Nganang seul !


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Lapiro vient de mourir loin de son Mbanga tant aimé, comme Pius Njawé, Jean-Marc Ela ou Albert Ndongmo il y a quelques années.

Un Camerounais très rare par son art, exceptionnel par son talent, du nom de Patrice Nganang, 44 ans, vivant et enseignant la littérature à New York, se baladant un peu partout dans le monde au gré de ses conférences et autres engagements d’écrivain, a décidé de rallumer la flamme de l’héroïsme en politique depuis ses terres lointaines. Estimant que, à l’apogée du biyaisme, toute velléité de contestation du régime n’étant plus possible à l’intérieur du pays, c’est de la diaspora que doit jaillir un mouvement de reconquête éthique et politique du Cameroun. A cet égard, il y aurait besoin d’une solidarité sans faille de la partie éclairée de cette diaspora camerounaise. Il est fou ce Nganang, il ne se rend pas compte des adversaires qu’il trouvera sur son chemin ! Par l’ampleur de son œuvre littéraire et son engagement politique, Patrice Nganang a un boulevard devant lui pour faire prochainement partie de l’histoire du Cameroun. Mais il commet l’erreur stupéfiante de prendre pour camarade de jeu n’importe quel compatriote qui se réclame progressiste.

Le Renouveau de Monsieur Biya a émasculé le pays, cela n’empêche pas tout Camerounais – surtout si celui-ci a un bon parcours universitaire – de se prendre pour un homme important. La culture du diplôme étant forte dans ce pays, Nganang a donc de très nombreux ennemis putatifs ; des gens qui ne comprennent pas au nom de quoi l’écrivain revendique un statut spécial. Alors qu’ils ne jouent pas dans la même catégorie, alors qu’ils ne pratiquent même pas un sport identique, voilà tout le monde embarqué dans une lutte pour la reconnaissance. A l’apogée du biyaisme, le pays est exsangue économiquement, moralement et politiquement. Mais comme tout homme exalté, Patrice Nganang croit au sursaut du Cameroun, même sur un tel champ de ruine. Sur quoi compte-t-il ?

A l’époque où Alexandre Soljenitsyne se faisait le héraut de la chute du communisme soviétique, on savait depuis longtemps dans son pays quelles étaient la signification et la responsabilité politiques de l’écrivain. On peut les énoncer avec Sartre. Engagé par sa parole, ses mots sont des actes destinés à transformer le monde. L’écrivain c’est un homme qui a choisi de changer le monde en le nommant. Nul n’écrit innocemment. L’écrivain est là pour affirmer perpétuellement la liberté humaine. Un écrivain qui ne se place pas sur le terrain est coupable : responsable de tous les abus qu’il ne nomme pas, de toutes les attaques contre la liberté qu’il ne dénonce pas. L’écrivain est responsable de la liberté humaine. Même tout près du Cameroun, au Nigeria, Wole Soyinka avait pu bénéficier de vents plus favorables lorsqu’il s’en prenait – avec la détermination et le talent qu’on lui connait – aux pouvoirs autocratiques de Lagos. Le Renouveau ayant achevé de faire du Cameroun un véritable désert intellectuel, qui se souvient encore de la raillerie dont l’immense Mongo Béti fut l’objet à son retour au Cameroun en 1991 ? Ce pays est devenu un véritable théâtre de la meute où aucune hiérarchisation n’est plus possible dans le champ symbolique.

Il faut que les gens soient à l’aise avec le principe de l’autorité, pour qu’il soit permis à un homme de s’exposer à la lumière, même quand il s’agit de se battre pour leur propre dignité ! On en est très loin chez les Camerounais. On reconnait les élites de ce pays à leur Moi hypertrophié, qu’ils trimbalent de sujet secondaire en sujet accessoire. Mais attention, ce n’est pas parce qu’ils sont incapables de concevoir une question qui dépasse le niveau de leur personne, qu’ils vont pardonner à quiconque s’aventure sur le terrain principal. On doit être en mesure de s’abandonner à une cause plus grande que soi, si l’on veut participer à l’attaque d’un Pouvoir qui monopolise l’ensemble des ressources d’un pays depuis plus de trois décennies. Ce n’est pas sur eux que Nganang devra compter pour la révolution qu’il appelle de toutes ses forces. Ses compatriotes ne sont pas prêts au combat. Ils font semblant de s’opposer à un régime auquel la plupart des familles camerounaises se sont accommodées. Et il n’y a aucune distinction à faire entre Camerounais de l’intérieur et ceux de la diaspora ; ces derniers étant simplement plus qualifiés – non éduqués –, souvent mieux nourris et mieux soignés que leurs compatriotes restés là-bas.

L’écrivain camerounais le plus en vue, l’un des derniers hommes de valeur à ne pas, revendiquer bruyamment une autre nationalité, voudrait poser le problème politique de son pays. A son crédit, on constatera qu’il est difficile de résoudre un problème que l’on n’a pas préalablement défini, et que cet exercice a toujours rebuté les politiciens et les intellectuels camerounais. Nganang dénonce l’Etat tribal et la bamiphobie rampante. La bamiphobie, c’est la fixation du Pouvoir et d’une partie de la population sur les Bamiléké. On peut souligner le courage de cet homme né à Yaoundé, la capitale, voire son côté suicidaire d’aborder l’un des tabous du Cameroun. Mais il convient d’ajouter, par souci d’exactitude, que pratiquement tous les Camerounais souffrent d’une phobie d’eux-mêmes, tant les ressortissants de ce pays se redoutent entre eux. Nganang est tout seul à penser que l’heure est venue de radicaliser la lutte contre le tyran, puisque même dans le village de ses parents à Bangangté, en plein pays bamiléké, Monsieur Biya fait le plein des suffrages !

Raoul Nkuitchou Nkouatchet

Consultant en relations industrielles

Ancien président du Cercle Mont Cameroun

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