Bénin : Comment dompter les « éléphants blancs »?


Lecture 7 min.
arton63475

Ces éléphants blancs ne sont malheureusement pas en voie de disparition ! Dans cet article il s’agit du Bénin mais c’est une réalité qui touche de nombreux pays en Afrique. Ces projets qui ne se réalisent jamais et dont les fonds sont avidement aspirés par les dirigeants.

Dans son article, Ariel GBAGUIDI, fait un inventaire affligeant de plusieurs gros projets qui n’ont jamais été finalisés, enlisés dans la froide corruption d’un petit groupe. L’auteur fait ensuite une série de propositions concrètes allant de mesures en faveur de l’indépendance de la justice jusqu’à l’incitation aux PPP (Partenariat Public privé).

Le 07 mai dernier, de la tribune du Parlement, le ministre du cadre de vie, José Didier Tonato, a présenté le rapport de l’audit technique, juridique et financier du chantier de construction du nouveau siège de l’Assemblée nationale, démarré en 2008. Le document lu devant les députés révèle de graves irrégularités. A ce jour, le chantier est inachevé et irrécupérable. Comment expliquer ces scandales à répétition dans le pays et que faire pour arrêter la saignée ?

Le pays enlisé sous les « éléphants blancs» ?

Le chantier inachevé du siège du parlement béninois vient révéler les graves dysfonctionnements concernant toute la chaîne de la gouvernance des marchés publics au Bénin. D’abord, la procédure de passation des marchés publics n’a pas été respectée, ce qui n’est pas de nature à garantir l’efficacité et la qualité de la commande publique, puisque ce n’est pas l’entreprise la plus compétitive qui remportera l’appel d’offre. Ainsi, dans le cas du chantier du nouveau siège du Parlement béninois, les passations faites en maîtrise d’ouvrage déléguée n’ont jamais été entérinées par la Direction nationale de contrôle des marchés publics comme l’exige la loi.

Quand les défauts de conception, d’exécution et de suivi-évaluation ne débouchent sur aucune sanction, d’évidence il s’agit d’un éléphant blanc. En témoigne le rapport d’audit du chantier qui stipule que les travaux ont démarré sans permis de construire. En 2008, dans un mémorandum sur l’affaire CEN-SAD, l’ancien Ministre des Finances, Soulé Mana Lawani avait révélé que dans ce dossier, le ministre chargé de l’urbanisme et le Chef de l’Etat avaient sélectionné les entreprises avant même l’introduction d’une communication en Conseil des ministres sollicitant le gré à gré. Dans certains cas, les dossiers de gré à gré sont ficelés à l’insu du Conseil des ministres. C’est le cas, souligne-t-il, du marché de réhabilitation du Centre International des Conférences (CIC) et du Palais des Congrès évalué à plus de cinq milliards de FCFA. Conséquence : les travaux ont été mal exécutés et le bâtiment du CIC est inexploitable depuis des années.

L’Exécutif étant de connivence avec le pouvoir judicaire, l’impunité incite à la fraude et aux détournements. En atteste le cas Sacca Lafia. Actuel ministre de l’Intérieur et de la sécurité publique, il est le dirigeant sous lequel le projet de construction des turbines à gaz de 120 Mw à Maria-Gléta (pour environ 50 milliards de FCFA), a été conçu et les travaux ont démarré sous ses auspices. Malheureusement ces turbines n’ont jamais fourni le moindre Mégawatt et jamais le ministre en question n’a été inquiété.

Quelles solutions ?

La clé de voûte de ces scandales est la défaillance de l’Etat qu’il urge de corriger en posant des actes concrets. En effet, combattre la corruption liée aux passations des marchés passe d’abord par la simplification du cadre juridique régulant la commande publique. Moins les règles du jeu sont compliquées, moins le pouvoir de l’administration est discrétionnaire, plus les cas de corruption sont rares. Celle-ci se nourrit de la complexité des lois et des réglementations qui conduisent inéluctablement au système des privilèges et de clientélisme. De même, la prévention de la corruption ne peut être envisagée dans un système où l’Etat est joueur et arbitre. D’où la nécessité d’ouvrir le système de contrôle des marchés publics à des experts neutres pour des contre-expertises dont les résultats seront publiés sur internet. Une évaluation indépendante et objective des marchés publics serait un début pour réhabiliter l’égalité des chances et la reddition des comptes.

Les immixtions du pouvoir politique dans la sphère judiciaire sont flagrantes. Il est clair que certaines décisions de justice renforcent l’impunité. Il faut dès lors consolider l’état de droit en procédant à une réforme avec un point d’honneur sur les questions d’équité et de protection des magistrats. En cela, le juriste Michel Adjaka propose « la modification de la loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour en exclure les membres du gouvernement que sont le Président de la République et le ministre de la justice (qui nomment les présidents des cours et tribunaux après avis consultatif du CSM) ». Après cela, le CSM lui-même sera habilité à élaborer le budget du pouvoir judiciaire et en définir les clefs de répartition entre les cours et tribunaux, à gérer la carrière des magistrats, à définir de nouvelles règles de son fonctionnement qui excluent les parrainages politiques afin de mettre en compétition les magistrats aux postes à pourvoir.

Dans la même veine, il faut consolider les poursuites judiciaires à l’encontre de tous les protagonistes impliqués, particulièrement les élus et les hauts fonctionnaires coupables de corruption ou de népotisme. Ainsi, il devient nécessaire de modifier l’article 69 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et l’article 137 de la Constitution béninoise afin de simplifier les procédures d’interpellation des personnes occupant des postes tels que député ou ministre qui actuellement ne peuvent qu’être interpellés, arrêtés ou jugés suivant un processus complexe. Ainsi, en cas de moindre soupçon, ces responsables doivent systématiquement être déchargés de leur fonction, interpellés puis écoutés comme tout citoyen avant de recouvrer leur attribut au cas ou ils seraient innocentés par la justice.

Enfin, pour une meilleure efficacité et qualité de la commande publique, mieux vaut développer les partenariats public-privé (PPP). L’association des secteurs privé et public réduit l’irresponsabilité qui entoure la gouvernance publique où les cadres n’assument guère les conséquences de leurs erreurs. Avec les PPP, la discipline du marché et le professionnalisme sont exigés à tous les niveaux de la chaîne sans exception, puisque les associés privés sont tenus de rendre compte à leurs actionnaires, d’être sûrs d’un retour sur investissement sous peine de sortir du marché. Ce qui n’est pas le cas dans le public.

Face à la prolifération des éléphants blancs au Bénin, la refonte du cadre juridique et réglementaire régulant les marchés publics, la consolidation de l’état de droit, la réforme du secteur de la justice garante de la liberté des magistrats et la gouvernance publique basée sur les PPP sont impératives. Faute de quoi, il sera toujours plus facile de jouer avec l’argent des autres, comprenez l’argent des contribuables.

Ariel GBAGUIDI, géographe-environnementaliste béninois

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News