Guillaume Soro : le rebelle s’explique


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Zoom de la couverture du livre de Guillaume Soro
Zoom de la couverture du livre de Guillaume Soro

Guillaume Soro a publié, il y a quelques mois déjà, Pourquoi je suis devenu un rebelle aux éditions Hachette Littératures pour, comme son titre l’indique, expliquer les raisons de son engagement dans la rébellion en Côte d’Ivoire. L’une d’elle est l’ivoirité, le concept qui a conduit à l’exclusion d’une partie du peuple ivoirien : les nordistes.

Pourquoi Guillaume Soro est devenu rebelle ? Si vous voulez avoir une réponse à cette question, le livre du secrétaire général des Forces Nouvelles (FN), à qui l’on doit la division (en deux) de la Côte d’Ivoire, tente de vous l’apporter. Dans Pourquoi je suis devenu un rebelle, paru voici quelques mois déjà chez Hachette Littératures, le chef rebelle essaie de nous éclairer sur les motivations qui l’ont poussé à conduire une rébellion armée en Côte d’Ivoire. Et quand Guillaume Soro s’explique, il n’ y va pas de main morte. Son pays serait au bord d’un génocide. Selon ce dernier, « le parallèle avec le Rwanda est saisissant » quand on analyse la crise ivoirienne. C’est fort de ce constat qu’il tente d’alerter l’opinion internationale à travers cet ouvrage. Car « il est encore temps de [le] prévenir […]. C’est bien parce que le pire est à craindre que j’ai décidé de ne pas baisser les bras ».

Effectivement, dans la nuit du 19 septembre 2002, ces bras ont brandi les armes contre le régime de Laurent Gbagbo arrivé au pouvoir lors du scrutin présidentiel controversé de 2000. Pour le secrétaire général des FN, ce livre est également l’occasion de faire quelques mises au point. Comme le fait de préciser que la rébellion n’est pas le bras armé du Rassemblement des Républicains (RDR). Ou tout simplement de faire la lumière sur le problème de leadership que connaît sa formation et dont Ibrahim Coulibaly (IB) est à l’origine. L’instigateur du putsch de 1999, qui a vu l’arrivée au pouvoir de feu le Général Robert Guei, n’aurait pris aucune part active dans la tentative de coup d’Etat de 2002.

Laurent Gbagbo : de la fascination au dégoût

Son engagement politique, Guillaume Soro le fait remonter à son enfance où l’injustice insupportait. « J’aimais la liberté », écrit-il . Dans les années 90, son militantisme trouvera le lieu où s’exprimer : la Fédération des Etudiants et Scolaires de Côte d’ivoire (FESCI) qui a incarné « l’espoir des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire avant de sombrer aujourd’hui dans l’obscurantisme ». Il est l’un de ses leaders quand, en 1997, la fédération estudiantine organise le mouvement étudiant le plus important que la Côte d’Ivoire ait jamais connu. Sa période FESCI sera une très bonne expérience bien que douloureuse – il sera emprisonné en 1992 – car elle lui aura permis de se faire une idée de la classe politique ivoirienne dont certains représentants sont aujourd’hui aux affaires. Notamment celui qui fut l’un de ses maîtres à penser et qui est aujourd’hui son principal adversaire politique : Laurent Gbagbo, l’actuel chef de l’Etat ivoirien.

Celui qui est devenu le chantre de l’ivoirité, « une véritable arme de destruction massive » qui exclut les nordistes, celui qui est désormais « à la tête d’une dictature violente », d’un Etat « xénophobe et raciste », celui-là, Guillaume Soro l’a rencontré en 1994. Il l’avoue : le leader du Front Populaire Ivoirien (FPI), qui le trouve alors « très prometteur » l’a fasciné. « J’avais un véritable respect pour lui », affirme Soro. Dans ces quelques lignes, on peut presque sentir combien Laurent Gbagbo a déçu le rebelle qui constate que le « dérapage [de Laurent Gbagbo] vers l’opportunisme et la xénophobie ne date pas d’hier ». La lune de miel entre les deux hommes n’aura en effet duré que quatre ans.

