Abdoulaye Wade et Amadou Toumani Touré : des démocrates aux pieds d’argile


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Le début de l’année 2012 a connu l’effondrement de deux hommes incarnant le modèle de démocratie de leur pays respectif. Au Sénégal, on a vu que les systèmes démocratiques ne font pas nécessairement des démocrates et au Mali, que la démocratie formelle qui ne profite qu’aux élites ne fait pas bon ménage avec la pauvreté des petites classes.

Abdoulaye Wade et le principe de Peter

Abdoulaye Wade était présenté en 2000 comme un gentilhomme de la démocratie et du changement, ce fameux changement que beaucoup de peuples en Afrique appellent de tout leur désespoir et dont ils se font une idée fumeuse du contenu : meilleures conditions de vie, respect des droits de l’homme, respect de la volonté populaire, essor économique, création d’emplois. Mais changer, est-ce avancer ? Abdoulaye Wade, porté au pouvoir par les jeunes et les femmes, il s’investit lors de son premier mandat entre 2000 et 2007 dans le domaine de l’éducation dont le budget quadrupla, les infrastructures suivirent (aéroport Blaise Diagne, autoroutes), l’électrification rurale et une politique agricole de souveraineté alimentaire (Goana). L’économie turbine alors avec un taux de croissance de 4%.

Mais au milieu du deuxième mandat, patatras ! Le mentor du Sopi (changement en wolof) est dépassé par le changement, il est frappé comme par le syndrome (principe) de Peter, ayant tant travaillé pour le Sénégal qu’il en atteint son propre niveau d’incompétence. Et une impéritie ne venant jamais seule, il en a accumulé depuis lors. En 2009 déjà, le sommet de l’OCI (Organisation de la Conférence Islamique) qui a connu l’entrée en scène de son fils Karim comme principal maître d’ouvrage faisant passer ce dernier du nom de « monsieur 10% » à celui de « monsieur 15% » (commissions financières).

A Dakar, le long de la corniche fraichement bâtie de tunnels et de belles avenues, on pouvait encore voir, à cette époque, des palmiers entiers desséchés, que l’opinion populaire disait avoir été importés entiers par bateaux. Le Sénégalais de la rue était (déjà ?) très déçu de la gouvernance Wade faite de soupçons de népotisme, d’investissements somptuaires (hôtels de luxe) et de déplacements permanents à l’étranger pour s’occuper des crises politiques africaines avec une surexposition médiatique. Et pourtant, dans la capitale, l’homme de la rue, estimait que le chef de l’Etat sénégalais se comportait en président de l’Afrique, avec son Nepad, aux côtés de l’Afrique du Sud et de l’Algérie.

En mars 2009, Karim Wade, le conseiller spécial de son président de père, va être blackboulé aux élections municipales à la mairie de Dakar. C’est ici qu’intervient le « Corollaire de Peter » pour le président Wade : plus on met du temps à son meilleur poste, plus ont court le risque de s’enfoncer dans l’incompétence. Karim Wade est promu super ministre (ministre d’Etat) en 2009 avant d’occuper celui de l’énergie avec une ville de Dakar en proie à un stress électrique et un pays tout entier vivant au rythme des délestages. Le plan Takkal, un palliatif coûteux et peu radical est sa solution aux problèmes d’énergie, son financement 2011-2014 devait coûter 653 milliards de F CFA.

Les choses ont changé depuis le 02 avril 2012. Mais auparavant, Wade, tenté par un troisième mandat à 85 ans, et avec sa réforme constitutionnelle d’un double ticket de président et vice-président avec la possibilité de gagner les élections au premier tour avec 25% des suffrages, n’est pas allé jusqu’au bout de ses ambitions de dévolution dynastique du pouvoir, seulement à cause de la mobilisation des populations, notamment les jeunes.

