Violences en Egypte : « Actuellement, il n’y a pas d’alternative au régime de Morsi »


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La tension est toujours vive en Egypte après la mort de 33 personnes dans les violences qui ont éclaté à Port-Saïd. Des troubles survenues suite à la condamnation à mort de 21 détenus soupçonnés d’être impliqués dans les évènements tragiques du stade de Port-Saïd en 2012. Pas plus tard que lundi, deux autres personnes ont péri dans des heurts entre manifestants et forces de l’ordre. Selon le ministre de la Défense, le général Abdel Fattah al-Sissi, la crise actuelle « pourrait conduire à l’effondrement de l’Egypte ». Le pays est-il sur le point de s’embraser ? Le régime de Mohamed Morsi est-il menacé ? Didier Billion, spécialiste de l’Egypte à l’Iris, analyse la situation.

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Afrik.com : Comment expliquez-vous ce regain de violences en Egypte alors que la situation semblait s’être peu à peu calmée ?

Didier Billion :
La situation politique et sociale est extrêmement volatile et mouvementée depuis deux ans en Egypte. C’est une instabilité que les autorités ne contrôlent pas. Elles ne peuvent pas prévoir ces types d’évènements. Il est aussi tout à fait possible que des agents provocateurs tels que les ex-pro-Moubarak soient à l’origine de ces troubles, en mettant de l’huile sur le feu. Ces violences ont d’autant pris de l’ampleur qu’elles sont la conjonction de deux éléments. Il y a d’abord eu des troubles liées au deuxième anniversaire de la révolution, où des affrontements ont eu lieu entre manifestants et forces de l’ordre. A Port-Saïd, les violences ont éclaté suite à la condamnation à mort des 21 personnes accusées d’être responsables des évènements du stade de Port-Saïd. Ces deux évènements majeurs ont exacerbé les tensions.

Afrik.com : Il y a-t-il un risque que le régime de Mohamed Morsi soit déstabilisé ?

Didier Billion :
Oui le régime de Morsi risque d’être ébranlé. Le pouvoir est faible. Et dans cette situation, le risque du retour à l’autoritarisme est à craindre. Ce regain de violences ne signifie pas pour autant que l’Egypte va s’embraser et sombrer dans le chaos. Mais il faut s’attendre à ce que le pays ne se stabilise pas de sitôt. Le processus va prendre beaucoup de temps. Il y aura des périodes d’accalmie, puis des semaines plus tard le retour de flambées de violences dans tout le pays. Actuellement en Egypte la moindre étincelle peut rallumer les tensions. Mais il faut souligner que le processus révolutionnaire est toujours en cours. Le pays connaitra encore de multiples soubresauts avant de pouvoir se stabiliser.

Afrik.com : Est-ce que ces soubresauts peuvent aussi être imputés à la mauvaise santé de l’économie égyptienne ?

Didier Billion :
Oui les conditions de vie des Egyptiens se sont détériorées. L’économie est au plus bas. Les investisseurs étrangers n’investissent plus en Egypte. Le tourisme qui était l’une des valeurs sure de l’économie s’est effondrée. Le Font monétaire international a promis d’injecter de l’argent pour relancer l’économie. Mais le problème est que lorsque le FMI injecte de l’argent ce n’est jamais gratuit. Il veut surtout que Morsi mette en œuvre un plan d’austérité. Ce qui risque de provoquer la colère des Egyptiens qui vivent déjà dans des conditions très difficiles au quotidien.

Afrik.com : Beaucoup d’Egyptiens critiquent vivement Mohamed Morsi. Il y a-t-il une alternative à son régime ? Il y a-t-il des personnes au sein de l’opposition qui soient capables de reprendre les rennes du pays ?

Didier Billion :
Il n’y a actuellement pas d’alternative au régime de Mohamed Morsi. L’opposition n’est pour le moment pas en mesure de représenter cette alternative. Elle a du mal à s’affirmer sur le plan politique. Ici en Occident, on connait bien la figure de Mohamed el Baradei mais les Egyptiens le connaissent peu et ne portent pas leurs espoirs d’un avenir meilleur en lui. Il y a Effectivement beaucoup de critiques envers le régime de Morsi. Des critiques légitimes d’ailleurs. Mais en dehors de lui, qui serait à la hauteur pour reprendre les rennes du pays ?

Afrik.com : Et l’armée pourrait-elle revenir aux affaires du pays ?

Didier Billion :
L’armée n’est plus dans la situation de faire la pluie et le beau temps comme auparavant. Elle a pris un gros coup et ne cherche pas la confrontation avec le régime de Mohamed Morsi. L’armée a préféré se débarrasser des éléments les plus importants du régime de Moubarak. Avec l’arrivée de Mohamed Morsi au pouvoir, il y a une nouvelle génération de généraux qui sont montés à la tête de l’armée. Actuellement si l’Egypte était attaquée, je ne suis pas sûre que l’armée soit capable de la défendre. Elle n’est pas opérationnelle. Elle a passé tellement de temps à gérer ses intérêts et affaires économiques qu’elle a en a oublié son véritable rôle.

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