Boston Goké : « La diversité est une donnée incontournable de la République »


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L’association française Diversité républicaine initiative en mouvement (Drim) a fait une sortie remarquée, jeudi dernier, à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, à l’occasion de la première remise des Trophées de la diversité. Boston Goké, le président de la structure, revient pour Afrik sur les convictions républicaines de son mouvement, ses objectifs et sa position par rapport à la poussée communautaire en France. Interview.

Boston.jpg« Nous avons un rêve ». Une phrase qui prend tout son sens quand elle est prononcée par les responsables de la Drim (Diversité républicaine initiative en mouvement). Allusion un peu facile à la célèbre phrase de Martin Luther King « I have a dream » (j’ai un rêve), qui a pourtant fait son office jeudi dernier à la Chambre de commerce et de d’industrie lors de la première remise des Trophées de la diversité initiée par l’association française. Une cérémonie très chic pour mettre en lumière des exemples vertueux d’entrepreneurs symbolisant la diversité. Montée par Rachid Mokran il y a trois ans, l’activité de la structure s’articule autour de trois axes principaux : l’aide à la création d’entreprise, le conseil et le parrainage et le croisement des réseaux. L’actuel président, Boston Goké, revient sur les ambitions et le travail de la Drim. Très critique par rapport aux communautés, ce chef d’entreprise, à la fois consultant et salarié d’origine centrafricaine, affiche envers et contre tout un farouche esprit républicain.

Afrik.com : Pourquoi la Drim a-t-elle été créée ?

Boston Goké :
La Drim a été créée pour répondre à cette problématique de la diversité. Beaucoup de gens voient malheureusement la diversité autrement que comme une énergie nouvelle qui peut contribuer à faire rayonner le génie français. La diversité est devenue une donnée incontournable de la République. Il faut donc mettre la mettre en mouvement car elle est riche d’initiatives. J’aime bien donner la première ligne de la charte de la Drim. « Elle se propose de lutter en faveur d’une France nouvelle dans sa vision et ses ambitions. Une France ouverte à tous ses enfants, sans distinction aucune, une France conquérante, parce que forte de sa diversité républicaine. »

Afrik.com : Qu’est ce que la Drim signifie concrètement au-delà de ce discours vertueux et politiquement correct ?

Boston Goké :
La méthode de la Drim est de prôner l’exemplarité, d’où la soirée de gala du 23 mars dernier afin de montrer que cette diversité gagne. Bien souvent, les médias ne relaient que les difficultés du vivre ensemble. Et presque jamais ses réussites. Ou sinon dans le domaine sportif ou artistique. Je ne remets pas en cause le fait que la création artistique ou le sport soient créateurs de valeur. Mais pour ce qui est de l’entreprenariat, les réussites de ces Français venus d’ailleurs sont rarement mises en avant.

Afrik.com : Vous êtes le président de la Drim depuis octobre dernier. Travaillez-vous dans la continuité de votre prédécesseur ou avez-vous changé d’axe ?

Boston Goké :
La première démarche entreprise par Rachid Mokran a été éducative pour réconcilier les minorités visibles avec l’esprit républicain. Il y avait des actions symboliques, comme planter des Arbres de la mémoire. Il y a eu mutation depuis que je suis arrivé à la tête de la Drim. Je considère que la diversité républicaine a été en partie travaillée par mon prédécesseur, moi je veux mettre en avant l’autre partie de la démarche : les initiatives en mouvement. Nous les mettons en avant, pas que pour faire de la « peopolerie », ce n’est pas notre but. Notre but est de mettre le doigt sur les verrous qui bloquent l’entreprenariat.

Afrik.com : C’est-à-dire ?

Boston Goké :
Nous voulons nous attaquer à la démocratisation des accès aux financements. C’est ce qui fait la différence entre la France et la Grande Bretagne, où il est plus facile de créer et d’entreprendre. Le problème de la notation bancaire, par exemple, est totalement injuste en France. Sachez qu’il est plus facile, pour un fonctionnaire, d’obtenir, en France, un crédit pour ouvrir une entreprise que pour un entrepreneur. Et si vous êtes entrepreneurs et que vous sortez des quartiers sensibles, vos chances se réduisent quasiment à néant. Et si papa ou maman n’a pas de pavillon à hypothéquer, vous n’obtiendrez tout simplement aucun crédit pour créer votre structure.

