La « Lettre de Marafa à Biya » pour les nuls


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Dans une « lettre ouverte » au président Biya, où il parle de tout sauf (ou si peu) de l’affaire albatros pour laquelle il se retrouve au « cachot », Marafa Hamidou Yaya, détenu à la prison centrale de kondengui depuis le 16 avril, expose ses états d’âmes, sa relation avec Biya, et menace le régime auquel il réaffirmait encore en décembre 2011 toute sa confiance. Décryptage en dix points.

1 – Le juge d’instruction, écrit-il, a voulu que « nous nous arrangions » : en français du Cameroun cela veut dire que Pascal Magnaguemabe a, selon l’ancien ministre, essayé de le soudoyer, de le compromettre dans un fait de corruption. Au reste, le juge d’instruction a-t-il vocation à se prononcer sur sa culpabilité ? Si Marafa est innocent la justice désavouera le juge d’instruction en prononçant une relaxe ou un acquittement.

Notre précision : Au Cameroun, le juge d’instruction peut être récusé pour cinq raisons au nombre desquelles « l’animosité personnelle » qui, pour être invoquée, doit être manifeste. Or Marafa se contente d’allégations de mégères, de présomptions et de on-dits. Il rapporte des faits qui pourraient expliquer une animosité éventuelle, mais qui n’établissent pas cette animosité-là. Aucune carence du juge n’est invoquée à l’appui de ses prétentions.

2 – Paul Biya est, toujours selon lui, le premier responsable de l’affaire albatros, qu’il connaît « mieux que quiconque parce que régulièrement informé de ce processus d’acquisition de [son] avion, [qu’il suivait] au jour le jour ». Le président de la République n’est pas pénalement responsable, ce n’est pas lui qui est en cause pour le moment (cela adviendra peut-être).

Notre précision : Marafa croit qu’il est accusé d’un délit, mais les charges qui pèsent contre lui pourraient lui valoir la détention à perpétuité. C’est bien de crime qu’il s’agit. Si le président connait bien l’affaire, c’est donc qu’il a des raisons suffisantes de s’en prendre à lui.

3 – « Le monde entier apprendra que je suis à la tête d’une armée de 6 000 rebelles » : si le monde entier lit les feuilles de chou de Yaoundé, pourquoi l’illustre conseiller peul n’a-t-il pas songé à poursuivre tous ceux qui le diffamaient ou publiaient de fausses informations ?

Notre précision : Il a lu des accusations, il ne s’en est jamais expliqué devant le peuple camerounais, estimant qu’il ne devait des comptes qu’à Dieu seul et à son représentant au Cameroun : Paul Biya. Maurice Kamto n’a pas attendu lui d’être à Kondengui pour poser sa démission. Il l’a fait au vu et au su de tous. Jusqu’au « 30 décembre dernier », Marafa était encore solidaire de l’Etat-RDPC, ce qui est son droit le plus absolu : dont acte. Il est en conséquence comptable des dérives et des turpitudes de l’Etat-RDPC jusqu’au 30 décembre 2011.

4 – En parlant de son indépendance, il prouve la grandeur d’un homme dont on pensait pourtant qu’il était insusceptible d’accueillir la vérité. Marafa était le fou du roi, mais il se croyait vraiment un être à part, accordant foi à Biya quand celui-ci disait qu’il faisait partie des « dix ministres » réels de son gouvernement… Tellement sûr de son fait qu’il se révoltait de ce que des ministres de la République se comportent en ministres de la République ! S’il a pu durer autant en disant autant de vérités, sa « franche lucidité » ne peut justifier aux yeux des Camerounais sa descentes aux enfers.

5 – « C’est peut-être vrai […] Mais le problème, c’est que ces fonctionnaires eux se prennent pour des ministres »Voilà le dernier écrivain de Kondengui que L’harmattan se fera un plaisir de publier, tant il est vrai qu’il sait décrire ses personnages (« avec agacement et irritation »), citer ou du moins s’identifier à Fénelon qui a connu la défaveur (mais pas l’infamie), et mener ses dialogues, qui se terminent toujours à son avantage : « vous me connaissez très bien »,« Le dialogue à ce sujet s’est arrêté là » ; « Il m’a renouvelé sa confiance et a refusé ma démission », etc.

