Bénin, Célestine Zanou : « Il faut aller coûte que coûte aux élections »


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Célestine Zanou est une des deux candidates aux élections présidentielles béninoises de mars prochain. L’ancienne directrice de cabinet du Président Mathieu Kérékou, elle connaît bien les rouages d’un système qu’elle a côtoyé et piloté pendant quatre ans avant de démissionner en 2001. Elle analyse pour nous le délicat tournant politique du Bénin et nous confie sa vision de la gestion du pays.

Une femme présidente du Bénin ? Célestine Zanou y croit, et elle a plus d’un atout dans son sac. L’ancienne directrice de cabinet du Président Mathieu Kérékou a décidé de briguer la magistrature suprême pour se mettre au service des Béninois. Géographe et agro-économiste de formation, elle est, à 46 ans, une femme respectée quant à son parcours politique. Car si elle a été la plus jeune directrice de cabinet du pays en 1996, c’est en démissionnant qu’elle a mis fin à ses fonctions quatre ans plus tard. Rigoureuse, elle a laissé l’image d’une femme de convictions et de confiance au sein de la classe politique et de la population. Avec 26 candidats en lice, un camp présidentiel qui veut s’accrocher au pouvoir et une commission électorale aux caisses à moitié vide, le scrutin du 5 mars s’annonce délicat. Célestine Zanou analyse l’actuel climat politique dans le pays et nous fait part de ses ambitions pour la nation.

Afrik.com : Que pensez-vous du fait que le camp présidentiel ait tenté de modifier la constitution pour que Kérékou puisse briguer un nouveau mandat, malgré ses 72 ans ?

Célestine Zanou :
Non, je ne crois pas que le camp présidentiel ait eu pareille intention et si ce fut le cas, ce serait une grave erreur car tout le monde sait ce qui peut arriver quand on veut passer outre les dispositions constitutionnelles. C’est vrai qu’aucune constitution n’est parfaite, mais il est des révisions qui nécessitent l’avis du peuple. Et en cela, la personnalisation du débat est à rejeter.

Afrik.com : Quid de l’argument monétaire pour repousser les présidentielles afin qu’elles se tiennent en même temps que les législatives ?

Célestine Zanou :
C’est un argument fallacieux et je pense que les raisons monétaires ne peuvent être évoquées en pareille circonstances. Ne pas aller aux élections c’est remettre en cause le choix démocratique opéré par le peuple béninois après la conférence nationale de 1990. L’élection est le cœur de la démocratie, s’il cesse de battre c’est qu’on a assassiné la démocratie. Entre l’assassinat de la démocratie et celui de l’économie, un choix doit être fait et c’est en cela que de mon point de vue il faut aller coûte que coûte aux élections. Les bailleurs de fonds ont décidé d’apporter le soutien qu’il faut pour organiser le scrutin, donc c’est la preuve que ce n’est pas un argument qui peut passer. Nous devons éviter donc de nous déconnecte ainsi du système démocratique.

Afrik.com : Cette transition démocratique n’est-elle pas à haut risque, comme malheureusement souvent après de longs règnes ?

Célestine Zanou :
Je ne parlerai pas de long règne, il est plutôt question de la jeunesse de notre système démocratique et comme tout système démocratique jeune il est des soubresauts qu’il faut savoir gérer. Et j’ai la ferme conviction que les responsables, aux premiers rangs desquels le Président de la République, sauront gérer la situation, de même d’ailleurs que l’ensemble de la classe politique et de la société civile.

Afrik.com : Y a-t-il une dimension ethnique dans le pouvoir au Bénin ?

Célestine Zanou :
Bien sûr, la dimension ethnique ne partira pas de sitôt. C’est la preuve que le système démocratique a encore du chemin à parcourir. Mais de plus en plus naît une autre dimension, celle de pouvoir convaincre les Béninois de ce que vous avez été, de ce que vous êtes et de ce que vous voulez leur apporter. Et cela aussi va compter dans la prochaine élection.

Afrik.com : Est-il possible, d’un point de vue géopolitique, de gagner des élections sans avoir la caution de la France et de certains dirigeants africains ?

Célestine Zanou :
Le Bénin appartient à une sous-région, une région et au monde. Ce n’est donc pas un pays isolé. De ce point de vue, le soutien de pays étrangers peut s’avérer important mais moins en termes de soutien à une femme ou à un homme, mais plutôt à un projet de société qui intègre la région, la sous-région et le monde. Nous devons être consciente en tant que candidate que nous travaillons pour le peuple et c’est le premier appui que nous recherchons. Je compte sur mon projet de société pour convaincre les gens afin qu’ils m’apportent leur soutien.

Afrik.com : Pensez-vous vraiment qu’un candidat puisse s’affranchir du soutien de la France?

