Zap Mama, l’imaginaire au service du rêve


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Zap Mama
Zap Mama

Marie Daulne est Zap Mama. L’artiste belgo-congolaise de renommée mondiale revient avec Ancestry in Progress, une production métisse à son image et à celui de son parcours. Parcours sur lequel elle revient pour Afrik. Elle nous explique également sa conception de la musique et son rôle auprès du public. Voyage au cœur d’un imaginaire vertueux.

Quatorze années de carrière et toujours la même inspiration renouvelée. Zap Mama fait figure de valeur sûre dans la musique internationale. Marie Daulne tire sa force de profondes racines africaines et d’un profond respect de valeurs humanistes. L’artiste belgo-congolaise revient avec une nouvelle production, Ancestry in Progress, un album soul chaleureux, où l’on notera entre autres la présence d’Erykah Badu. Il s’agit, encore et toujours, pour elle de donner du rêve à son public et de partager son univers. Comment travaille-t-elle ? Comment a évolué sa musique ? Quels liens entretient-elle avec le Continent. La star se confie à Afrik.

Afrik.com : Que signifie Zap Mama ?

Marie Daulne : « Z » parce que c’est ma lettre favorite. J’aime bien sa musicalité de son son. Zap pour signifier qu’on passe d’une culture à l’autre. Mama pour la mama terre, la terre mère. On naît tous d’une maman et nous sommes tous des enfants de la Terre.

Afrik.com : On décrit initialement en France Zap Mama comme un groupe féminin a capella. Or il y a eu toute une évolution musicale depuis. Pourriez-vous nous en expliquer les grandes phases ?

Marie Daulne : Zap Mama a effectivement commencé par l’a capella. Nous avons travaillé cinq ans uniquement sur des compositions vocales. Puis nous avons arrêté le concept pour aller plus loin dans le mélange. Nous avons introduit les instruments pour donner aux voix un autre support. Essentiellement des instruments traditionnels pour retrouver des sons populaires africains, comme la guitare congolaise ou les basses d’Afrique de l’Ouest. Un univers que nous avons exploré pendant sept ans. La troisième étape a commencé quand je suis allée aux Etats-Unis avec mon bagage musical à la rencontre du hip-hop. J’avais été séduite par ce que faisait les Roots et notamment un des membres du groupe, Razel, avec ses performances en human beat boxing (boîte à rythme humaine, ndlr). La rencontre a été magnifique. Ils m’ont invitée sur leur album et moi sur le mien.

Afrik.com : Dans vos performances scéniques, vous vous attachez à recréer tout un univers particulier. Pourquoi ?

Marie Daulne : Je suis entière dans mon show. Comme en Afrique, où les costumes et la danse font intimement partie du spectacle. J’agis ainsi également pour représenter à sa juste valeur la culture africaine.

Afrik.com : Votre dernier album, Ancestry in Progress, est très soul. Est-ce une nouvelle étape de votre parcours musical ?

Marie Daulne : Je considère qu’il n’y a pas vraiment de frontière entre tout ce que j’ai pu faire. Quand je faisais de l’a capella, je faisais de la soul, du reggae et plein d’autres choses. Si aujourd’hui on ne sait plus où me classer, le travail de polyphonie reste le même. Une essence qui a d’ailleurs inspirée beaucoup de DJ. Je travaille désormais directement à partir de la première créativité. Mais il y a des rythmes que les Américains ne savent pas produire, comme le sebene (rythme congolais, ndlr). J’ai donc dû enlever un titre dans l’album. J’ai dû en produire un autre moi-même, le morceau afro-beat « Zap Bébés ».

Afrik.com : Comme Les Nubians, vous avez une plus grande notoriété aux Etats-Unis qu’en France. Le public français n’est-il pas encore prêt pour votre musique métissée ?

Marie Daulne : Je suis en effet très étonnée par cela. Je me demande toujours pourquoi je ne suis pas plus reconnue en France. Ceux qui détiennent les radios et les télévisions se ferment à certaines musiques. Au niveau du public, il est impossible qu’il y ait fermeture, puisque le métissage est aujourd’hui un des traits de la population française. Je ne comprends pas la frilosité et le conservatisme des médias français.

Afrik.com : Comment composez-vous ?

Marie Daulne : Comme les personnes qui font des musiques de films, je compose avec le visuel. Celui qui j’ai dans mon imaginaire. J’illustre l’histoire que j’ai en tête en musique. J’explique à chaque musicien le rôle qu’il va avoir. Untel représentera les personnages, untel le temps, l’autre la lumière. S’ils n’arrivent pas à me suivre, je leur donne les accords.

Afrik.com : Comment avez-vous développé une tel processus créatif ?

Marie Daulne : J’ai fait une école d’art et de peinture. Je peignais uniquement en musique. Elle m’inspirait et m’influençait. Au fur et à mesure, je recherchais des musiques spécifiques pour faire tel type de peinture. Au bout d’un moment, je ne trouvais plus ce que je voulais. Alors je me suis mis à faire mes propres mixtes. Et il m’arrivait de chanter par-dessus. Je préparais ma musique pendant une heure ou deux pour pouvoir peindre. Je me suis ensuite achetée du matériel pour mieux composer mes sons. Et quand j’ai vu que j’étais limitée dans mes accords, j’ai quitté l’école de peinture pour une école de musique.

Afrik.com : Vous avez fait un titre avec Erykah Badu, une artiste qui développe également un puissant imaginaire. Comment s’est passée la rencontre ?

Marie Daulne : Se sont deux imaginaires qui se sont rencontrés et qui se sont mutuellement enrichis. Erykah Badu n’a jamais été en Afrique. Elle voit l’Afrique à travers son imaginaire. Un imaginaire où elle m’a invitée pour que je lui fasse partager le mien.

Afrik.com : Quel est le rôle de l’imaginaire ?

Marie Daulne : Faire rêver.

Afrik.com : Mais n’est-il pas dangereux de véhiculer une image d’une Afrique imaginée ?

Marie Daulne : Je ne parle pas ici en tant que Marie Daulne, mais en tant que Zap Mama. A partir du moment où on est artiste, en faisant rêver les gens, on nourrit leur propre imaginaire. C’est un peu une vision que l’on peut avoir d’un prince ou d’une princesse. Dans la culture européenne, nous avons Blanche Neige, pourquoi ne pourrions-nous pas avoir une « Noire d’Ebène » dans notre imaginaire ? Pour autant, je reste réaliste par rapport à certaines réalités.

Afrik.com : Quel rapport gardez-vous avec l’Afrique ?

Marie Daulne : Il y a cinq ans, j’ai fait une tournée dans toute l’Afrique de l’Est via le réseau de l’Alliance française. Mais la maison de disque n’est absolument pas branchée sur ce type de tournée à l’heure actuelle.

Afrik.com : L’ambiance de l’Afrique ne vous manque-t-elle pas ?

Marie Daulne : Je cherche et je retrouve l’Afrique partout où je suis. Quand j’étais à Harlem, j’étais en Afrique, car on y retrouve d’importantes communautés africaines. Des Sénégalais, des Ivoiriens, des Ghanéens…Je ne parle pas ici des Africains-américains mais de la diaspora directement africaine. Ce sont deux choses et deux cultures différentes.

Par Nabila Benladghem

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