Saddam Hussein présumé coupable


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Arrêté en décembre 2003 par les Américains, l’ancien Président irakien Saddam Hussein attend son procès dont la date n’a toujours pas été fixée. Jusqu’à très récemment, aucun avocat de la défense ne pouvait lui rendre visite. Mandaté par la famille de l’ancien homme fort de Bagdad, maître Ludot est l’auteur du livre Saddam Hussein présumé coupable. Interrogé par Afrik, il revient sur les mensonges américains et dénonce l’impérialisme dangereux de Washington.

Le procès de Saddam Hussein sera-t-il équitable ? Les avocats de la défense en doutent. Me Ludot, appelé par la famille de l’ancien chef d’Etat irakien, auteur du livre explosif Saddam Hussein présumé coupable, lève le voile sur les mensonges de l’Occident et surtout des Américains autour des deux guerres du Golfe. Il revient également sur la campagne de diabolisation de l’ancien allié des services secrets américains.

Afrik.com : Qu’est ce qui vous a poussé à devenir l’avocat de Saddam Hussein ?

Me Ludot :
Mon travail s’inscrit dans un travail collectif d’au moins 20 avocats. Je suis arrivé dans ce groupe grâce au secrétaire général de l’association des avocats arabes, qui est avocat à Marrakech. Cette association, puissante, avait décidé de s’occuper de la défense du Président Saddam Hussein et de lui donner une vraie défense avec des avocats qui accepteraient de faire un travail collectif. Pour l’instant, nous n’avons pas véritablement de rôles spécifiques. Chacun essaie, dans son pays, d’alerter à la fois l’opinion publique et les pouvoirs publics de la nécessité pour le Président Saddam Hussein d’avoir un procès juste et équitable, avec des juges indépendants. Vous constaterez que ce n’est pas le cas à l’heure actuelle. Nous avons de quoi être inquiets par la tenue de ce tribunal spécial, irakien, qui ressemble à un tribunal aux ordres des Américains et qui s’apprête à sanctionner, par la peine de mort, l’ancien régime de l’Irak.

Afrik.com : Votre livre s’intitule « Saddam Hussein présumé coupable ». Quelle est votre définition du dictateur ?

Me Ludot :
Mr Saddam Hussein est « présumé dictateur », il est « présumé monstre », et je me bats pour la présomption d’innocence. Tant qu’il n’est pas déclaré coupable par un vrai tribunal, il est présumé innocent.

Afrik.com : Croyez-vous à ce tribunal et à ces juges qui vont statuer sur le sort de Sadam Hussein ?

Me Ludot :
En fait, notre travail consiste à faire en sorte qu’il ne fonctionne pas, car il nous paraît très dangereux pour les droits de l’Homme et pour les libertés (de nos clients entre autres). Nous voulons nous battre pour que les juges soient indépendants et pour que ce tribunal siège hors de l’Irak ; ensuite nous verrons si nous acceptons de « collaborer » dans les rouages de ce tribunal. J’ajoute que la démocratie dont certains font état en Irak n’est pas une démocratie, c’est un « gouvernement fantoche » aux ordres américains.

Afrik.com : Ce procès sera-t-il celui du plus faible contre le plus fort, d’un homme contre les Etats-Unis ?

Me Ludot :
Ce sera le procès de l’Occident. Ce ne sera pas le procès du siècle, mais celui de pratiquement 20 siècles d’histoire du comportement de l’Occident en Orient.

Afrik.com : Quelles relations avez-vous avec sa famille, et les gens qui détiennent Saddam Hussein. Arrivez-vous à rencontrer votre client ?

Me Ludot :
J’ai un contact extrêmement fréquent avec la famille proche de Saddam Hussein, notamment avec l’une de ses filles qui est actuellement à Amman (Jordanie, ndlr). Je suis aussi en contact permanent avec nos confrères irakiens, membres de notre comité, qui sont sur place et qui nous rendent compte de tout le travail qu’ils font sur le territoire irakien. Nous chercherons à rencontrer les juges lorsque tous les obstacles seront levés. Pour l’instant, il y a fort à parier que je serai immédiatement abattu si je me rends en Irak. Et pas forcément par la résistance. La présence d’avocats extérieurs n’est pas souhaitée. Ni par les Américains, ni par le gouvernement en place qui nous a promis les pires horreurs si nous décidions de notre rendre sur place. On a à faire à des hommes de main de Mr Bush qui ne veulent pas d’avocats. Notre confrère Khalid Soufiani peut, depuis quelques mois seulement, visiter Saddam Hussein, mais au moment où cet ouvrage est paru, aucun avocat n’avait pu le rencontrer.

Afrik.com : Pensez-vous que vous pourrez vous rendre tout de même en Irak pour le procès ?

