Didier Péclard : « Il n’y a pas de paix sociale en Angola »


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Didier Péclard

Les Angolais se rendent aux urnes ce vendredi pour élire leur président au suffrage indirect. Suite à la révision de la constitution en 2010, c’est désormais le dirigeant du parti vainqueur des législatives, qui devient président. Le pays renoue peu à peu avec la paix après des décennies de guerre civile. Mais cette paix est encore fragile. La manne pétrolière qui lui a permis de connaître un boom économique ces dernières années n’a pas profité à toute la population. Denis Péclard, chercheur spécialiste de l’Angola à la Fondation suisse pour la paix, décrypte un pays dont l’image reste marquée par la guerre civile.

Afrik.com : Le parti au pouvoir devrait remporter les élections générales. Si c’est le cas, y a-t-il un risque que le pays replonge dans une crise politique, pis une guerre civile ?

Didier Péclard : Le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) va en effet sans doute remporter les élections. Je ne vois pas comment il en sera autrement. Le MPLA reste légitime aux yeux d’une bonne partie de la population. Maintenant, c’est la marge avec laquelle il remportera le scrutin qu’il sera intéressant d’analyser. En 2008, le MPLA a obtenu 82% des suffrages. Il y a eu bien sûr eu des accusations de fraudes de la part de l’opposition parce que la situation était trouble à Luanda lors du scrutin et que des bureaux de vote n’ont pas été ouverts. Cela a laissé supposer qu’il y avait eu des bourrages d’urnes, ce qui est fort probable. Cela dit, même sans fraudes, le MPLA aurait remporté les élections. L’opposition ne fait pas le poids face au pouvoir. Je ne pense pas qu’il y ait un risque que le pays replonge dans la guerre civile ou militaire. En tous cas, je ne vois pas en quoi une nouvelle défaite de l’opposition pourrait relancer la guerre. Mais il est possible qu’il y ait des troubles sociaux et des contestations.

Afrik.com : L’Unita s’est toujours confrontée au MPLA mais peine à s’imposer. Aujourd’hui, quel est son poids dans le pays ?

Didier Péclard : L’opposition est divisée. Elle peine à développer un discours qui soit autre chose que des critiques envers le pouvoir. Néanmoins, l’Unita semble avoir durant la campagne repris du poil de la bête. Est-ce que ce sera suffisant ? Rien n’est moins sûr. L’Unita a encore une légitimité au sein de la classe politique angolaise même si son score a été très faible lors des élections de 2008. Le parti a encore une force sociale dans le pays. Historiquement, il représente des couches importantes de la population, entres autres, ce qu’on appelle « L’Angola de l’Intérieur ». Après la mort de son leader, l’Unita a dû se reconstruire et retrouver un nouveau discours. Le parti a en effet toujours mis en avant la défense de l’Angola profonde, en quelque sorte l’Angola noire contre la domination de l’élite métisse issue des 500 ans de colonisation portugaise. Un discours qui virait parfois au racisme. Depuis, la population s’en est peu à peu lassée. En 2008, lors des élections législatives, l’Unita n’a pas osé reprendre ce discours. Il s’est contenté d’affirmer qu’il représentait les exclus.

Afrik.com : Le président angolais est désormais élu à suffrage indirect suite à la révision de la constitution en 2010. Pourquoi le parti présidentiel a-t-il modifié la constitution s’il était certain de se maintenir au pouvoir ?

Didier Péclard : La nouvelle constitution a aboli l’élection du président par suffrage universel direct. De fait, un président (de la République) n’a jamais été élu en Angola. Agostinho Neto a pris le pouvoir au nom du MPLA après la décolonisation précipitée du pays en 1975. Et José Eduardo Dos Santos a été désigné comme son successeur par le bureau politique du MPLA en 1979, alors encore parti-Etat marxiste-léniniste. En 1992, les élections présidentielles n’ont pas pu être menées à terme. A l’issue du premier tour, ni Dos Santos ni Savimbi n’avaient obtenu de majorité absolue. Mais le second tour n’a jamais pu se tenir du fait de la reprise de la guerre civile qui a éclaté quelques semaines à peine après le scrutin. En 2008, le MPLA a obtenu un score historique de 82% des voix lors des législatives. Des élections présidentielles auraient dû se tenir dans la foulée, mais elles ont été repoussées à plusieurs reprises. Le président sortant a ensuite annoncé qu’il ne perturberait pas la législature en cours et qu’il préférait attendre l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution. A l’époque, il n’était pas encore clair que le scrutin présidentiel disparaîtrait.

Afrik.com : En modifiant la constitution, quel était l’objectif du MPLA ?

