Bénin : les réfugiés togolais à l’école


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Philippe Duamelle

Quelque 1 600 enfants et adolescents togolais réfugiés au Bénin ont commencé à suivre des cours, ce lundi, dans les camps de Comè et Lokossa. Une initiative de l’agence des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) destinée à leur permettre de retrouver un semblant de vie normale. Les leçons sont dispensées par des professeurs togolais, eux-mêmes en exil, qui ont répondu à l’appel de l’Unicef avec enthousiasme. Interview de Philippe Duamelle, représentant de l’Unicef au Bénin.

Ce lundi marquait la rentrée des classes dans les camps de réfugiés béninois de Comè et Lokossa. Quelque 1 600 écoliers, collégiens et lycéens togolais sont concernés par cette initiative, mise en place par l’agence des Nations Unies pour l’enfance (Unicef). L’objectif est de leur permettre, autant que faire se peut, de retourner à une vie normale et équilibrée. Les cours sont dispensés bénévolement par 53 enseignants togolais recrutés dans les camps. Interview de Philippe Duamelle, représentant de l’Unicef au Bénin.

Afrik.com : Dans quel climat s’est déroulé la rentrée ?

Philippe Duamelle :
Il y a eu un bel élan de solidarité. Tout le monde est assez content de cette rentrée : les parents, comme les enfants et les enseignants. Certains enfants, arrivés la veille avec leurs parents, étaient d’ailleurs déçus de ne pas pouvoir rentrer avec les autres. Ils se sentaient un peu mis à l’écart. mais nous leur avons expliqué que pour aller à l’école, il suffisait de s’inscrire. C’était vraiment un moment agréable à vivre, malgré la vie difficile dans les camps de réfugiés.

Afrik.com : Combien y a-t-il d’enfants et de professeurs dans chacun des deux camps ?

Philippe Duamelle :
A Comè, il y a un peu plus de 500 enfants et 19 professeurs. A Lokossa, on compte un peu plus de 1 000 enfants et 34 professeurs.

Afrik.com : Pourquoi avoir décidé de scolariser les enfants et les adolescents des camps ?

Philippe Duamelle :
Cela fait partie de notre mandat lorsqu’il y a des réfugiés externes ou internes et qu’une action humanitaire est mise en place. Nous faisons toujours notre possible pour scolariser les enfants le plus rapidement possible pour leur permettre de retrouver une activité structurée, rythmée, et donc une normalité. C’est un facteur d’équilibre psychologique.

Afrik.com : Comment avez-vous recruté les professeurs ?

Philippe Duamelle :
Nous avons fait un appel dans les camps pour identifier les professeurs. Cela n’a pas été difficile car ils étaient très enthousiastes pour reprendre la craie et le tableau noir. Nous avons eu plusieurs réunions avec les enseignants pour leur expliquer ce que nous attendions d’eux et nous leur avons fait une formation de quelques jours concernant la prise en charge psychologique des enfants, pour qu’ils puissent repérer ceux qui sont profondément traumatisés.

Afrik.com : Les professeurs sont-ils rémunérés pour leur travail ?

Philippe Duamelle :
Pour l’instant, leur travail est complètement bénévole. Mais après un certain temps, il faudra penser à une rémunération ou une compensation.

Afrik.com : Que se passe-t-il pour les enfants qui sont très traumatisés ?

Philippe Duamelle :
Ceux qui souffrent d’un traumatisme profond (qui se caractérise notamment par des problèmes de concentration, un comportement asocial, caractériel, violent…) sont amenés devant les psychologues avec lesquels nous travaillons. Si les psychologues estiment qu’ils peuvent suivre l’école en même temps que les séances avec eux, ils poursuivront les cours. Les plus traumatisés seront pris en charge de façon plus poussée. Mais pour l’instant, le sentiment qui domine est l’excitation. Les élèves étaient très attentifs aux maîtres. Retourner à l’école était important pour les enfants.

Afrik.com : Comment se déroulent les cours ?