Me Ludot :
Mon combat n°1 est de me rendre dans des conditions convenables en Irak, car je dois m’occuper de Saddam, mais aussi d’autres personnes, notamment Tarek Aziz, qui a près de 70 ans et qui est malade. Tarek Aziz n’a pas de sang sur les mains. Il n’a fait qu’un travail de diplomate et pourtant, il est entre les mains des geôliers irakiens, qui sont sous les ordres des Américains. Là, c’est un combat pour les droits de l’Homme, mais curieusement, la Ligue des droits de l’Homme ne s’intéresse pas à lui.

Afrik.com : Vous dites que Tarek Aziz n’a pas de sang sur les mains. Peut-on en dire autant de Saddam Hussein ?

Me Ludot :
Je ne suis pas un procureur mais un avocat et en l’état des pièces que je connais, je dis qu’il n’est pas établi que Saddam Hussein ait du sang sur les mains.

Afrik.com : Connaissiez-vous réellement Saddam Hussein ?

Me Ludot :
Je peux vous dire que c’est la CIA qui est allé le chercher en Egypte. Je peux vous dire que c’est la CIA qui l’a installé au pouvoir et je peux vous dire que les Américains se sont servi de lui. Tout comme les Français. Je peux vous dire, par ailleurs, que la guerre du Koweït, qui est l’une des charges que l’on reproche à Saddam Hussein, est une guerre qui a été voulue par les Américains. Je pense qu’on a à faire à quelqu’un qui a été le pilier de l’Occident pendant 50 ans. Il a compté sur lui pour asseoir la stabilité du Moyen-Orient et du prix du pétrole.

Afrik.com : La guerre en Irak a été voulue par les Américains ?

Me Ludot :
La guerre Iran/Irak a été voulue et provoquée par les Etats-Unis et par les Français. Les Américains et les Français avaient très peur de la révolution iranienne. Lorsqu’ils ont vu arriver Khomeiny, ils ont vu arriver le pouvoir chiite au Moyen-Orient. Ils se sont dit que les chiites iraniens allaient s’allier avec les chiites irakiens, qui représentent, je vous le rappelle, 60% de la population irakienne. Or Saddam Hussein est un sunnite. Ils ont provoqué la guerre en Iran pour affaiblir les chiites. Et ont armé Saddam pour cela. Il faut arrêter cette hallucinante hypocrisie. Tous les pays occidentaux et tous les dirigeants politiques ont mis la main dans le pot de confiture irakien. L’Irak est et a été un champ de convoitises qui a aiguisé toute sorte d’appétits financier, de malhonnêteté et de corruption.

Afrik.com : Que faut-il penser d’un des principaux justificatifs américains pour leur intervention en Irak, à savoir « apporter la démocratie aux Irakiens » ?

Me Ludot :
Il y a malheureusement encore beaucoup de pays dans le monde qui ne sont pas des démocraties à l’occidentale. Si les Américains se mettent à imposer la démocratie dans tous les pays où elle n’existe pas, la planète entière va s’embraser. Les Américains ne sont pas des marchands de bonheur. Et d’ailleurs, on ne leur a rien demandé. Rappelons qu’ils sont arrivés tel Alexandre le Grand en Irak, sans mandat de l’Onu. Le discours du Président Truman au moment où les troupes américaines pénètrent au Japon est exactement le même que celui que les Américains ont tenu quand ils ont pénétré en Irak. Il s’agit à chaque fois de « rétablir la démocratie ». Ce qui signifie que l’idéologie impérialiste américaine n’a pas changé d’un iota.

Afrik.com : Etes-vous anti-américain ?

Me Ludot :
Je cherche avant tout une prise de conscience des pays occidentaux pour qu’ils sachent que tous les pays sont, à long terme, menacé par un impérialisme américain aujourd’hui tourné vers le Moyen-Orient. Ce procès sera l’occasion de dénoncer haut et fort les projets des Etats-Unis.

Afrik.com : Que pensez-vous du fait qu’on parle de terrorisme en Irak et qu’on prête à telle ou telle action des accointances avec les réseaux Ben Ladden ?

Me Ludot :
Il faut faire une différence entre la résistance irakienne et le terrorisme. L’amalgame qui est fait entre la résistance irakienne et les réseaux Ben Ladden est abusif et intellectuellement malhonnête. Je considère la résistance irakienne comme juste. En 1940, les résistants français n’étaient-ils pas considérés comme des terroristes ?

Afrik.com : Ne violez-vous pas le secret d’instruction en publiant un livre sur Saddam Hussein en pleine procédure ?

