André Mba Obame : « Il n’y a rien à attendre d’Ali Bongo »


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Un Gabon, deux présidents. André Mba Obame Mba, qui s’est proclamé président de la République mardi et a nommé son propre gouvernement, continue de défier Ali Bongo Ondimba. Retranché au siège du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) à Libreville, il déclare vouloir, au nom du peuple gabonais, chasser le chef d’Etat reconnu après l’élection présidentielle 2009 par le Conseil constitutionnel. Samedi après-midi, son service de presse rapportait que des affrontements avaient eu lieu entre des étudiants de l’Université Omar Bongo, des lycéens et la police, à Rio, un quartier populaire de Libreville.

Officiellement classé 3ème à la présidentielle anticipée du 30 août 2009 remportée par Ali Bongo Ondimba, André Mba Obame n’a cessé de revendiquer la victoire à ce scrutin à tour unique. L’ancien ministre de l’Intérieur estime avoir gagné l’élection avec 42% des suffrages, contre 37% au fils d’Omar Bongo Ondimba. Ce dernier a dénoncé l’instauration d’un gouvernement parallèle mardi, à Libreville. Mercredi, son ministre de l’Intérieur, Jean-François Ndongou, a annoncé la dissolution du principal parti d’opposition gabonais, l’Union nationale, dont André Mba Obame était le secrétaire général. Jeudi, les partisans de l’opposant et de son gouvernement, rassemblés devant les locaux du PNUD ont été dispersés par la police. André Mba Obame a craint, vendredi soir, d’être délogé par l’armée. Mais il déclare rester déterminé à renverser le pouvoir d’Ali Bongo. Entretien.

Afrik.com: Après avoir prêté serment et nommé un gouvernement, mardi, quelle sera votre prochaine action ?

André Mba Obame: L’action, c’est de faire partir le pouvoir illégitime conformément à la volonté des Gabonais qui n’ont pas dans leur majorité voté pour Ali Bongo.

Afrik.com: Vous dites vouloir évincer Ali Bongo, mais il a l’armée et l’appareil d’Etat avec lui…

André Mba Obame: Ali Bongo ne serait pas le premier pouvoir illégitime, ayant l’armée avec lui, qui serait contraint de quitter le pouvoir… La situation est plus complexe que ça. Ali Bongo n’a pas la majorité des Gabonais avec lui. Alors qu’il a dépensé 43 milliards pour la campagne présidentielle, il n’a pas été élu. Il a fait un coup de force électoral en s’appuyant sur les bérets rouges, le ministère de l’Intérieur qui a proclamé de faux résultats, et le Conseil constitutionnel qui les a validés. Face à tout ça, la population voulait sa victoire par tous les moyens. Et j’ai dit non, j’ai refusé d’appeler les Gabonais à faire usage de la force. La seule violence liée aux résultats des élections est venue du pouvoir illégitime, à Port-Gentil où il y a eu une répression inimaginable pour le Gabon. Une soixantaine de morts. Les partis d’opposition et moi-même avons alors appelé au calme. Mais un peuple, quand on veut le calmer et qu’autour de lui d’autres peuples – les Tunisiens, les Egyptiens – se soulèvent, il ne faut pas s’étonner que 15 mois après, il revienne à la charge. Comme en Tunisie, comme en Egypte, les Gabonais se battent pour que leurs droits fondamentaux soient respectés. Le droit à la liberté, le droit à l’éducation, le droit à la santé… sont piétinés par le pouvoir illégitime. Je fais confiance au peuple gabonais qui a soif de liberté et de justice et est déterminé à prendre ce qui lui appartient.

Afrik.com: Pourquoi avez-vous décidé de mener votre action plus d’un an après la présidentielle ?

André Mba Obame: Il n’y a pas prescription en ce qui concerne les droits fondamentaux d’un peuple. Il faut plutôt louer la sagesse des dirigeants dont je suis, qui ont décidé qu’il fallait user de moyens pacifiques pour obtenir gain de cause. Mais 15 mois après l’arrivée d’Ali Bongo au pouvoir, tout le monde a constaté que la situation était pire qu’avant. Il n’y a plus que de l’autoritarisme, de l’arrogance, des dépenses somptuaires… En un an, Ali Bongo a effectué plus de 80 voyages, à raison de cinq millions d’euros le voyage, soit 400 millions d’euros ! Il a acheté un hôtel particulier à Paris à 100 millions d’euros. Même les Emirats avaient refusé de l’acquérir parce qu’ils le trouvaient trop cher… Donc, c’est le peuple lui-même qui à un moment a dit : non, il n’y a rien à attendre d’Ali Bongo. C’est la régression à tous les plans, même politique. Il a une conception monarchique du pouvoir où la liberté de la presse, les droits fondamentaux sont bafoués. Maintenant il peut proroger les mandats des députés et son propre mandat. Les choses se sont dégradées depuis son arrivée. Et le peuple m’en a même voulu, me demandant pourquoi je l’avais laissé exercé ce mandat. Dès les élections, il m’avait demandé de garantir que je ne laisserais pas voler sa victoire. Certains ont cru, après le coup d’Etat, quand j’ai appelé à ne pas faire usage de la violence, que j’avais reculé. Ce n’était pas le cas… Maintenant, après avoir vu l’homme au pouvoir pendant 15 mois, ils ne peuvent continuer de laisser s’exercer une gouvernance aussi sectaire, aussi monarchique, un amateurisme aussi flagrant.

