Abattre la potence


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Le nouveau ministre de la Justice kenyan, Kiraitu Murungi, s’est donné six mois pour rayer la peine capitale de la législation nationale. Mais la loi du talion reste profondément ancrée dans les consciences.

Le dernier bourreau qu’ait connu le Kenya s’appelait Wanjuki Kirugumi. Il est parti à la retraite il y a 20 ans et depuis, personne ne l’a remplacé. Ce pays d’Afrique de l’Est n’a pas connu d’exécution depuis 1984 mais la peine de mort est toujours inscrite dans sa Constitution. Un homme devrait faire changer les choses dans les mois à venir : Kiraitu Murungi, nommé ministre de la Justice du nouveau gouvernement mis en place en décembre 2002. A peine installé, il déclare vouloir abolir la peine de mort « dans les six mois ». « Nous pensons que le droit fondamental de tout homme à la vie doit être respecté. Aucun être humain ne devrait avoir l’autorité de prendre la vie d’un autre. La peine de mort est un acte barbare », argue ce fervent catholique, père de quatre enfants.

Deux tentatives infructueuses

Kiraitu Murungi, avocat à la Haute Cour de Nairobi et spécialisé dans les droits de l’Homme, n’en est pas à sa première tentative d’abolition. Alors qu’il passe un diplôme de droit à Harvard, en 1991, il travaille en étroite collaboration avec les militants anti-peine de mort aux Etats-Unis. De retour au pays, il est membre du Parlement de 1992 à 2002, militant dans l’opposition et pour l’abolition de la peine de mort. Il essaie alors par deux fois de faire passer un projet de loi. En 1995, sa proposition soulève un tollé chez les parlementaires, certains lui reprochant de vouloir « légaliser le meurtre ». « La peine de mort est un acte cruel qui n’empêche pas le crime et qui n’a pas été exécutée depuis plus de dix ans », plaide Murungi sans succès. En 1999, nouvelle tentative, nouvel échec.

Aujourd’hui, à 51 ans, il est plus que jamais décidé à enterrer définitivement la potence au Kenya. « La peine de mort n’a pas été abolie par l’ancien gouvernement car les ministres étaient divisés sur la question. Ils n’ont pas été capables de prendre une décision même s’ils savaient que la peine capitale était amorale. Ils n’ont pas eu le courage de l’abolir. » Sous-entendu : le gouvernement dont il fait partie saura trancher la question. Il lui faudra pourtant toute sa force de dissuasion et les phrases dont il a le secret – qui appuient là où ça fait mal – pour que l’électrochoc se produise chez les autorités kenyanes mais aussi au sein de la population.

Faible lobby anti-peine de mort

Il n’y a pas de lobby anti-peine de mort puissant au Kenya qui puisse relayer ses idées. Plus grave, lapidations et immolations en public sont légion. Murungi est conscient que dans son pays, où le crime a fortement progressé ces dernières années, les Kenyans se prononcent toujours en faveur de la peine capitale. « C’est vrai qu’à cause des vols, de l’insécurité et du taux important de criminalité, certains de nos concitoyens souhaitent le maintien de la peine de mort. Mais je crois que la raison principale est la mauvaise information sur le sujet. » Le ministre cherche donc à simplifier pour éclairer. L’année dernière, une de ses remarques avait marqué l’opinion : « Un violeur n’a jamais été condamné à être violé. Alors pourquoi un assassin devrait-il être assassiné ? » Son credo : marteler que la loi du talion, « œil pour œil et dent pour dent » risque à terme de laisser le monde aveugle… et édenté.

Kiraitu Murungi tente de mettre en lumière les contradictions et les failles du système judiciaire kenyan. Quiconque est reconnu coupable de meurtre ou de vol à main armée avec violence peut être condamné à la peine de mort. Un voleur de poules risque d’être pendu s’il a utilisé une arme à feu. Le cas de Boniface Lukoye, 23 ans, condamné à mort en novembre 2000 pour avoir volé 600 dollars à des touristes, est encore dans les esprits… Pour tenter de pallier les injustices, une commission chargée de revoir la Constitution de 1963 a été mise en place en octobre 2000. Avec en projet, l’abolition de la peine de mort. La nouvelle équipe dirigeante y est largement favorable. Pour preuve, le Président fraîchement élu, Mwai Kibaki, a ordonné la relâche, en février dernier, de 28 condamnés à mort emprisonnés depuis 15 à 20 ans. Il a également commué 195 peines capitales en réclusion à perpétuité.

Comment ne pas y voir l’influence de Kiraitu Murungi ? Lui qui a salué avec chaleur l’initiative de Georges Ryan, gouverneur de l’Illinois, qui a commué en janvier 2003 la peine de 167 prisonniers en peine de prison à vie. « Je suis toujours surpris que les Etats-Unis, qui possèdent un système légal si civilisé, maintiennent la peine capitale dans leurs textes de loi », précisait-il alors. Murungi espère faire entrer son pays dans le club trop fermé des nations africaines abolitionnistes. Et délivrer enfin de l’attente les quelques 1 200 condamnés à mort répertoriés dans les prisons surpeuplées du Kenya.

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