Célestine Zanou :
Je reformule plutôt la question : « la France peut-elle ne pas soutenir une candidate susceptible d’impulser le développement, susceptible de garantir au pays une certaine stabilité, notamment lorsqu’on sait que si ça se passe bien au Bénin il y va de l’intérêt de la France ? Ce serait autant d’immigrations clandestines en moins pour la France et autant de fuite de cerveaux et de main d’œuvre en moins pour le Bénin. Pour nous donc on ne saurait se positionner en candidate de telle ou telle puissance extérieure. Toute candidature doit avoir essentiellement une dimension nationale.

Afrik.com : La France veille tout de même à ses intérêts dans le pays. Elle reste un partenaire incontournable…

Célestine Zanou :
On ne bouscule pas les habitudes qui sont en place depuis 46 ans. Je crois que ce sont des situations qui se gèrent et qui doivent être gérées dans l’intérêt du Bénin.

Afrik.com : Pensez-vous que les Béninois soient prêts à être dirigés par une femme ?

Célestine Zanou :
Ça dépend de quelle femme. Si vous avez fait vos preuves, si vous montrez que vous êtes capables, les Béninois ne vous diront pas non. Aujourd’hui, l’élection d’une femme au Liberia, ce dont j’ai été extrêmement fière, fait tomber un certain nombre de préjugés et je fais confiance à mes compatriotes pour dépasser certaines idées reçues pour croire aux femmes. Car en politique, elles apporteraient une nouvelle sensibilité. Les femmes sont en effet plus sensibles au maintien de la vie et à certaines questions comme la santé, l’éducation… Malgré cela, je ne veux pas être perçue comme une candidate de la seule gent féminine. Pour preuve dans mon équipe il y a autant d’hommes que de femmes.

Afrik.com : La politique est aussi un jeu d’intrigues. N’avez-vous pas peur du système ?

Célestine Zanou :
Je n’ai pas peur des intrigues. C’est un système que j’ai appris à connaître et je pense avoir aujourd’hui l’expérience nécessaire pour y faire face.

Afrik.com : Quels sont, disons, les trois points clés de votre programme ?

Célestine Zanou :
Le premier est la valorisation de la ressource humaine. Il faut mettre les hommes qu’il faut à la place qu’il faut. Et il faut les promouvoir et les soutenir, parce qu’un homme promu et soutenu se sent valorisé. Et quand il se sent valorisé il donne le meilleur de lui-même. Et l’émulation que ça crée en lui se répand dans son environnement de travail et familial et cela n’a pas de prix. Ma seconde priorité est la séparation des fonctions et gains politiques et économiques. Il faut que les hommes politiques sachent qu’ils ne sont pas des hommes d’affaires, et qu’ils laissent les hommes d’affaires mener les leurs. Il faut également que nous travaillions sur la culture d’investissement. Nous devons donner aux Béninois l’envie d’investir pour créer une économie prospère et une richesse que nous pourrons partager. C’est plus de routes, plus de centres de santé, plus d’écoles à apporter aux populations. Cela nécessite de la confiance que nous allons nous employer à instaurer. Nous ne pouvons plus au niveau de l’Etat continuer à être à l’affût des opportunités commerciales qui n’enrichissent que les individus au détriment du pays.

Afrik.com : Trois ministres, toujours en poste, se sont lancés dans la course à la présidence. Considérez-vous que ce soit une situation très saine dans la mesure où il semble difficile de pouvoir concilier leurs obligations professionnelles avec leur campagne respective ?

Célestine Zanou :
Aucun texte en l’état actuel du droit positif béninois n’interdit à un ministre en fonction d’être candidat à une élection. Mais le bon sens voudrait simplement que pour éviter la confusion des genres, le ministre démissionne quand il est candidat à une élection. C’est aussi une question de responsabilité et c’est ce que je prône à travers mon concept du ‘gendarme dans la tête’.

Afrik.com : On a souvent vu le Président insulter ses ministres en les traitant de bandits. Finalement n’est-ce pas toute la classe politique qui est ainsi mouchée ?

Célestine Zanou :
Pas toute la classe politique, et c’est vrai que les propos du Président sont corroborés par ceux de sa conseillère à la moralisation de la vie publique qui affirmait il y a quelques temps que le Gouvernement est corrompu à plus 95%.

Afrik.com : Quel est, selon vous, le protégé du Président Kérékou ?

Célestine Zanou :
Je ne sais pas s’il y a un dauphin, je ne suis pas informée de ça.
Je pense que l’élection est ouverte. Et c’est parce qu’elle est ouverte que nous avons ce nombre important de candidats.

Afrik.com : Vous avez été la directrice de cabinet du Président. Avez-vous parlé avec le chef de l’Etat de votre candidature ?

Célestine Zanou :
J’ai vu le Président en août dernier, alors que je n’avais pas encore pris la décision d’être candidate à la présidence. J’étais venue le féliciter de sa courageuse décision de respecter la constitution. Ce fut l’occasion d’évoquer ma mission en Côte en d’Ivoire. A ce jour il est forcément informé de ma candidature. Le Président de la République connaît mes compétences et mes capacités et il n’est certainement pas surpris.

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