Afrik.com: Ali Bongo vous a qualifié jeudi de « professionnel du ridicule ». Manifestement, votre action l’a énervé, mais pas déstabilisé…

André Mba Obame: Mon but n’est pas de l’énerver ni de le déstabiliser. Mon but est de faire respecter le choix fait par les Gabonais le 30 août. Ali, c’est mon frère, je ne veux pas l’énerver, je veux qu’il respecte le choix des citoyens gabonais et la constitution. Je pensais qu’il avait changé et qu’il avait une plus grande considération pour les droits de l’homme qu’autrefois. En 1984, quand je l’ai rencontré, ce n’était pas le cas. Et je constate aujourd’hui qu’il a même reculé. Il considère que ces droits et leurs défenseurs sont ridicules. Moi, je lui dis que se battre pour la liberté et la démocratie, c’est ce qu’il y a de plus valorisant. Je le renvoie à l’article 35 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793. Elle enjoint le citoyen d’aller jusqu’à la rébellion lorsqu’il considère qu’un gouvernement viole ses droits. Sa conception à lui, c’est que les citoyens n’ont aucun droit. Il a une conception monarchique du pouvoir. Les Gabonais ne sont pas ses sujets, mais des citoyens qui ont des droits. Le respect de la constitution est valable pour tous. Ali Bongo est astreint au respect de cette loi aussi.

Afrik.com: La France, les Etats-Unis, l’Union africaine, ont donné leur soutien à Ali Bongo. Qu’est-ce qui, selon vous, pourrait les faire changer d’avis ?

André Mba Obame: La France a été la première à reconnaître Ali Bongo, avant même que le processus électoral n’arrive à son terme. Et c’est un euphémisme, elle a fait plus que ça… L’UA a demandé, dans le cadre de la diplomatie préventive, l’envoi d’une mission d’observation, car elle était soucieuse du fait qu’un coup d’Etat électoral était porteur d’instabilité au Gabon et dans la région. Mais le pouvoir illégitime d’Ali Bongo a refusé l’envoi de cette mission. Pour ce qui est des Etats-Unis, vous me l’apprenez…

Afrik.com: Ce vendredi, l’ambassade américaine à Libreville a publié un communiqué de presse qui stipule que les Etats-Unis « reconnaissent Ali Bongo Ondimba comme étant le président du Gabon ».

André Mba Obame: Avant le 28 janvier 2011, les Américains n’avaient pas fait de déclarations officielles reconnaissant Ali Bongo… Wikileaks a rendu public un message de l’ambassade des Etats-Unis à Paris recommandant à Hillary Clinton de ne pas reconnaître les résultats de la présidentielle car ils avaient été inversés. Mais quand les Etats-Unis ont eu à présider le Conseil de sécurité, ils se sont trouvés dans l’embarras face au dossier nucléaire iranien. Et c’est la mort dans l’âme qu’ils ont dû accepter Ali Bongo, en échange de sa promesse de ne pas vendre d’uranium à l’Iran. Des calculs géostratégiques ont été placés au dessus de la volonté du peuple gabonais. Mais vous savez, hier les Etats-Unis reconnaissaient Ben Ali, aujourd’hui ils parlent de bloquer ses comptes, de l’interdire de séjour ! Les Gabonais n’ont pas à attendre l’autorisation des Américains pour agir, même s’il est vrai que leur soutien aurait été le bienvenu. Les grandes puissances appliquent la politique du deux poids, deux mesures. Quand c’est dans leur intérêt elles soutiennent les populations africaines, quand ça ne l’est pas, elles ne les soutiennent pas.

Afrik.com: Le ministre de l’Intérieur, Jean-François Ndongou, a déclaré que, pour vous être proclamé président du Gabon et avoir nommé votre propre gouvernement, vous étiez coupable d’un « crime de haute trahison puni par la loi ». Ne craignez-vous pas de finir en prison ?

André Mba Obame: L’histoire vous dira, dans les prochains mois ou années, qui finira en prison. M. Ndongou, qui a proclamé de faux résultats, peut être poursuivi pour haute trahison. Il a trahi son peuple. Que M. Ndongou et ses amis qui ont trahi les Gabonais, en ne respectant pas leur volonté, s’attendent à subir leur colère. Que M. Ndongou et ceux qui exerçaient le pouvoir, lorsqu’il y a eu les émeutes à Port-Gentil, s’apprêtent à payer pour leurs crimes. Qu’ils s’attendent à se retrouver un jour ou l’autre devant un tribunal. Aujourd’hui on parle de traduire Ben Ali devant la justice pour ces crimes. Il y a un mois, qui aurait cru cela possible ?

Afrik.com: Les scénarios tunisiens et ivoiriens ont-ils influencé votre action ?

André Mba Obame: Il aurait été difficile de ne pas en tenir compte. L’objectif est le même : la liberté. Liberté politique, sociale, religieuse… Ces actes m’inspirent, comme ils inspirent tous les peuples du monde.

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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