La scission intervient en 1998 alors que Soro s’apprête à quitter la direction de la FESCI, qu’il assure depuis 1994, au profit de Karamoko Yayoro, le leader actuel des jeunes du Rassemblement des Républicains (RDR), le parti d’Alassane Ouattara. L’objet de leur mésentente n’est autre que le chef de file actuel des jeunes patriotes, mouvement pro-Gbagbo, Charles Blé Goudé. Ce dernier est décrit sous les traits d’un jeune ambitieux prêt à tout et surtout prêt à jouer la carte ethnique pour accéder à la direction du mouvement étudiant. Cet épisode marque aussi un tournant dans l’engagement politique du rebelle qui va le conduire à la tête du Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), maître d’œuvre du coup d’Etat de septembre 2002. Cet évènement majeur dans la vie politique ivoirienne est, selon Guillaume Soro, la résultante de l’ivoirité et des insuffisances d’un Etat ivoirien déliquescent.

Ainsi, la montée en puissance du mécontentement au sein de l’armée ivoirienne, confrontée à une dérive tribale et à l’émergence de ce qui pourrait être qualifiée de conscience politique a donné, en partie, naissance aux rebelles. Ces derniers sont « d’abord les soldats exclus de l’armée régulière », puis des militaires qui avaient installé feu le Général Guei. Quand Soro s’exile en 2001 parce qu’il se sent menacé par le gouvernement de Gbagbo, ce sont tous ces déçus (qui partagent ses convictions) qu’il est amené à côtoyer au Burkina Faso, au Mali ou encore en France. Là, on ne peut s’empêcher de penser aux menaces récentes adressées au régime en place en Côte d’Ivoire par le Général Mathias Doué, l’ancien chef d’état- major ivoirien, rejoint dans l’exil par le Lieutenant-colonel, Jules Yao Yao ancien porte-parole de l’armée ivoirienne. Dans la nuit du 19 septembre, éclate alors cette rébellion dont le mot d’ordre est « de ne toucher aucun civil ». Malheureusement, les civils en seront les premières victimes, à l’instar de tous les coups d’Etat.

Prendre les armes au nom de la paix, de la liberté et de la prospérité

A la lecture de cet ouvrage réalisé, à partir d’entretiens accordés à Serge Daniel, on se rend compte que Guillaume Soro est un homme blasé, revenu depuis longtemps de toutes ses illusions. Et que son destin de rebelle a parfois des allures d’évidence. Le Sieur Soro est né le 8 mai 1972 dans une famille catholique. Au Bénin, ceux qui sont nés cette année-là sont surnommés les enfants de la révolution. Dans le cas du chef rebelle le surnom n’a rien d’usurpé. Mais fallait-il que tant d’Ivoiriens meurent et que l’on soit aujourd’hui obligé de procéder à « un désarmement des cœurs », comme il le préconise lui-même pour sortir de la crise ?

Guillaume Soro souhaite la paix tout en notant qu’il a les capacités de tenir tête au régime en place encore longtemps. Il espérait beaucoup, dans cette optique, du scrutin présidentiel qui devait se tenir le 30 octobre dernier et du départ de Gbagbo, que le chef rebelle, considère comme le cœur du problème ivoirien. Depuis la parution de son livre, de l’eau a coulé sous les ponts et son pire cauchemar tient encore les rênes d’un pays qui attend de connaître son Premier Ministre de transition selon les dispositions de la résolution 1633 des Nations Unies votée en octobre dernier. Un poste pour lequel Guillaume Soro a proposé sa candidature. Mais il est peu probable qu’elle convienne à toutes les parties impliquées dans la crise.

Pourquoi je suis devenu un rebelle est un livre très politique – est-il même besoin de le dire ? – et informatif parce qu’il vous donne un certain éclairage sur la crise ivoirienne dont les visages sont multiples. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de se demander naïvement s’il est toujours sincère. Le doute est permis sauf peut-être quand on lit : « Ceux qui envisagent la Côte d’Ivoire comme divisée en deux ‘Côte du Nord’ et ‘Côte du Sud’ se trompent ». Car ces paroles laissent entendre qu’il y encore une chance que la Côte d’Ivoire retrouve son unité nationale. Une chose est certaine, l’opération de communication est fort bien réussie. Guillaume Soro se pare, en effet, de tous les atours de la respectabilité en voulant donner la démonstration de la légitimité de son combat.

Mais le sentiment de mieux comprendre les évènements qui ont plongé la Côte d’Ivoire dans une crise profonde depuis 2002 ne vous fera pas oublier qu’il y a eu déjà trop de martyrs en Terre d’Eburnie. Surtout quand Guillaume Soro affirme : « J’ai pris les armes pour que mon pays retrouve son vrai visage : paix, liberté et prospérité ». De tout cela, la Côte d’Ivoire, à l’orée d’une période de transition politique qui devrait durer au maximum 12 mois, en est encore bien loin aujourd’hui. C’est même tout le contraire.

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