Afrik.com : Que proposez-vous par rapport à cela ?

Boston Goké :
Il y avait beaucoup d’institutions financières qui étaient là pendant la soirée de gala. Et nous n’étions pas venus sans solution. Au couple salariat/ intégration, nous opposons le couple enracinement/entreprenariat. Et pour poser la première pierre de cette bâtisse, nous avons appelé à la mise en place d’une fondation pour l’enracinement républicain, dont le but serait de mettre des fonds à disposition des publics tentés de déserter la République. Pour des entrepreneurs issus des quartiers sensibles, pour les chercheurs et les inventeurs, et pour les créateurs d’entreprises innovantes. Il s’agit d’accorder des fonds sous forme de prêts et non de dons. Car nous voulons rompre avec cette politique de la main tendue et de l’assistanat.

Afrik.com : Avez-vous d’autres initiatives du même type ?

Boston Goké :
Une de nos initiatives va d’ores et déjà être expérimentée, à savoir la Maison de l’Entreprise. Tout le monde en France sait où aller quand il cherche un emploi : à l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi,ndlr). Ce qui n’est pas le cas des entrepreneurs. Que ce soit le Contrat première embauche (CPE) ou l’entreprenariat, nous sommes dans une société post-salariale.Tout le monde comprend bien que nous sommes dans un monde économique très dur au niveau de la concurrence et de la compétition. Et cette rigidité qu’est le salariat classique ne pourra perdurer. Et toutes les turbulences actuelles tournent autour de la question : comment y répondre ? Par ailleurs, nous envisageons, en termes d’actions, d’organiser des dîners d’affaires où des créateurs d’entreprise et des entrepreneurs, issus de la diversité, et des grands groupes français se rencontrent d’une manière assez régulière pour échanger.

Afrik.com : Vous qui défendez des valeurs profondément républicaines, comment réagissez-vous par rapport à la logique de communauté qui se développe actuellement en France ?

Boston Goké :
Nous sommes contre tout repli identitaire ou communautaire. Car c’est la pire des choses qui puisse arriver aux Français venus d’ailleurs. Ce qui fait défaut à nos concitoyens, c’est l’incapacité à faire croiser les réseaux d’information, professionnels ou d’influence. Les replis identitaires constituent une prison, quand bien même dorée, mais une prison quand même.

Afrik.com : Pourtant le système de communauté fonctionne bien en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis ?

Boston Goké :
Des Britanniques se sont fait exploser, l’année dernière, dans des trains et vous trouvez que ça marche très bien ? Ce sont clairement des indications négatives du vivre ensemble. Il n’y a jamais de kamikaze français qui se soit fait exploser dans une station de métro en France. L’esprit républicain est un combat qui n’est pas sociétaire, mais mondial. C’est le choix entre une société ouverte et une société fermée, à condition que l’on sache que la société ouverte n’est pas forcément offerte. Pourquoi faut-il que la France soit une société ouverte ? Parce que si elle arrive à organiser au niveau de l’Hexagone le vivre ensemble, elle réussira de la même manière ce pari dans l’espace francophone, sans avoir de démarche injurieuse à l’égard de ses anciennes colonies. Et là, cette communauté de langues deviendra une communauté de forces.

Afrik.com : Vous fustigez le « vivre ensemble » en Grande-Bretagne, pourtant, selon le dernier rapport de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme sur la lutte contre le racisme, un Français sur trois se dit raciste…

Boston Goké :
Ce sondage est réducteur…

Afrik.com : Mais révélateur…

Boston Goké :
Moi je vais vous dire ce que les Français n’aiment pas. Les Français ont horreur de la pauvreté et de la misère. Aujourd’hui je peux vous dire, sauf quand je suis en jeans basket et capuche où, que je ne subis pas d’actes racistes. Et voilà pourquoi notre combat est aussi de montrer les réussites de la diversité. Pour couper ce lien entre diversité et misère.

