
En Afrique du Sud, le meurtre du célèbre DJ Sumbody, criblé de balles en novembre 2022 à Johannesburg a fini par lever le voile sur un système gangréné, où la criminalité organisée, la corruption politique et la violence ciblée s’entremêlent dangereusement. Un an et demi plus tard, l’assassinat d’un ingénieur lanceur d’alerte, Armand Swart, dans des circonstances similaires, relie soudainement les deux affaires. Et ce n’est que le début d’un vaste scandale qui secoue les hautes sphères de l’État sud-africain.
L’arrestation récente de plusieurs suspects, dont un policier en poste au moment des meurtres, a révélé que les armes utilisées pour tuer le DJ et l’ingénieur sont les mêmes. Ce détail a relancé une enquête jusque-là au point mort, éclaboussant des figures influentes du monde politique et économique. Au centre du réseau : Katiso Molefe, un homme d’affaires proche de Kenny Kunene, conseiller municipal et visage d’une élite politique bling-bling. Le jour de son arrestation, Molefe se trouvait en compagnie de ce dernier, pourtant suspendu de ses fonctions sans être inquiété par la justice.
Les « tenderpreneurs », nouveaux visages de la corruption
Derrière ces crimes, c’est tout un système de détournements de fonds publics qui apparaît au grand jour. En ligne de mire, Vusimuzi « Cat » Matlala, un « tenderpreneur », terme local désignant ces hommes d’affaires ayant bâti leur fortune sur des marchés publics frauduleux. Matlala est lié à une tentative d’assassinat sur une influenceuse, ancienne star de série télévisée, et à un appel d’offres de 360 millions de rands attribué, puis annulé, par la police nationale. Une somme astronomique, attribuée malgré son implication présumée dans d’autres scandales, comme celui de l’hôpital de Tembisa, où plus de 2,2 milliards de rands ont été détournés.
Les meurtres d’artistes et de citoyens ordinaires ne sont que la face visible d’un iceberg bien plus vaste. La lanceuse d’alerte Babita Deokaran, qui avait dénoncé les irrégularités dans le système de santé, a été tuée en 2021 de neuf balles. Les assassinats ciblés de lanceurs d’alerte ont augmenté de 108 % en dix ans, selon l’Observatoire sud-africain du crime organisé. Pour beaucoup, parler équivaut à signer son arrêt de mort. « Il est plus facile de faire taire quelqu’un avec une balle que de faire face à une enquête », résume froidement Chad Thomas, enquêteur privé représentant la famille du DJ.
Un État miné par l’impunité
Le taux d’élucidation des meurtres ne dépasse pas les 11 %, et certains procureurs refuseraient même de signer les mandats d’arrêt, d’après les accusations du commissaire provincial du KwaZulu-Natal, Nhlanhla Mkhwanazi. Ce dernier, figure montante de la lutte contre la corruption, affirme que plusieurs affaires impliquant des artistes et hommes d’affaires attendent encore que des procureurs « compétents » reprennent le flambeau. Les armes ayant tué DJ Sumbody seraient liées à au moins dix autres affaires non élucidées.
Alors que les autorités peinent à agir, la société sud-africaine, elle, s’enfonce dans la méfiance et l’insécurité. Près de 6 800 meurtres ont été recensés sur les seuls trois premiers mois de 2025. Les connexions troubles entre crime organisé, figures politiques et police alimentent un climat de défiance généralisée, où justice et vérité semblent de plus en plus inaccessibles.