Didier Péclard : D’abord, il aurait été difficile pour le président Dos Santos de se faire élire avec un score aussi élevé que celui de son parti en 2008. Il aurait également été délicat pour lui d’être personnellement moins bien élu que le parti, surtout dans un système si centralisé. Ensuite, le président Dos Santos est connu pour ses talents de stratège hors pair. En revanche, il est moins à l’aise en tant qu’orateur et il est possible qu’il ait craint de se retrouver dans des situations difficiles pendant la campagne, par exemple lors des débats contradictoires retransmis à la télévision. Enfin et surtout, il faut voir ceci comme faisant partie d’une concentration progressive, mais très forte, du pouvoir entre les mains du président et de son cercle d’intimes. Abolir le scrutin présidentiel, c’est signifier symboliquement que la gouvernance du président ne doit pas faire l’objet d’un débat sur la place publique. Je pense que la nouvelle constitution est un marqueur de l’entrée du pays dans un système « d’hyperprésidentialisme autoritaire ». Car ce nouveau mode de scrutin est plutôt associé à des systèmes parlementaires forts. Tout cela en dit long aussi sur la façon dont le MPLA et son leader se sont accaparés la gestion de l’Etat.

Afrik.com : Cela fait 33 ans que le président José Eduardo Dos Santos est au pouvoir. Quel est son bilan ?

Didier Péclard : Le président Dos Santos veut être perçu comme celui qui a instauré la paix en Angola, suite à la défaite militaire en 2002 de Jonas Savimbi, chef de l’Unita. Mais la paix a eu un coût humain très élevé. Il veut aussi passer pour celui qui a permis la reconstruction de l’Angola, notamment les routes et les ponts, réhabiliter les hôpitaux… Tout cela n’est que la face visible de l’Angola. La face cachée ? Il n’y aucune redistribution des richesses. La grande partie de la population n’a pas reçu les dividendes promis de la paix. Ce n’est pas étonnant d’ailleurs que le MPLA ait remis au cœur de son programme la redistribution des richesses, en promettant à la population d’améliorer ses conditions de vie, après la reconstruction du pays. Le président Dos Santos sait qu’il doit le faire ! Le régime est conscient qu’il ne peut pas continuer à négliger la lutte contre la pauvreté, très faible dans le pays. Il y a un sous-investissement dans le domaine de la santé et de l’éducation, notamment à Luanda, la capitale du pays, où la majorité de la population vit.

Afrik.com : Peut-on dire que l’Angola est un pays aujourd’hui en paix?

Didier Péclard : L’Angola est en paix depuis la défaite militaire de l’Unita en 2002 qui a permis d’apaiser le pays. Cependant, la paix est encore fragile. Il y a encore des tensions, notamment dans la province du Cabinda. Il n’y a pas de paix sociale en Angola. Le pays est marqué par des décennies de guerre civile. Il est divisé entre une élite riche et une majorité de la population très pauvre. Les manifestations de février 2011 contre le pouvoir, menées par des jeunes, montrent que les tensions sont toujours présentes. Ces manifestations sont inédites car il n’y a pas de tradition de contestation populaire en Angola. Cela remonte au milieu des années 70, les mouvements de révolte ont été réprimés dans le sang suite à la tentative de coup d’Etat. Cet évènement a marqué les Angolais : ils ont encore beaucoup de difficulté à descendre dans la rue.

Afrik.com : D’autant que les manifestations sont violemment réprimées ?

Didier Péclard : La répression est toujours forte à l’encontre des manifestants. Ils sont souvent sévèrement battus. D’ailleurs peu de personnes manifestent car la peur de la répression est toujours présente. Le pouvoir envoie généralement une milice semi-privée, qui n’est pas vraiment la police pour disperser les rassemblements. C’est pour cela que les mouvements de contestations peinent à prendre de l’ampleur. La société civile est très faible en Angola : on ne peut pas la comparer au Mouvement du M23 au Sénégal pour ne prendre que cet exemple. Ces manifestants ont le soutien de certains partis d’opposition et de la société civile. Il n’y a pas de relais au sein du pays qui puisse articuler les revendications des jeunes à celle, par exemple, des paysans. Certains rappeurs n’hésitent plus à contester le pouvoir à travers leur musique, incitant les jeunes à descendre dans la rue. Un célèbre rappeur angolais a ainsi appelé à manifester lors de l’une de ses représentations. Ces contestations, qui ont éclaté suite aux révoltes arabes, sont symboliques. Il n’y avait eu aucune manifestation depuis 30 ans.

Afrik.com : Le fait que le MPLA et l’Unita monopolisent la vie politique n’est-il pas un frein à la pluralité démocratique en Angola ?

Didier Péclard : C’est effectivement un des grands problèmes de la vie politique angolaise et l’une des raisons de l’échec des élections de 1992. Il y a une vraie difficulté à trouver une alternative à ces deux partis. Les déçus du MPLA ont essayé d’agrandir leurs bases de soutien et formé leur parti, intitulé Bloc démocratique, mais sans succès. Un nouveau parti d’opposition, La Casa, est né en janvier. C’est une scission de l’Unita : pas sûr qu’il puisse se faire entendre par les Angolais. Jusqu’à présent aucun parti n’a réussi à créer une grande coalition qui permettrait d’imposer un candidat.

Afrik.com : Sur le plan économique, c’est la problématique de la redistribution des richesses qui s’est fait jour. Une classe moyenne a tout de même émergé ?