Me Ludot :
Je ne peux pas violer le secret de l’instruction parce qu’il n’y a pas eu d’instruction. Il n’y a pas de juge d’instruction et je n’ai eu accès à aucune pièce du dossier. La seule instruction qu’il y a est celle menée par la CIA. Les documents et les informations que j’ai pu obtenir ne sont le fruit que de mes recherches personnelles. J’ai décidé de faire un livre choc dans le but de provoquer la polémique. J’ai volontairement fait en sorte d’être brutal dans mes propos pour obliger le lecteur à se poser des questions et à réfléchir pour ne pas accepter le chewing-gum américain de Monsieur George Bush. Les Américains avaient besoin d’un prétexte pour intervenir militairement au Moyen-Orient.

Afrik.com : Peut-on juger un chef d’Etat pour avoir décidé d’envahir un autre pays ?

Me Ludot :
Nous sommes les avocats d’un homme et non celui d’un régime. Je n’ai pas à juger un régime ou sa politique internationale. Un acte de guerre d’un pays envers un autre est le comportement d’un pays, pas celui d’un homme. Reprocher à l’Irak d’être entré en guerre contre le Koweït c’est comme si l’on reprochait aux Etats-Unis d’être entré en guerre contre le Vietnam dans les années 70 ! Je veux donc qu’on en reste à l’homme et à ses éventuelles fautes commises, par rapport au code pénal irakien.

Afrik.com : Toute l’Amérique était derrière George W. Bush pour la guerre en Irak. Comment expliquer ce soutien, un peu naïf, quand on a rapidement su que les fameuses armes de destruction massive n’avaient jamais existé ?

Me Ludot :
La politique américaine repose sur l’habileté de la communication. Les Américains ne communiquent plus politiquement que par la télévision et la religion. Il y a des lobbys très puissants qui ont soutenu la propagande médiatique. Nous avons les catholiques extrémistes qui tiennent Bush. Les télévangélistes sont très puissants dans le pays. Ils distillent un discours moralisateur et culpabilisateur. Le Président américain est également tenu par le complexe militaro-industriel qui veille à ses intérêts.

Afrik.com : Vous expliquez dans votre livre que nous avons été complètement manipulés par les médias. Comme ces mensonges sur les marées noires et le sabotage irakien des puits de pétrole koweitiens.

Me Ludot :
Nous avons démontré par des clichés photographiques qu’il y avait eu un montage grossier quant aux marées noires en Irak. On nous a montré les images d’autres marées noires, de l’Erika ou de l’Amoco Cadiz (marées noires qui ont eu lieu près des côtes françaises, ndlr). On y voyait des cormorans englués alors que cet oiseau n’existe pas au Koweït. On nous a également menti sur les puits de pétrole. Je sais de source sûre que les explosifs avaient été placés par les Américains ! Il n’y a aucun doute là-dessus. Par ailleurs, que penser du fait que les princes koweïtiens se sont réunis à Londres, avant même que les puits de pétrole n’explosent, pour préparer financièrement leur reconstruction ?

Afrik.com : Vous dites également que beaucoup de monde s’est enrichi

Me Ludot :
Les sociétés proches de Bush et de Dick Cheney (alors vice-président, ndlr) ont effectivement gagné énormément d’argent avec la reconstruction du Koweït. Une reconstruction qui a coûté au bas mot 16 milliards de dollars à l’Irak. Il y a eu un système d’indemnisation gangrené, avec des factures gonflées, multipliées par deux par trois, voir par dix. Des princes koweitiens se sont enrichis notamment à travers la Koweit Oil Compagnie, et ont gagné des milliards de dollars, avec des chiffres tronqués. Considérant le contexte, c’est un système d’enrichissement totalement odieux. Il y un dossier de corruption à l’Onu qui a donné des poursuites, actuellement en cours.

Afrik.com : Votre ouvrage est-il édité aux Etats-Unis et l’avez-vous envoyé à George W Bush ?

Me Ludot :
Je n’ai pas trouvé d’éditeur assez courageux pour publier le livre aux Etats-Unis. Et je n’ai pas envoyé l’ouvrage à Bush, ouvrage que Michael Moore (réalisateur subversif américain dont les documentaires mettent en lumière la manipulation du peuple américain par le pouvoir, ndlr) devait initialement préfacer. En revanche, je l’ai fait parvenir via la Croix Rouge à Saddam Hussein qui l’a trouvé conforme à la réalité.

Afrik.com : Saddam Hussein a-t-il encore un avenir politique ?

Me Ludot :
Je suis certain que Saddam a encore un avenir politique. Il a une véritable aura au Moyen-Orient. Les gens aiment celui qui a osé s’opposer aux Américains. Il représente beaucoup, c’est une fierté arabe.

 Maître Ludot, Saddam Hussein présumé coupable, Editions Carnot, 2004

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