuite de certaines de ces notes avait  créé un tollé en 2017.

Au Bénin, il existe plus de 133 périodiques, 80 quotidiens et quelques 300 chaînes de radios et une dizaine de chaînes de télévision, sans compter les WebTV. Pour cet effectif pléthorique, l’Etat verse une subvention de 350 millions FCFA par an ce qui devient une somme dérisoire rapportée au nombre de prétendants. Cette situation sert aussi d’opportunité pour les politiciens de tous bords qui leur font publier des articles tendancieux moyennant de l’argent ou des facilités administratives. Enfin, plusieurs politiciens investissent dans la création d’organes de presses entièrement à leur solde. Parmi ceux-ci on peut citer Issa Salifou, député de la mouvance détenteur du groupe Canal 3 encore en activité et Sébastien Ajavon principal opposant, détenteur de Sikka Tv et Radio Soleil tous deux fermés par le gouvernement. Ces différents facteurs réduisent considérablement le pluralisme d’expression qui est l’un des aspects importants de la liberté de la presse.

Le manque d’éthique et de déontologie

Depuis quelques mois au Bénin, la multiplication des sites d’informations souvent d’origine anonyme, et qui tendent à se substituer  aux journaux accentue le non-respect de la déontologie. Notons qu’ils sont souvent tendancieux et n’observent pas les règles déontologiques; ce qui a amené la HAAC à envisager la restriction d’accès aux sites d’informations en ligne. S’appuyant sur cela, le pouvoir actuel  trouve le prétexte idéal pour limiter la liberté d’expression en général. Pendant les élections législatives qui se sont déroulées le 28 avril 2019, l’accès aux réseaux sociaux a été d’abord restreint et par suite l’accès à internet a été coupé sur toute l’étendue du territoire pendant 24h. Une situation inédite qui a restreint la couverture médiatique adéquate des élections.

De surcroît, certains acteurs de la presse toujours en activité, ne cachent ni leur proximité avec les membres du pouvoir ni leur participation non professionnelle aux activités des partis politiques. Cette attitude rend questionnable l’impartialité dans le traitement des informations. Une impartialité qui transparaît d’ailleurs dans le traitement de l’information sur les chaînes publiques, où la couverture des activités de l’opposition est devenue rare au profit d’une omniprésence du gouvernement et des partis de la mouvance.

Au Bénin, la liberté de la presse sombre de jour en jour. Retrouver une presse libérée des contraintes financières, législatives et politiques est un impératif pour que le pays  retrouve l’équilibre démocratique fait de pouvoir et  de contre-pouvoir.

Par Arthur MEDELE, activiste béninois

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