Beauté ethnique ou quand l’ethnicité doit s’appliquer à la beauté


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Photo Ernest Collins
Photo Ernest Collins

Première partie – En France, on restreint la réflexion ethnique au seul marché des produits destinés aux personnes à la peau foncée ayant une ascendance africaine. l’Ethnocosmétique à la française est un mauvais palliatif à la carence de réflexion structurée même si la construction historique de la société explique son avènement. Mais, plutôt que de s’efforcer de la justifier, il est plus constructif sur le plan économique, notamment pour les acteurs de l’industrie cosmétique, d’intégrer à une réflexion plus globale la dimension de plurielle de l’ethnicité.

En France, tout comme ailleurs, l’industrie cosmétique, notamment dans le secteur dit ethnique, fait preuve d’un dynamisme à toute épreuve. Les acteurs économiques de ce secteur d’activité rivalisent d’ingéniosité pour innover. Cependant, on constate que la clientèle dite « ethnique » oscille entre enthousiasme au départ et désenchantement, à moyen voire à court terme, qu’il s’agisse de salons de coiffure, d’instituts de beauté ou d’achats de produits de beauté. La principale cause de ce malaise tient au fait que la grande majorité des propositions qui sont faites à « ces nouveaux clients » sont principalement élaborées à partir de l’idée que les professionnels de la beauté, trop influencés par l’apparent succès des réseaux dits spécialisés, se font des besoins et des aspirations des clientes.

Des professionnels démunis

Le constat est accablant ! Ce sont précisément les professionnels reconnus et les mieux qualifiés qui sont les plus démunis face à cette part de clientèle en croissance exponentielle. Les coiffeurs, esthéticiennes et conseillers de vente des réseaux « spécialisés » manquent trop souvent du niveau de formation que requiert leur fonction, même s’ils semblent posséder une certaine compréhension intime des « besoins » des clients puisqu’ils sont souvent de la même origine ethnique que ceux-ci. Les « généralistes » possèdent quant à eux, une solide formation professionnelle. Mais elle s’appuie encore sur de la connaissance et l’entretien de la peau claire de type caucasien qui est la référence. Aussi, les jeunes professionnels sont déjà « disqualifiés » en fin de scolarité. Car ils ne peuvent pas satisfaire au même niveau de compétence leurs différents clients.

Notre pays à l’instar de tous les anciens grands pays européens colonisateurs, hérite en proportion importante des populations originaires de ses anciennes colonies. Quoique à l’évidence, ces populations participent aux tissus démographique et économique de nos communautés de vie en s’y inscrivant maintenant depuis plusieurs générations, elles ne demeurent pas moins pour la grande majorité des professionnels de la beauté, des visages « difficilement compréhensibles ». Avec les vagues migratoires post-décolonisation et les déplacements des ressortissants de l’Outremer vers la métropole dans les années 60, le nuancier des visages de nos concitoyens s’est largement étendu sur camaïeu de bruns.

Diversité culturelle : l’exception française

Contrairement aux Etats-Unis, il n’y a pas eu en France de réflexion anticipative sur les conséquences de l’arrivée massive de ces populations pour englober et intégrer leurs besoins à une logique progressiste de marché. Aux Etats-Unis, les statistiques prévoyaient cette nette mutation qui influencerait la pratique de la dermatologie, de l’esthétique et de la coiffure. Ces projections ont permis d’anticiper sur le fait, qu’au 21è siècle, la majorité des Américains aurait la peau de plus en plus teintée de brun. Une meilleure connaissance de ces peaux s’imposait, puisque les professionnels de la santé et de la beauté seraient confrontés à des besoins qui s’exprimeraient sans doute autrement. En approfondissant la réflexion, il fallait aussi comprendre les habitudes et pratiques culturelles de ces populations.

En France, des années de défaut chronique d’anticipation retardent l’occurrence d’une véritable rencontre entre les leaders de l’industrie cosmétique et cette large part émergeante de leur clientèle. L’intégration a surtout été pensée en terme d’idéologie. En s’attachant moins aux petits besoins des personnes, on a occulté l’évidence que l’intégration se réalise aussi quand les gestes du quotidien témoignent de la reconnaissance de la légitimité de chacun dans la société partagée. En transposant ce constat au monde de la beauté, on remarque que depuis plus de 40 ans les professionnels qualifiés ne font reposer leur démarche commerciale en direction de cette cible particulière sur aucune réflexion stratégique prospective.

Melting pot tardif

Les sociétés post-esclavagistes américaine et française ont évolué différemment. Aux Etats-Unis les populations d’ascendance africaine et européenne ont cohabité massivement sur le même territoire. Cette proximité a rendu manifeste la disparité des offres en produits de soins corporels entre Noirs et Blancs. Par réaction, au début du siècle dernier, les descendants d’Africains ont pris la responsabilité de combler leurs propres attentes. Des firmes appartenant à des entrepreneurs noirs produisant surtout des agents coiffants et des défrisants ont émergé. Dix ans plus tard, elles ont commencé à exporter leur production vers les pays de langue anglaise. En France, les populations d’ascendance africaine vivaient surtout en Outremer. Sans confrontation de masse avec les Français de la métropole, il n’y a pas eu de réaction structurée à la médiocrité de l’offre spécifique. Les Antillaises et les Africaines subissaient plus la pression des codes sociaux européens que leurs congénères américaines. Les méthodes traditionnelles se sont améliorées sur place. Les « femmes de couleur » se maquillaient moins (rouge à lèvres et poudre). Et elles portaient plus naturellement leurs cheveux nattés, enroulés ou en chignon. Par la suite est arrivé le défrisage à chaud.

Ce sont les vagues migratoires des années 60, qui en intensifiant la proximité ont induit des besoins similaires à ceux qu’avaient déjà tenté de « résoudre » les noirs américains. Mais, les déracinés étaient pour la plupart des fonctionnaires ou ouvriers venus améliorer leurs conditions de vie en métropole. L’idée d’initier une culture d’entreprise comme aux États-Unis ne les a pas effleurés. Les Maghrébins avaient la peau plutôt basanée et des cheveux se rapprochant de ceux des Européens. Il semblait possible qu’ils se satisfassent de l’offre pour Européens bronzés aux cheveux frisés. A l’évidence, cela ne pouvait s’appliquer aux gens de type négroïde. Il fallait alors combler ce vide commercial. Ceci peut expliquer en partie qu’en France la dite « ethnocosmétique » se centre essentiellement sur la seule fabrication et commercialisation de produits pour les personnes à la peau foncée ayant une ascendance africaine. Les anglophones ont depuis longtemps ouvert la notion d’ethnicité à la globalité des peaux non européennes. Cette démonstration d’ouverture s’apparenterait plus à la démarche des professionnels de la décoration, qui les premiers ont qualifié d’ethnique l’offre artisanale et artistique provenant de groupes non européens. La peau foncée n’est pas l’apanage des seuls descendants d’Africains (type négroïde). Les Pakistanais et les Indiens sont des caucasiens à la carnation souvent très soutenue. Certains Cambodgiens, Vietnamiens et autres Philippins aussi. Et ils sont cependant de type mongoloïde.

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