Brahim el Mazned : « La guerre contre le terrorisme doit aussi passer par l’éducation et la culture »


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Directeur du Festival Visa for music qu’il a fondé en 2014, dont la deuxième édition s’est tenue du 11 au 14 novembre à Rabat, le Franco-Marocain Brahim el Mazned se bat au quotidien pour que la culture devienne une priorité dans les Etats africains. Il explique à Afrik.com le concept de son projet qui réunit, chaque année, dans la capitale politique marocaine, plus de 2000 artistes et professionnels de la musique du monde entier, représentant 60 pays. Interview.

A Rabat

Interview réalisée en collaboration de la journaliste Djamila Ioualalen-Colleu

Afrik.com : D’où vous est venue l’idée de créer un Festival tel que Visa for music??

Brahim el Mazned : ?Ça fait 20 ans que je fais les marchés de la musique dans le monde, mais la façon dont travaillaient les acteurs culturels en Occident m’a gêné. J’ai constaté que leur façon de travailler avec les artistes africains les maintenaient dans la précarité. Je me suis alors dit que pour remédier à cela, on devait travailler tous ensemble, d’autant que les acteurs culturels africains n’étaient pas très présents dans les évènements organisés à l’international sur la culture et la musique, à cause des coûts de voyages notamment. J’ai aussi été toujours peiné de voir qu’en Occident on s’intéressait seulement aux artistes africains liés à la pauvreté, à la guerre… C’est un fait que la guerre et la pauvreté sont présentes en Afrique mais il n’y a pas que ça ! Il y a aussi des artistes positifs, qui n’ont rien à voir avec la guerre et la pauvreté, qui sont tout simplement heureux de vivre? et ?pas forcément précaires. Quand je vois la biographie des artistes occidentaux, il est toujours indiqué qu’ils sont issus d’une famille de mélomanes, qu’ils ont commencé à jouer de la musique très tôt. Alors que sur la biographie d’un artiste africain, on indique qu’il est né dans la guerre, la pauvreté, ou encore qu’elle a été une femme battue, qu’elle a subi des violence sexuelles. Tous ces constats m’ont poussé à créer Visa for music.

Concrètement, en quoi consiste le Visa for music ? ?

Le Visa for music se veut un rendez-vous pour les professionnels de la musique, les artistes, les acteurs culturels, les médias, les coopérateurs, les acteurs de la société qui œuvrent pour la musique. C’est un rendez-vous pour développer l’industrie musicale créative pour le continent africain. La programmation est composée d’artistes africains et du Moyen-Orient, mais aussi de la diaspora et des Caraïbes, de la Colombie, du Brésil, que je considère comme un prolongement de l’Afrique. L’Afrique a tant nourri la musique actuelle à travers le monde mais n’avait pas de rendez-vous majeur tel que Visa for music, qui est aussi un moyen de réunir l’ensemble des acteurs culturels africains anglophones, arabophones, francophones. L’objectif, échanger des idées, donner des opportunités de travail aux uns et aux autres, casser la frontière entre Afrique anglophone, Afrique francophone, Afrique arabophone… Il y a aussi d’autres acteurs culturels du reste du monde venant d’Asie, de l’Amérique latine ou encore d’Europe qui participent au Visa for music. Le Visa for music c’est aussi à la fois la mobilité et le business.

Quelles sont les retombées du Festival ??

?Les retombées rien que pour les artistes marocains sont estimées à un demi-million d’euros. Beaucoup d’artistes qui ont peu tourné à travers le monde prouvent qu’il y a un réel intérêt que ce Festival se développe. Des professionnels peuvent inviter d’autres artistes à se produire chez eux. C’est une plateforme, une fenêtre vers l’Afrique, le Moyen-Orient, le Maghreb, le Maroc. Cela permet de revenir découvrir l’actualité des choses, de rencontrer des artistes témoins de ce que connait le monde dans cette région qui connait des turbulences.

Comment s’organise le Festival ?

On procède par un appel à candidature, en janvier. On reçoit des dossiers du monde entier. On a un jury composé d’experts d’Afrique de l’Ouest, du Moyen-Orient, du Maroc. Ce jury se réunit et définit les artistes qui se produisent avec un tiers des artistes africains, un tiers marocains, en prenant en compte la diaspora et les Caraïbes. Le jury doit aussi garantir un équilibre entre musique actuelle, acoustique et traditionnelle.

Comment est-il financé ?

Il n’y a pas vraiment de budget car il est en cours de montage. Cette année, il est inférieur à 400 000 euros.? Les principaux partenaires du Festival sont le ministère de la Culture du Maroc. On a des opérateurs institutionnels tels que l’Organisation internationale de la Francophonie, l’Institut français, mais on n’a pas encore de mécène. Les entreprises ne suivent pas encore, malheureusement, le Festival, qui a pourtant une dimension économique importante, mais qui n’est pas encore comprise.

?Quelles sont les principales difficultés de l’industrie musicale en Afrique ?
?
?Il faudrait que les gens comprennent l’industrie de la musique qui se développe en streaming. On doit accompagner les musiciens, les aider à comprendre cette évolution. Raison pour laquelle Visa for music organise beaucoup d’ateliers de formation pour répondre à ces questions. Il faut qu’on prépare les professionnels de demain. L’Afrique doit sortir de l’informel pour développer son industrie culturelle.

Selon-vous, quelles sont les plus grandes difficultés des artistes en Afrique?

En Afrique, beaucoup de ministères ont peu de moyens concernant la culture. La culture n’est souvent pas considérée comme une priorité. Deuxièmement, il n’y a pas de travail d’accompagnement dans ce secteur. On ne se rend pas compte de l’apport économique que la culture pourrait avoir pour la société. Sans compter que la culture, c’est ce qui permet à la société de s’épanouir, d’occuper l’espace public, de structurer l’ensemble du continent car il y a une grande richesse en Afrique. Les dirigeants doivent maintenant comprendre que la culture est prioritaire.

Dans certains pays, il n y a même pas de structures pour réglementer les droits d’auteurs. Comment expliquez-vous cela ?

?Oui, effectivement c’est un véritable problème alors que dans n’importe quelle grande capitale africaine, il y a des concerts partout. Les gens sortent pour aller voir des concerts, mais il n’y a aucun accompagnement pour les artistes, ?qui restent du coup dans la précarité.

Quel regard portez-vous sur les attentats terroristes qui se multiplient dans le monde, sachant que les auteurs de ces attaques n’ont jamais caché leur haine vis-à-vis de la culture?

Le monde est troublé, aujourd’hui. Il connait un bouleversement assez impressionnant entre les obscurantistes, les éclairés, les fascistes, les démocrates. Il y a une tension entre les communautés. Le seul secteur qui réconcilie les communautés, c’est la culture. Il ne faut pas non plus oublier qu’à la veille des attentats de Paris, il y a eu les attentats de Beyrouth. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont rentrés au Bataclan pour tuer tous ces innocents. La guerre contre le terrorisme doit être lancée avec force et pugnacité, mais elle doit aussi passer par l’éducation et la culture.

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