Banissa Méwé, l’âme du théâtre togolais


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Grâce à Banissa Méwé, on ne dit plus « théâtre », lorsqu’on évoque les sketchs télédiffusés tous les mercredis soir, au Togo, mais simplement « sketchs ». Peu connu en France, le comédien, écrivain et metteur en scène togolais est toujours aussi prolifique depuis qu’il a quitté son pays natal. Il revient avec Afrik sur sa carrière, son combat pour développer le théâtre au Togo et sa consécration en Afrique de l’Ouest.

« Nous sommes au début de la création de l’univers. Sur la terre, il n’y a ni haine ni méchanceté. Tous les êtres vivants s’entendent entre eux. Mais le crocodile, à son anniversaire, programme sa grande amie la pintade au menu… » Et là, tout s’enchaîne. Le héros hérisson, la faim, la mort et son médicament entrent en scène, tout droits sortis de l’imagination de Banissa Méwé, qui raconte tous les mardis, au Koçona Café Théâtre, jusqu’au 4 avril prochain, la suite de cette aventure. Le jeune comédien togolais a deux atouts : il a baigné dans le monde du théâtre dès son plus jeune âge, la faute à un père metteur en scène, et il est l’héritier des « Muya » Kabyes du nord du Togo, qui détiennent selon lui l’art de « parler ».

Pas étonnant qu’il ait été à l’origine du renouveau théâtrale dans son pays et en Afrique de l’ouest, au début des années 1990, à la tête de l’Ensemble artistique de Lomé. L’acteur, auteur et metteur en scène revient avec Afrik sur sa consécration, en Afrique de l’Ouest, sur son travail actuel et sur les similis vaudevilles télédiffusés, tous les mercredis soir, dans son pays, qu’il exécrait et auxquels il a opposé son théâtre.

Afrik : Quel est la place du conte dans votre théâtre ?

Banissa Méwé : Je descends d’un groupe, les Kabyes, au nord du Togo, qui maîtrisent l’art de parler de père en fils. Attention, nous ne sommes pas comme les griots, au Mali, qui transmettent l’histoire. Chez nous, même quand les gens meurent, dans les enterrements, il faut que les gens parlent, qu’ils sachent comment cela c’est passé. Tout est prétexte à raconter des histoires. Pour ma part, j’essaye de colorer ma façon de dire les contes, avec les techniques occidentales, c’est une sorte de métissage du conte. Sinon, la bulle serait trop locale. Que je le veuille ou non, je suis un mix culturel. Je ne dirai jamais un conte comme un vrai paysan kabye. Lui n’a pas le stress du public, et celui-ci ne paye pas pour le regarder. Il boit sa bière de mil et dit son histoire ; des conditions sans doute idéales. A la limite, à la fin, il ne veut même pas savoir ce que les gens ont pensé de sa prestation, alors que moi, oui, quitte à entendre des compliments un peu hypocrites.

Afrik : Vous êtes également auteur et metteur en scène…

Banissa Méwé : Je joue actuellement dans deux pièces : Don Quichotte et Comme une course dans un rêve. Cette dernière est tirée de la pièce Dépotoir, que j’ai écrite, en 1996, sans canaliser mon énergie, d’une façon que je n’atteindrais plus aujourd’hui. Je l’ai montée en six mois. Il y a potentiellement cinq pièces de théâtre dans cette œuvre, et j’en ai pris une pour écrire Comme une course dans un rêve. J’essaye de revoir la pièce avec mon regard occidental. Cette année, je dois également mettre en scène « Partira, partira pas », au Cameroun.

Afrik : Dépotoir est une histoire politique et sociale sur le Togo moderne. Avez-vous rencontré des difficultés pour la monter ?

Banissa Méwé : Non, car à un moment, j’étais comme intouchable. En revanche, j’ai effectivement rencontré des problèmes pour mettre en scène Le grand refus, en 1991-92. La pièce raconte l’histoire d’un village dont le chef vient de mourir, et auquel la ville propose un remplaçant. Une sorte d’homme de main dont les villageois ne veulent pas ; c’est comme ça que ça se passe, jusqu’à aujourd’hui. J’ai également écris L’aube de la vérité, en 1989, l’histoire de gens qui se soulèvent, quelque part, car ils meurent trop, n’ont pas à manger, pas d’éducation, pas d’eau… Deux mois après, les gens se sont soulevés au Togo pour dire non à la dictature.

Afrik : Etait-ce une pièce prémonitoire ?

Banissa Méwé : Non, pas du tout. En revanche, on peut dire que Va et vient dans Dékon, un quartier de Lomé, l’était. J’y évoque un bar qui attire les trafics en tout genre, prostitution, drogue… et qui est fermé par les autorités. Ce bar, Le Robinet, existait. Je n’avais pas encore monté la pièce qu’il était effectivement fermé. Quand nous l’avons joué, je devais à chaque fois expliquer que je l’avais écrite avant cet événement.

Afrik : Peut-on vivre du théâtre au Togo ?

Banissa Méwé : Non. J’ai pu le faire un moment car je l’ai enseigné, mais c’est impossible.

