La revanche de Macky Sall


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Fidèle d’Abdoulaye Wade passé à l’opposition en 2008, Macky Sall est officiellement le quatrième président de la République du Sénégal.

Son prédécesseur, Abdoulaye Wade, avait le 1er avril 2000 prêté serment au Stade Léopold Sédar Senghor de Dakar, devant plus de 60.000 personnes. Ses détracteurs y avaient vu un signe avant-coureur de mégalomanie. Macky Sall, élu la semaine dernière avec plus de 65% des suffrages, a lui souhaité une cérémonie d’investiture sobre. Ce lundi matin, c’est sous un chapiteau dressé dans les jardins du King Fahd Palace, l’un des grands hôtels de la capitale situé dans le quartier huppé des Almadies, qu’il devient officiellement le 4ème président de la République du Sénégal.

Sous le chapiteau, pavoisé aux couleurs de l’Afrique et du Sénégal, le vert, le jaune et le rouge, quelque 2000 invités triés sur le volet ont pris place dont une dizaine de chefs d’États africains. La France est représentée par son ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, marqué de près par l’ancien Premier ministre Lionel Jospin, assis au deuxième rang, venu au nom de François Hollande, rival socialiste de Nicolas Sarkozy dans la course au fauteuil présidentiel.

« Devant Dieu et devant la nation sénégalaise, je jure de remplir fidèlement ma charge de président de la République, d’observer et de faire observer les dispositions de la Constitution, de respecter les institutions (…), de défendre l’intégrité du territoire et de ne ménager aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine », déclare solennellement Macky Sall, la main droite levée, sous les applaudissements de l’assemblée. Costume sombre, le président descend de l’estrade et salue un à un ses pairs. Installée entre Blaise Compaoré et Teodoro Obiang Nguema, inamovibles présidents du Burkina Faso et de la Guinée-équatoriale, la Première dame, Marième Faye Sall, drapée dans un élégant boubou beige, ne peut s’empêcher d’afficher un large sourire lorsque son mari s’approche. Comme à son habitude, lui reste impassible ou presque.

L’ascension de « Niangal » Sall

Macky Sall sourit peu, ce qui lui vaut dans la presse locale le surnom de « Niangal » Sall (« visage fermé » ou « sévère » en wolof). L’homme est plutôt du genre introverti. Ses soutiens le disent travailleur, compétent et intègre. Ses adversaires le trouvent quelconque et raillent son manque de charisme. Originaire de Fatick, l’ancienne capitale du Sine, située au cœur du bassin arachidier, « Macky » est un fils de Toucouleurs installés en pays sérère. La biographie officielle raconte que son père, militant au parti socialiste, était gardien alors que sa mère vendait des cacahouètes pour compléter les revenus du foyer et nourrir leurs quatre enfants. Issu d’une famille modeste, le jeune Sall est un élève studieux.

Il décroche son baccalauréat et s’envole pour l’université de Dakar où il rencontre Landing Savané. Séduit par la lutte contre l’impérialisme, Macky intègre And jëf, un parti d’obédience marxiste-léniniste. À la veille de l’élection présidentielle de 1983, Landing Savané prône le boycott. Macky pense qu’il faut voter contre Abdou Diouf donc pour Abdoulaye Wade. La rupture entre les deux hommes est consommée. Macky obtient son diplôme d’ingénieur géologue et part poursuivre sa formation en France à l’école nationale supérieure du pétrole et des moteurs.

De retour au pays, Macky Sall répond favorablement à l’appel lancé aux cadres sénégalais par Abdoulaye Wade au lendemain de la réélection contestée de Diouf en 1988 et s’engage au sein du Parti démocratique Sénégalais (PDS). Wade lui accorde toute sa confiance. L’apprenti grimpe tous les échelons et devient rapidement un homme du sérail. En 2000, l’opposant historique accède enfin à la magistrature suprême. Alors président des cadres du parti, Macky espère un poste ministériel, mais il hérite de la direction générale de la société des pétroles du Sénégal (Petrosen). L’année suivante, un remaniement lui ouvre les portes du gouvernement. Macky Sall devient ministre des Mines et de l’énergie. Son ascension est fulgurante.

En 2003, il est bombardé ministre de l’Intérieur et porte-parole du gouvernement d’Idrissa Seck. La consécration arrive en 2004. Il est nommé à quelques jours d’intervalle numéro 2 du parti puis Premier ministre. Un poste qu’il occupera pendant trois ans et deux mois, un record de longévité sous le règne d’Abdoulaye Wade. C’est l’époque des grands travaux. Les premières réalisations sortent de terre. Karim Wade, le fils du président, sort de l’anonymat. En juin 2004, son père lui confie les rênes de l’Agence nationale chargée de préparer et d’organiser le onzième sommet de l’Organisation de la conférence islamique (Anoci), qui se tient en mars 2008.

Trop dans la lumière, Macky Sall n’échappe pas à la malédiction qui frappe les dauphins présumés de Wade. Directeur de campagne en 2007 d’Abdoulaye Wade, réélu avec plus de 55% des voix dès le premier tour, Macky Sall n’est pas reconduit. On lui offre la présidence de l’Assemblée nationale, où il ne fera qu’un an. L’Assemblée convoque Karim Wade, le rejeton présidentiel, pour qu’il s’explique sur sa gestion des fonds alloués à l’Anoci. Un crime de lèse-majesté. Wade exige sa démission. Ce dernier refuse et surprend beaucoup d’observateurs qui ne voyaient en lui qu’un apparatchik incapable de s’opposer à son mentor. Le PDS supprime alors le poste de numéro 2. Et, un amendement à l’article 62 de la Constitution est déposé pour réduire le mandat du président de l’Assemblée de cinq à un an avec effet immédiat.

En novembre 2008, Macky annonce sa démission du PDS et de tous ses postes électifs conquis sous sa bannière. Un mois plus tard, il fonde son propre parti, l’Alliance pour la République (APR) et sillonne le Sénégal en long, en large et en travers. Avec une seule chose en tête, l’élection de 2012.

Les temps changent

La cérémonie d’investiture prend fin. Macky Sall n’assistera pas à l’ouverture du sommet de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) consacré à la situation au Mali voisin. Il a rendez-vous pour la passation de pouvoir. Droit comme un « i », Abdoulaye Wade, en grand boubou bleu, l’attend sur le perron du Palais. Le « vieux » est déjà dans la peau de l’opposant qu’il n’a jamais vraiment cessé d’être. N’a-t-il pas invité les militants du PDS à « rester mobilisés » en vue des législatives dans un communiqué publié le soir même de sa défaite et annoncé lors d’un congrès organisé à la va-vite samedi qu’il restait « à la barre » du parti ? Devant les grilles de la Présidence, perdus au milieu d’une marée humaine venue célébrer son champion, environ deux cents militants aux couleurs du PDS chantent les louanges du président déchu.

Sirènes hurlantes, le cortège présidentiel arrive entouré des motards de la garde républicaine. Les Sall entrent dans l’enceinte. Après les salutations d’usage, les Wade guident les nouveaux locataires du Palais de la République vers l’un des salons de la Présidence. Celui-là même où Abdou Diouf avait en son temps remis les clés de la bâtisse à Abdoulaye Wade. En chemin, Karim Wade salue le couple Sall. « Une nouvelle ère commence », avait lancé Macky Sall le soir de son élection. Difficile de ne pas y penser en observant les deux couples. Macky Sall, trente six ans de moins que son prédécesseur, devient le premier président du Sénégal à n’avoir pas connu la colonisation. Son épouse, la première Sénégalaise a occupé la fonction de première dame.

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