Philippe Duamelle :
Ceux qui ont des examens à passer étudient le matin et le soir pour rattraper le retard, et les autres suivent des cours en rotation, c’est-à-dire que certains ont cours le matin et d’autres l’après-midi.

Afrik.com : Où les examens seront-ils passés ?

Philippe Duamelle :
Le ministère béninois de l’Education Primaire et Secondaire a donné son accord pour que les Togolais puissent passer le certificat d’études (pour les primaires) et le BEPC (pour les collégiens) dans les établissements béninois. Nous attendons confirmation du ministère des Etudes Supérieures pour les bacheliers. Mais, d’après nos indications, ça devrait se faire.

Afrik.com : Sur quels manuels travaillent les Togolais ?

Philippe Duamelle :
Ils reçoivent exactement sur les mêmes cours que dans leur pays. L’Unicef a acheté au Togo les manuels nécessaires et les a acheminés au Bénin.

Afrik.com : Pensez-vous que les élèves parviendront à rattraper leur retard ?

Philippe Duamelle :
Il faut savoir que l’année scolaire a commencé avec trois mois de retard au Bénin, suite à des grèves l’année passée. Les examens ont donc été repoussés de fin juillet à courant août, ce qui laisse plus de temps aux élèves pour se préparer.

Afrik.com : Les parents vous ont-ils apporté leur aide ?

Philippe Duamelle :
Des parents d’élèves ont commencé à nous aider au moment où nous fabriquions les classes, notamment en nivelant avec nous le terrain, pour que les enfants soient bien installés. Des comités de parents se sont même constitués. Nous avons eu une discussion avec eux ce lundi matin où nous leur avons notamment demandé de s’impliquer dans la gestion et l’entretien de l’école. Ils se sont impliqués jusqu’à présent et j’espère qu’ils s’impliqueront encore.

Afrik.com : Vous expliquez dans le communiqué qu’il fallait sensibiliser les parents « pour qu’ils déchargent leurs enfants des corvées domestiques et les envoient à l’école ». La sensibilisation a-t-elle été difficile ?

Philippe Duamelle :
Il y avait une foule d’enfants, les camps en étaient vidés. Ce qui prouve que la sensibilisation, menée entre autres par le comité de réfugiés et les professeurs, a très bien marché. Mais, avant l’école, comme dans la plupart des villages africains, les enfants devaient aller chercher de l’eau, du bois, laver le linge…

Afrik.com : Quand prendront fin les cours ?

Philippe Duamelle :
Nous n’avons pas prévu de date. Les cours se poursuivront même après les examens pour véhiculer des notions d’hygiène, de comportement sanitaire et de civisme à l’intérieur du camp. En dehors des cours, il y a tout un message de prévention à faire passer, notamment, en ce qui concerne les plus âgés, par rapport au VIH/sida. Et puis, les enfants viennent de rentrer, nous n’allons pas déjà leur parler de vacances ! (rires)

Afrik.com : Vous avez lancé un appel de fonds d’urgence à la communauté internationale. De combien d’argent avez-vous besoin pour faire fonctionner les écoles ?

Philippe Duamelle :
Nous nous sommes projeté sur une période de six mois pour lancer cet appel. Pour couvrir toutes nos actions (éducation, eau, assainissement, prise en charge des enfants non accompagnés et la recherche de leur famille…), nous avons besoin de 1 250 000 dollars, dont 395 000 pour assurer l’éducation des Togolais dans les camps de réfugiés, mais aussi dans les écoles béninoises qui les prennent en charge. Nous avons une action très ciblée sur ces écoles, car sinon ces dernières auraient du mal à gérer la situation.

Afrik.com : Ces enfants placés dans des écoles béninoises l’ont été par leurs parents réfugiés chez des amis ou des proches ?

Philippe Duamelle :
Sur les 19 000 réfugiés enregistrés, seuls 7 000 sont dans les camps. La différence est effectivement réfugiée chez des amis ou des proches. Nous allons tout faire pour aider à la scolarisation des enfants, qu’ils soient enregistrés comme réfugiés ou non.

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