Abdelssalam Yassine, la révolution ou rien


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Les funérailles du leader spirituel du mouvement Al Adl Wal Ihsane Abdelssalam Yassine se déroulent ce vendredi à Rabat. Décédé à l’âge de 84 ans, celui que l’on surnommait Cheikh Yassine laisse derrière lui 40 ans de lutte politique et religieuse au Maroc.

Vendredi 14 décembre, la mosquée Assouna de Rabat, au Maroc, affichait complet. Les fidèles célèbrent les funérailles du leader emblématique du mouvement Al Adl Wal Ihsane (Justice et Bienfaisance), Abdelssalam Yassine dit Cheikh Yassine. Décédé jeudi à l’âge de 84 ans, le célèbre personnage, déjà très affaibli, n’a pas survécu à une grippe, selon Hassan Benajeh, membre du secrétariat général de l’organisation Justice et Bienfaisance. Plusieurs politiques et membres de la société civile lui ont rendu un dernier hommage.

Chronique d’une lutte anticonstitutionnelle

En 1965, feu cheikh Yassine suit les enseignements de la confrérie soufie de la Zaouia Boutchichia dirigée alors par cheikh El ‘Abbas. Il occupera deux années plus tard un poste de haut fonctionnaire à l’Administration Centrale du ministère de l’Education Nationale à Rabat avant de revenir auprès de cheikh El ‘Abbas. Le changement de courant de la confrérie encourage Cheikh Yassine à s’en aller. C’est en 1973 qu’il se fait réellement connaître en adressant une lettre au défunt roi Hassan II avec pour sujet « Al Islam aw Attoufane », c’est-à-dire l’Islam ou le déluge. Il invite Hassan II à revenir aux préceptes fondamentaux de la religion islamique. Le ton est audacieux, les mots considérés comme « déplacés ». Un stoïcisme qui l’entraîna droit en prison avant d’être relaxé en 1979. Cheikh Yassine ne flanche pas et continue de privilégier le verbe à l’arme.

Dans le début des années 80, il fonde une « Jamaa Islamia » (mouvement islamiste). Et malgré les diverses noms donnés au mouvement (Ousrat Al Jamaa, Association de la Jamaa, Al Jamaa Al Khairira…), l’organisation politico-religieuse du cheikh ne sera jamais reconnue par les autorités. C’est en septembre 1987 qu’Al Adl Wal Ihsane voit le jour. Malgré le sentiment d’impopularité nourri par le palais et son entourage, Cheikh Yassine tisse une certaine influence. Son ralliement à l’imam et enseignant Mohamed Bachiri, investit dans les quartiers populaires de Casablanca, lui valu le soutien de la jeunesse, des chômeurs des ouvriers mais aussi des étudiants. D’ailleurs, Al Adl Wal Ihsane était aux côtés du Mouvement du 20 février lors de la genèse de ce que l’on a fini par appeler le « Printemps arabe ». Le mouvement mène de nombreuses actions sociales dans les quartiers difficiles.

De la pugnacité à la rêverie

Abdelssalam Yassine est déterminé à se faire entendre. En 1983, il publie un journal dans lequel il exerce son pouvoir d’influence. Mais après deux parutions, il est de nouveau arrêté et condamné à deux ans de prison pour « atteinte à la sureté de l’Etat ». En d’autres termes, il est arrêté pour chroniques critiques à l’encontre du souverain Hassan II. Le mouvement reprend finalement forme en 1987. Mais Hassan II ne lâche pas prise et décide de l’assigner en résidence surveillée dans sa maison de Salé. Le makhzen, l’entourage du roi, propose un pacte à Abdelssalem Yassine : une reconnaissance mutuelle à condition de ne pas remettre en question la monarchie. La décision est sans appel. C’est un refus catégorique.

Avec l’avènement de Mohammed VI, le cheikh retrouve sa liberté mais réitère son action de 1973. Il adresse au nouveau roi une lettre intitulée « Mémorandum à qui de droit ». Il ne reconnaît toujours pas au monarque le titre de « Commandeur des croyants ». Au palais, l’écho est resté lettre morte. Cheikh Yassine reprend les rênes de son parti et poursuit son militantisme politique, religieux et social. Il enchaîne les meetings et les jamaâ (assemblées, ndlr) dans lesquelles il parle de ses rêves et les interprète. Du délire pour certains fidèles.

Désormais, Al Adl Wal Ihsane cherche son nouveau chef. Le nom de sa fille Nadia est murmuré. Très active, elle jouit d’une grande influence au sein du mouvement. La tâche risque d’être difficile, car après 40 ans de lutte, le très charismatique Abdelssalem Yassine aura marqué la monarchie et les Marocains. Qui sera le prochain à titiller le trône ?

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