Didier Péclard : La situation est nuancée car le régime essaye, à sa façon, de redistribuer les richesses. Ainsi entre les très riches et les très pauvres, il y a du monde qui profite du boom économique, notamment les fonctionnaires ou les cadres qui constituent cette classe moyenne. Cependant, elle n’est pas entrepreneuriale. D’autre part, il y a une vraie misère sociale, surtout dans les « Musseques », les bidonvilles de Luanda. Il y a aussi une extrême pauvreté dans les zones rurales. Certaines études, concernant la situation alimentaire du pays, sont alarmantes. Au moins un tiers de la population est sous-alimentée. Ce qui est très étonnant pour un pays riche comme l’Angola. Il y a aussi beaucoup des problèmes de redistribution des terres en Angola. Les populations rurales peinent à y avoir accès.

Afrik.com : La capitale de l’Angola, Luanda, s’est beaucoup développée ces dernières années. Elle a même été désignée comme la ville la plus chère du monde en 2011. Sans compter qu’une nouvelle cité pharaonique, Nova Cidade de Kilamba, y a été construite par des entreprises chinoises. Mais elle est toujours inhabitée. Comment expliquez-vous ces aberrations ?

Didier Péclard : Luanda est une ville qui s’est développée dans les années 60. Elle s’est agrandit peu à peu pour accueillir 300.000 personnes au moment des indépendances. Aujourd’hui, la ville a d’énormes problèmes d’engorgement. Une des solutions du gouvernement est l’extension de la ville vers le Sud pour les riches. L’autre solution, c’est la cité immense construite par les entreprises chinoises. Elle doit accueillir au moins 100 000 personnes. L’objectif est de répondre aux problèmes d’urbanisation, avec la construction d’immeubles qui prennent moins d’espace. Mais les prix de ces logements sont inabordables pour l’Angolais moyen. Le gouvernement affiche une volonté d’avancer à marche forcée vers le développement. Je pense que le modèle chinois de développement doit impressionner les autorités angolaises.

Afrik.com : De quand date le boom économique angolais ?

Didier Péclard : Le développement économique de l’Angola n’est pas si récent. Il a commencé à la fin des années 60. Le pétrole a été exploité très rapidement. A partir de 2002, la paix s’est installée de façon plus durable, ce qui a permis au pays de connaître un boom économique avec une progression du PIB très importante. Mais le pétrole profite toujours à la caste au pouvoir. Le pétrole cimente le régime de José Eduardo Dos Santos. C’est ce qui lui a permis de rester aussi longtemps au pouvoir. Une bonne partie de la redistribution de la manne pétrolière est clientéliste. Nous parlions d’immobilier tantôt : il n’y a que ceux qui profitent des revenus du pétrole qui ont les moyens d’investir dans le secteur.

Afrik.com : De plus en plus de Portugais vont tenter leur chance en Angola pour fuir la crise économique, qui ravage leur pays, et profiter de la florissante croissance angolaise. Que peut-on dire sur ce phénomène ?

Didier Péclard : Le nombre d’immigrés portugais en Angola est impressionnant. La relation économique entre les deux pays n’a jamais été interrompue. Le plus étonnant, c’est que le sens du transfert d’argent s’est inversé. C’est désormais les immigrés portugais en Angola qui envoient de l’argent à leurs familles au Portugal. Les opérateurs portugais sont nombreux dans le secteur du bâtiment. Le pays est en plein boom économique, il y a donc une espèce d’élan au Portugal à aller vivre en Angola. Il ne faut pas oublier que l’Angola était considéré à l’époque coloniale comme le joyau de la couronne portugaise. Mais l’arrivée des migrants portugais dans le pays donne parfois lieu à des conflits. Certains de ces migrants portugais sont nostalgiques de l’ère coloniale : de nombreux entrepreneurs se plaignent que les autorités leur mettent des bâtons dans les roues.

Afrik.com : L’Angola possède un important régiment militaire en Guinée-Bissau, miné par les coups d’Etat à répétition. L’opposition bissau-guinéenne a réclamé le départ de ce contingent et ce départ a été annoncé par Bissau. Cette situation complexe renvoie à la place de l’Angola sur la scène internationale. Quelle est-elle ?

Didier Péclard : L’annonce du retrait des troupes angolaises par la Guinée-Bissau doit cacher beaucoup de choses. La situation est confuse et les troupes angolaises sont toujours là. L’impression qu’on a, c’est que l’Angola cherche à s’imposer comme une puissance en Afrique de l’Ouest afin de faire face au Nigeria. Le pays est très courtisé pour ses ressources naturelles, mais peine à se faire une place sur la scène internationale. Toutes les stratégies mises en place par le régime ont échoué. L’Angola a dû mal à se défaire de son passé et de son image associée à la guerre civile. Elle n’est pas perçue comme capable d’obtenir la paix en Afrique. C’est néanmoins un petit pays qui est doté d’une grande armée. Ses troupes d’élites sont intervenus au Congo-Brazzaville durant le conflit.

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