6 – Notre constatation : On dirait que Paul Biya craignait cet homme, n’a aucun sens de la repartie, était toujours acculé à l’explication voire la justification devant sa créature ! En tout état de cause, le « verbatim » de Marafa peut contenir tous les mensonges du monde, il sait très bien que Paul Biya ne condescendra jamais à lui répondre. Marafa essaie par cette manœuvre habile d’orienter l’opinion publique dans le sens d’un complot contre sa personne, que révérait et redoutait Biya. Ce dernier aurait été jusqu’à lui demander s’il comptait se présenter à la présidentielle de 2011 : Question pleinement justifiée puisqu’il avait précédemment indiqué qu’il était contre une nouvelle candidature du président Biya. Mais Marafa ne comprend pas et est « choqué » : les Camerounais eux souffrent du chômage, de sida, de paludisme, des coupures d’eau et d’électricité, et monsieur Marafa nous apprend qu’il est choqué qu’on ait pu lui prêter des ambitions qu’il nourrissait pourtant.

7 – Marafa rappelle à Biya que Bonaventure Assam, c’est son neveu, au cas où bien sûr il l’aurait oublié. Il rappelle en passant ses fonctions à l’Assemblée nationale. L’ancien SGPR vise ici à mieux se poser comme une victime d’un complot familial. Tout le monde s’est trompé, tous lui en veulent, il est trop beau, trop fort, trop compétent, la presse n’a fait que mentir, bref il le prouvera, assure-t-il, dans les débats à venir.

8 – « Vous comprenez donc qu’ayant recouvré ma liberté de parole car n’étant plus tenu par une quelconque obligation de solidarité ou de réserve […] » Marafa Hamidou Yaya estime que toutes les informations auxquelles il a accédé du fait de ses fonctions, toutes les conversations qu’il a eues avec le président de la république peuvent désormais être éventées : voilà une bien curieuse conception de ses obligations.

9 – Désormais aux abois, Marafa Hamidou yaya cite Wikileaks. Il avait pourtant manqué de confirmer les propos qui lui avaient été attribués par Niels Marquardt, ancien ambassadeur américain à Yaoundé. Wikileaks disait ce qu’il rappelle à notre souvenir, Wikileaks révélait aussi son ambition présidentielle. Dès lors, c’est à une lutte politique qu’il se livrait contre Biya. S’il a pensé à devenir le Nordiste qui succèderait à Biya, il a forcément eu une « stratégie de conquête du pouvoir » : faut-il être grand clerc pour le supposer ? Malheureusement Paul Biya a tous les moyens d’Etat pour le confondre et il ne s’en est pas privé.

10 – Marafa est terrorisé et en vient à penser à la mort. Il dit que s’il lui arrivait quelque chose ça ne serait « ni de [son] fait, ni du fait des repas [qu’il se fait] livrer par sa famille » Encore heureux qu’il n’ait pas exempté le bon Dieu, qu’il n’ait pas invoqué la mort naturelle. Il se croit à ce point si spécial qu’il s’imagine que la mort lui fera des demandes d’audiences avant de le frapper de sa faux. Tous les Camerounais savent à quelle vitesse ses cheveux ont blanchi quand il a quitté Etoudi, deux fois d’ailleurs il a été évacué en France pour des soucis de santé. Qu’il ne nous fasse pas lui non plus accroire à son immortalité que seul l’autre immortel, Biya, pourrait attaquer. Au surplus, s’il estime qu’on le fera tuer, c’est qu’il sait qu’il fera des choses qui amèneront ses désormais adversaires qu’il connait intimement à s’en prendre physiquement à lui. L’intérêt du pays est qu’il se concentre sur la défense de sa cause.

Le massacre des innocents

On pourrait comparer l’opération épervier au massacre des innocents à Bethléem. Paul Biya serait donc Hérode et Marafa Hamidou Yaya, un innocent de plus, auquel « Popol », ce roi aveugle et sanguinaire, dans sa rage effrénée pour la conservation de son pouvoir, a fait couper la tête. Mais pourquoi Marafa n’a-t-il pas fui en Egypte lui qui était, selon ses propres dires, régulièrement sollicité à l’extérieur ? L’arrogance, dit-on, précède la ruine. Il est au fond du trou, mais veut rester droit dans ses bottes. C’est tout à son honneur. Mais a-t-il vraiment préservé auprès de l’opinion publique camerounaise, a-t-il préservé son honneur quand il en était encore temps ?

On pourrait le comparer à Titus Edzoa, tous anciens SGPR, tous pénétrés de leur suprême importance, jusqu’à leur chute avec perte et fracas.

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