Deux ans après la révolution, où en est la Tunisie ?


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Deux ans après la révolution, les conditions de vies des Tunisiens ne se sont toujours pas améliorées. Le taux chômage est toujours élevé. Et le coût de la vie a augmenté. Même, s’ils ne sont pas au bord du désespoir, ils sont déçus de la révolte qui a conduit à la chute de Ben Ali, le 14 janvier 2011, car ils savent qu’ils n’en croqueront pas encore les fruits.

Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un marchand ambulant, s’est immolé par le feu à Sidi Bouzid, après que la police lui ait confisqué sa marchandise. C’est de cet acte que le soulèvement, qui a conduit à la chute de Ben Ali, le 14 janvier, s’est propagé dans tout le pays. Deux ans après la révolution, rien n’a changé. Aussi bien à Sidi Bouzid que dans les autres régions du pays. Pourtant, tous les espoirs étaient posés sur cette fameuse révolte qui a libéré le pays de ses chaînes. On espérait que les conditions de vies allaient s’améliorer. On espérait que le chômage s’effondrerait. On espérait enfin pouvoir rêver à de meilleures conditions. Aujourd’hui, tous ces rêves se sont brisés. C’est la désillusion qui prévaut dans le pays, dirigé par le parti au pouvoir islamiste Ennahda.

La tension est donc toujours vive. Les manifestations de protestation contre le gouvernement ne sont pas rares. Le président Moncef Marzouki, qui s’est rendu ce lundi matin à Sidi Bouzid pour commémorer les deux ans de la révolution, a été honni par une foule très en colère, qui lui a jeté des pierres. « Dégage ! Dégage ! », scandaient à son encontre près de 5000 manifestants. Un incident, qui montre que l’heure n’est pas à l’apaisement.

Deux ans après la révolution, où en est la Tunisie ? « Elle se cherche encore », selon le rédacteur en chef du blog Nawaat, Maleck Khadhraoui, basé à Tunis. « Au moment de la révolution, les attentes des Tunisiens étaient énormes ! Mais les politiques n’ont pas su répondre à leurs aspirations. Il y a un désamour énorme de la classe politique », estime le blogueur.

Crise de confiance

Même son de cloche, pour Leila Charchour, fondatrice du parti politique Afek Younes, qui a remporté quatre sièges lors de l’élection de l’Assemblée constituante. « Les gens sont au bord de l’explosion à cause de la cherté de la vie ! » La rédaction de la « Constitution n’est toujours pas terminée, déplore-t-elle, alors que les Tunisiens attendent depuis un an » de la découvrir. Pour la quinquagénaire, il ne fait pas de doute : « La confiance s’est rompue entre politiques et Tunisiens. Les conditions de vies n’ont pas évolué. Le pouvoir d’achat a baissé. Mais le peuple n’est plus le même, assure-t-elle. Sa mentalité a changé et il ne compte pas se laisser faire ! »

Les Tunisiens « n’acceptent pas l’incompétence du gouvernement, qui n’a toujours pas donné une feuille de route claire pour redresser le pays », renchérit Maleck Khadhraoui. Pis, les conditions de vies de multiples personnes se sont paupérisées, notamment ceux de la classe moyenne, qui souffre. Et la classe dominante, elle, souffre du manque d’investissements privés. Le blogueur pointe du doigt l’état calamiteuse de l’économie tunisienne. « Aujourd’hui, il y a des pénuries d’eau, de lait, dues à la désorganisation totale de la classe politique. Les prix échappent à tout règlement économique ».

La mauvaise santé de l’économie tunisienne ne date pas d’aujourd’hui, explique le chercheur spécialiste du monde arabe Vincent Geisser. « Ben Ali a toujours caché la réelle situation de l’économie faisant croire qu’elle était un modèle pour l’Afrique. Mais le processus de démocratisation a révélé une grosse fracture économique et sociale dans le pays ». Cette fracture est très ancienne. « Depuis plus d’un demi siècle, la Tunisie est coupée en deux. Il y a toujours eu deux Tunisie. Une par endroit qui fait penser à l’Espagne et au Portugal et une autre qui fait penser au Mali ou au Burkina Faso. »

« La Tunisie n’a pas fini d’accoucher la révolution »

Pour le chercheur, les autorités sont confrontées à un grand défi : combler cette fracture entre la Tunisie littoral et la Tunisie de l’intérieur, pour que cesse l’inégalité de développement entre les différentes régions. Certaines parties du pays ont un réseau routier qui n’est pas du tout développé, constate-t-il. Et les hôpitaux sont sous-équipés. De même, les universités sont construites dans les grandes mégalopoles mais pas dans certaines régions. Cet état déplorable du pays montre que les politiques ne sont pas capables de mener cette révolution à terme, fustige Maleck Khadhraoui. « Elle n’est en effet pas terminée. Le processus est toujours en cours. » Le drame dans tout cela, affirme, quant à elle, Leila Charchour, c’est que « les politiques ont même échoué à donner de l’espoir ».

Des avis loin d’être partagés par le blogueur Yassine Ayari, 30 ans, qui refuse de tomber dans le désespoir. Selon lui, « la Tunisie n’a pas fini d’accoucher la révolution ». Cette période de difficulté que traverse le pays est donc tout à fait normal. « Aucun accouchement ne peut se faire sans douleur ! Le bébé a été conçu et la grossesse est arrivée à son terme. C’est le plus important. »

Contrairement à nombre de ses compatriotes, le jeune blogueur reste au contraire très optimiste pour l’avenir de son pays : « Le plus dur a été fait. La page Ben Ali est définitivement tournée. Peu importe ce qui se passera maintenant, cela ne peut pas être pire que ce qu’on a vécu quand il était au pouvoir. » Ingénieur en réseau informatique et sécurité, Yassine Ayari a été très active durant la révolte contre l’ex-dirigeant tunisien. Il a d’ailleurs à plusieurs reprises organisé des manifestations.

Le jeune tunisien soutient également « qu’il faut laisser du temps à ceux qui sont au pouvoir pour faire leurs preuves. Ils n’ont pas eu la chance d’avoir gouverné auparavant. Et la communauté internationale, y compris la France, ne les aident pas en affirmant que les islamistes au pouvoir représentent un danger. L’Europe a cautionné pendant des années une dictature et maintenant elle veut pénaliser ceux qui sont au pouvoir !»

L’euphorie révolutionnaire est finie, note Yassine Ayari. « Désormais, on est face à la réalité. Aujourd’hui, on découvre la Tunisie sous son vrai visage, sans carte postale. »

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