Afrik.com : Comment expliquez-vous la montée d’un sentiment communautaire en France ?

Boston Goké :
C’est une orchestration voulue par certains hommes politiques qui veulent ravir le pouvoir. Ils mettent en danger l’esprit républicain et le modèle français, qui n’est pas la juxtaposition des communautés. Mais ils ne réussiront pas. Cinquante trois pour cent des immigrés vivant en couple en France, vivent avec un homme ou une femme autochtone. Le métissage est une réalité et une composante de la société française.

Afrik.com : Quelle explication républicaine donneriez-vous aux émeutes de novembre dernier dans les banlieues françaises ?

Boston Goké :
Les drames de novembre dernier ont mis en évidence de très grands besoins de reconnaissance et de respect de la citoyenneté de tous, mais aussi un besoin de reconnaissance de la légitime expression des compétences de chacun. Aujourd’hui une personne peut quitter un pays pour rejoindre une communauté virtuelle. Al Qaïda est, par exemple, une communauté virtuelle qui s’appuie sur une réalité forte. Certaines personnes s’identifient même plus à Al Qaïda qu’à une nation. En tant que communauté, la République se doit de développer son attractivité, mais aussi l’enracinement de ses membres. Attractivité et enracinement deviennent alors les deux faces d’une seule et unique monnaie. C’est pourquoi le Fonds d’enracinement républicain que nous proposons s’adresse autant aux jeunes des quartiers soi-disant sensibles qu’aux chercheurs, parce qu’ils sont à l’origine de deux formes de désertion. Brûler des voitures parce qu’on ne peut pas partir s’exprimer ailleurs, c’est déserter intellectuellement la République. Et c’est la même chose que de la quitter quand vous allez vous expatrier à Londres ou à Bruxelles pour travailler.

Afrik.com : En tant que républicain, quel discours tenez-vous face à des personnes qui se revendiquent de la communauté noire ?

Boston Goké :
Je pense que c’est parce qu’il y a eu ce déficit d’esprit républicain qu’une association comme le Cran (Conseil représentatif des associations noires,ndlr) a été obligée de se former. Loin de moi l’idée d’attaquer le Cran, mais j’aimerais les entendre plus quand j’entends parler de chikungunya ou quand Eunice Barber (star française, d’origine sierra léonaise ,de l’heptathlon international, sévèrement molestée par les forces de l’ordre au cours d’une récente arrestation musclée) se fait frapper. S’ils existent réellement pour ne pas être un nouveau moteur de propulsion de petits rois nègres, s’ils existent réellement pour une cause, alors j’aimerais les voir quand Eunice Barber se fait frapper. Et j’aimerais les voir quand des centaines de milliers de nos compatriotes sont en danger à la Réunion avec le chikungunya. La République avait les moyens d’éviter le pire, mais elle n’a rien fait. Là, c’est de la discrimination.

Afrik.com : N’y a-t-il pas une hypocrisie de la part de la République, qui prône des valeurs qu’elle n’applique pas ?

Boston Goké :
Il ne faut pas regarder la République comme quelque chose de figé. Qui a pensé des choses qui sont immuables ? La République est faite, de jour en jour, d’actions et d’engagement politique. Les insuffisances de la République, c’est aussi un manque d’engagement. Voilà pourquoi j’appelle les Français venus d’ailleurs à vivre une vie d’engagement. Eux plus que les autres.

Afrik.com : Quand on voit Mme Taubira-Delannon qui a fait voter, en 2001, une loi pour faire changer le contenu des livres d’histoire et qu’aujourd’hui rien n’a encore été fait. N’est pas là une hypocrisie manifeste de la République ?

Boston Goké :
Il y a eu des blocages politiques, mais la politique est un mouvement et je soutiens Mme Taubirat dans cet engagement. Et si elle peut susciter d’autres engagements de la part des Français venus d’ailleurs, je suis avec elle.

 Visiter le site de la Drim

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