Maroc-Espagne : le sort des immigrés clandestins s’aggrave


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Après les différents assaut d’immigrés clandestins africains, à Melilla et Ceuta, les deux enclaves espagnoles au Maroc, les autorités marocaines réagissent. Arrestations, ratissages, mais aussi transport de certains des Africains à la frontière maroco-algérienne. Un jeune Sénégalais témoigne.

Jeudi matin, RFI faisait état du transfert à la frontière maroco-algérienne de centaines d’immigrés, arrêtés après les récents assauts contre les enclaves espagnoles de Melilla et Ceuta, au Maroc. Une information confirmée par Ousmane, un jeune Sénégalais de 26 ans, qui affirme se trouver en plein désert depuis 5 jours avec à peu près 500 compagnons d’infortune. Il a pu être joint sur son portable, qu’il recharge avec des piles. « Nous ne savons pas où nous sommes exactement mais nous sommes très loin des premiers villages marocains ou algériens. Comme nous n’avons presque rien à manger et à boire, 15 d’entre nous sont déjà morts depuis ces 5 jours. Nous avons des réserves de pain que nous mangeons petit à petit. Les militaires algériens refusent qu’on passe la frontière. Il y a parmi nous des femmes, des vieux, des mineurs. Ils viennent du Mali, de Côte d’Ivoire, de Guinée, du Sénégal, du Congo… Comme plusieurs d’entre nous ont des portables, on a joint nos ambassades en se regroupant par pays mais elles nous ont dit qu’elles ne pouvaient rien faire ! Alors on essaie de faire passer des messages dans les médias, chez nous, au pays, d’attirer l’attention. »

La vie d’un clandestin

Ousmane a été interpellé à Ceuta, lors d’une tentative d’assaut. « On nous a jeté en prison dans une ville, on ne sait pas où. Puis ils nous ont embarqués dans de grands camions et jetés ici. » L’initiative de cet assaut serait venue « de ceux qui ont le plus souffert ». « Certains errent dans la région depuis 6 ans, c’est très dur. Ils n’ont rien à perdre. Ils survivent dans les bois entre le Maroc et l’Espagne. » Une expérience qu’il a aussi vécu, à Ceuta. « Nous dormons dans les fourrés mais chaque semaine, des policiers viennent nous chercher. On est obligés de se cacher. On descend avant la nuit au village, qui se trouve à 7 km, pour chercher de la nourriture. Parfois, grâce à des amis rentrés au pays, nous recevons 10 ou 20 euros qui nous permettent d’acheter des vivres. Mais nous sommes attaqués par tous, même les clochards marocains essaient de nous voler ! Les policiers marocains, et surtout espagnols, sont très méchants et brutaux. Quand ils t’attrapent, ils te frappent sans relâche. »

Cela fait 3 ans qu’Ousmane a quitté sa Casamance natale pour le grand voyage vers l’Europe. « Au Sénégal, mes parents sont morts à cause de la rébellion casamançaise. Là-bas, je n’ai rien, je ne suis rien, je souffre trop. On était cinq amis et frères à partir mais trois d’entre nous ont rebroussé chemin. J’ai fait le chemin à pied, parfois en trouvant des moyens de locomotion, c’est pour ça que j’ai mis autant de temps à arriver au Maroc. » Ousmane a passé 6 mois dans les alentours de Melilla puis 4 mois à Ceuta, avant de tenter le tout pour le tout. Aujourd’hui, il est désemparé et espère que l’ambassade du Sénégal fera un geste. Pour le moment, aucune représentation diplomatique africaine n’a réagi aux assauts de ces derniers jours. Ni au sort des ressortissants subsahariens. Selon Le Quotidien d’Oran, plus de « 12 000 tentatives de passage ont été recensées depuis le début de l’année dans le secteur frontalier de Mellila ».

Brutalités policières

Jeudi matin, un assaut manqué a eu lieu dans un centre de transit de candidats à l’immigration à Melilla, enclave espagnole du nord du Maroc. « Près de cinq cents Subsahariens illégaux sont montés à l’assaut à partir du point Rostrogordo, mais ont échoué à la suite d’une intervention importante et rapide des forces de sécurité marocaines », a déclaré à l’AFP un responsable de la préfecture. Mercredi, une vingtaine de clandestins et deux agents de la garde civile espagnole avaient été blessés alors qu’un demi-millier d’Africains tentaient de forcer le double grillage métallique qui sépare le Maroc de l’enclave espagnole. 65 d’entre eux avaient alors réussi à s’infiltrer après avoir échappé aux bombes lacrymogènes et aux balles en caoutchouc utilisées par les forces de sécurité.

Deux jours plus tôt, Melilla, porte d’entrée vers la péninsule ibérique, était déjà le lieu d’une épreuve de force qui a fait 131 blessés parmi les quelque 700 clandestins ayant participé à l’action. 350 d’entre eux avaient réussi à franchir la clôture métallique. Et le jeudi 29 septembre, l’assaut de 500 personnes avait fait 5 morts. On pourrait ainsi remonter le calendrier macabre jusqu’au mois d’août dernier où plusieurs assauts du même ordre avaient eu lieu. Le précédent d’ampleur similaire remontait alors à août 2004. Face à cette situation, le Royaume chérifien veut se montrer exemplaire. Rabat a annoncé avoir interpellé 130 Noirs Africains ce week-end et mobiliser plus de 8 500 agents de sécurité dans la région. Sans compter une intensive campagne de ratissage qui a débuté lundi.

Depuis le 29 septembre, 666 candidats à l’émigration clandestine ont été arrêtés par les autorités marocaines, ce qui porte à 5 883 personnes le nombre total des immigrés clandestins interpellés depuis le début de l’année. Médecins sans Frontières dénonce, jeudi, les violences dont sont victimes les immigrés en transit de la part des forces de l’ordre marocaines et espagnoles. Un rapport établi par sa section espagnole souligne que ces immigrés sont victimes de blessures par balle, de coups, de harcèlement à l’aide de chiens, de jets de gaz lacrymogènes et de destruction de leurs biens.

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