Amadou Toumani Touré : la démocratie ne se mange pas

La déchéance du président Wade ne date donc pas en réalité de février 2012 et des émeutes qui ont secoué Dakar la capitale, sur l’inéligibilité du fait de la limitation des mandats présidentiels au nombre de deux et de la tentative de l’introduction d’un double ticket présidentiel. Mais l’image cathodique, façonnée par les télévisions et médias internationaux montrant un Abdoulaye Wade en médiateur des crises internationales, en président respecté de par son passé d’opposant impénitent et de tombeur de 40 années de gouvernance socialiste au Sénégal, ont fait accroire que le Sénégal était une terre de tradition démocratique incontestable et que son président d’alors, était un démocrate indécrottable. Peu, à l’international, y compris les observateurs de premier plan, n’avait vu ce désappointement qui insensiblement se transformait en désapprobation puis en révolte du peuple sénégalais. Et face à la contestation, les reflexes autocratiques d’un futur ex-chantre de la démocratie n’ont pas tardé à prendre le dessus. Il en a été du Sénégal comme du Mali.

A l’international, le président malien Amadou Toumani Touré alias ATT ou le « soldat de la démocratie » a lui aussi, semble-t-il, été touché par le principe de Peter : il a atteint, à force de plafonner longtemps à la tête du Mali, son seuil d’incompétence. Entre 1991, date du coup d’Etat contre Moussa Traoré, la remise du pouvoir aux civils en 1992 et son élection en 2002 ainsi que sa réélection en 2007 pour un nouveau mandat de 5 ans, le Mali a eu le temps de connaître la stabilité, et une auréole d’exemplarité démocratique dans un continent africain où les alternances dynastiques sont légion, les démocratiques rares et les coups d’Etat seules alternatives. Mais des observateurs, comme la professeure québecoise Chantal Rondeau, voyait pourtant monter ce désenchantement du peuple malien aux dernières années du pouvoir ATT. C’est que pour la grande majorité de Maliens, la gloriole de « bon élève de la démocratie en Afrique », ne suffisait plus. En effet, beaucoup de Maliens définissaient selon l’universitaire, la démocratie comme un système politique caractérisé par le bien-être des populations, parce que les pays occidentaux, caractérisés par des systèmes démocratiques, étaient aussi ceux où l’espérance de vie était plus grande, le niveau de vie élevé.

L’hirondelle ATT n’a pas fait le printemps de ce pays dont l’économie a pour moteur l’agriculture et les fonds envoyés par sa dynamique diaspora plus importants que l’aide au développement des pays riches. Il ne suffit pas d’une alternance, d’élections démocratiques, pour que le niveau de vie s’élève. A l’indice du développement humain, le Mali était classé 173ème pays sur 177 en 2008. Un pays très pauvre. On pourrait en inférer que la démocratie, ne s’accommode pas très longtemps de la pauvreté matérielle. Parce que dans un tel contexte, elle ne peut être que de façade, formelle, institutionnelle. L’élite politique, administrative, civile, militaire captant les rentes étatiques, l’aide au développement et l’économie, ne donnant sur la scène qu’un simulacre de jeu démocratique sans réformes allant dans le sens de la justice sociale, de la création de richesses et d’une saine gouvernance des fonds publics.

C’est sur ces entrefaites que le 22 mars, un obscur capitaine, Amadou Sanogo, se met en lumière un peu maladroitement, avec des mutins d’un Comité National pour le Redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat, renversant au passage un Amadou Toumani Touré visiblement pas seulement sortant, mais à bout de souffle. Il n’a pourtant que 64 ans, et son congénère sénégalais, 85 ans, avait la fougue de ses 30 printemps à la conquête d’un troisième mandat. Le prétexte trouvé de la meute Sanogo est celui de l’incapacité à répondre à l’invasion rebelle touareg et islamiste au nord. Mais il faut y voir l’expression d’un ras-le-bol d’une démocratie formelle embourbée dans une atonie économique et une inertie socio-politique favorisant une élite conservatrice et prédatrice et des populations désabusées restées sur leurs faims. Comme une révolte des « petits soldats » affamés, contre des états-majors trop repus pour songer seulement à aller combattre des hordes de rebelles et islamistes surarmés et motivés au nord du pays.

Par François Bimogo

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