Afrik : Vous vous êtes illustré au début des années 1990 comme le chef de file d’une sorte de « nouvelle vague » du théâtre au Togo…

Banissa Méwé : J’ai été l’un des premiers à dire que le théâtre est un spectacle vivant. Nous avons longtemps été abreuvés de pièces de théâtre tournées dans différents lieux et diffusées à la télé. Ce n’était ni du cinéma, ni du théâtre. Tous les mercredis, on passait ça, et les gens aimaient car c’était des genres de Louis de Funès, des sketchs qui ne disent pas leur nom. Pour ma part, j’avais une autre culture du théâtre. J’ai eu la chance de participer à un stage du metteur en scène français Jean Meverse et mon père était lui-même metteur en scène. A neuf ans, j’ai joué du Molière, et je savais que ces spectacles du mercredi étaient à côté. J’étais pourtant parti pour détester le théâtre : le mercredi soir, je devais aider à la mise en place d’une scène dans la maison, car il n’y avait pas de vrai lieu de théâtre à Lomé. Or, le mercredi était également le jour du football ! Finalement, j’ai vu des camarades au collège pratiquer ce qu’ils considéraient comme du théâtre et je leur ai expliqué en quoi ils étaient à côté, sans technique. On m’a laissé la direction de la troupe.

Afrik : Vous avez ensuite fondé l’Ensemble artistique de Lomé (Enal)…

Banissa Méwé : Quand nous l’avons fait, les gens nous disaient : « mais vous êtes quoi, si vous faisiez du théâtre, on vous verrait à la télé ?! » Nous avons été invités par le réalisateur de TV Koffi Hans, qui ne croyait pas que du « vrai théâtre » pourrait marcher au Togo. Nous avons refusé. Et pour prouver que cela marcherait, nous ne sommes pas allés loin. Pour les acteurs, nous avons pris des amis du quartier, tout le monde a mis sa main à la pâte, nous cotisions 200 FCFA par mois, les parents aidaient aussi, pour la couture, les photocopies, ils mettaient une voiture à notre disposition… Nous avons loué la scène du Centre communautaire de Lomé (salle de cérémonies) et plus 200 sièges. Le propriétaire de la salle était convaincu que nous ne ferions pas le plein. Nous l’avons fait. Ensuite, ça a été le CCF (centre culturel français), dont le directeur pensait également que ça ne fonctionnerait pas… à tord. Quand nous jouions, un jour de publicité, à la radio, dans la rue, suffisait à remplir la salle. A la fin, c’était le CCF, la consécration, au Togo, qui nous appelait.

Afrik : Ce fut ensuite la reconnaissance de vos pairs en Afrique de l’Ouest…

Banissa Méwé : En 1993, j’ai écris La traversée du désert, une pièce qui a été primée partout. Le ministère de la Culture a annoncé qu’un festival allait avoir lieu pour déterminer qui allait représenter le Togo au FITD (Festival international de théâtre pour le développement, ndlr), à Ouaga (Burkina Faso), et au Festival de la Francophonie, en août, à Bouaké (Côte d’Ivoire. Nous avons remporté le premier prix, mais le ministère de la Culture a essayé de nous griller en envoyant à la francophonie la troupe d’un responsable de ce département qui n’avait même pas participé au concours. Ils ont prétexté la chèreté de notre troupe – elle comptait huit acteurs contre cinq à la leur – alors que le festival prenait en charge près de huit personnes par troupe. Le ministère a finalement organisé une nouvelle sélection pour cinq acteurs, j’ai réécrit la pièce et nous nous sommes imposés. La troupe du responsable de la Culture s’est même désistée, alors que le ministre a demandé à ce qu’elle gagne coûte que coûte, ce qu’elle ignorait. Nous sommes allés à Bouaké et nous avons remporté le Grand prix de la meilleure mise en scène.

Afrik : Avez-vous reçu les félicitations du ministère de la Culture ?

Banissa Méwé : Nous avons reçu une invitation mais nous n’y sommes pas allés. Par la suite, nous avons explosé, tout le monde nous connaissait en Afrique de l’Ouest.

Afrik : Pourquoi être parti ?

Banissa Méwé : Je me demande si je suis vraiment parti, je retourne beaucoup en Afrique de l’Ouest. La dernière fois, c’était en 2003, dans le cadre des Récréatales, à Ouaga. Un festival qui réuni comédiens, metteurs en scène et auteurs et les fait travailler trois mois ensemble, à l’issue desquels ils présentent leurs créations. Je dois être cette année au Cameroun et j’espère aller au Togo.

Afrik : L’engouement pour le « vrai » théâtre s’est-il poursuivit au Togo ?

Banissa Méwé : Il y a eu un foisonnement de théâtre dans les quartiers, dans les écoles… J’ai moi-même créé un festival, en 1999-2000, Dz’Alele, le Festival international de l’ouverture, qui consistait à aller jouer vers les gens qui considèrent le théâtre comme la chose d’une élite. Nous pouvions débarquer à un carrefour, dans un marché ou sur une place publique. Mais le festival a été récupéré politiquement et nous avons arrêté.

Afrik : Le théâtre du mercredi existe-t-il encore ?

Banissa Méwé : Oui, mais ils appellent cela des sketchs. Ils ne peuvent plus appeler cela du théâtre.

Afrik : Quel est le pays le plus important en matière de théâtre, en Afrique de l’Ouest ?

Banissa Méwé : Le Burkina Faso, sans hésiter. On y trouve l’Atelier du théâtre burkinabé, un grand centre, mieux équipé que le CCF, avec une scène intérieure et extérieure, ou encore le théâtre de la Fraternité. Le Fespaco a beaucoup apporté au Burkina, les gens ont compris que l’on pouvait vivre de l’art.

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