Fatima Besnaci-Lancou : « L’histoire des harkis a été déformée pendant cinquante ans »


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Fatima Besnaci-Lancou
Fatima Besnaci-Lancou

Cinquante ans après l’arrivée des harkis en France, le sentiment d’injustice et d’abandon est toujours présent au sein de cette communauté. Fatima Besnaci-Lancou est écrivain, connue notamment pour son travail d’archives et de mémoire sur la population harki en France. Pour cette fille de harki, l’histoire des militaires supplétifs pendant la guerre d’Algérie est « caricaturée ».

Auteur de plusieurs ouvrages, Fatima Besnaci-Lancou est née en 1954 à Sidi Ghiles (localité baptisée Novi pendant la colonisation française). Elle a notamment écrit Fille de harki et Les harkis dans la colonisation et ses suites, en collaboration avec Gilles Manceron, parus respectivement en 2003 et 2008 aux éditions de l’Atelier. Fatima Besnaci-Lancou est par ailleurs la présidente de l’association « Harkis et Droits de l’Homme ».

Afrik.com : Cinquante ans après les accords d’Evian, que ressent la communauté harki ?

Fatima Besnaci-Lancou : Beaucoup de harkis de la première génération sont morts. Leurs descendants ont un sentiment d’injustice, bien qu’ils portent cet héritage et l’assument pleinement. Ils souhaitent que la France reconnaisse sa responsabilité dans leur abandon. De plus, il y a de la colère quand les enfants de harkis s’aperçoivent que l’histoire est caricaturée. Le pouvoir algérien continue à livrer une image fausse des harkis. Je ne parle pas du peuple mais bien du pouvoir en place actuellement.

Afrik.com : Nicolas Sarkozy, à l’occasion d’une visite en hommage aux harkis et aux pieds-noirs à Nice, a déclaré à Nice Matin : « Pour que vous puissiez pardonner, il faut que la République reconnaisse qu’il y a eu une injustice, qu’il y a eu une forme d’abandon, c’est fait. Maintenant, pardonnez, parce que la République a besoin de vous ». Ces déclarations vous ont secouées dans la communauté harki…

Fatima Besnaci : Elles ont secoué mais pas dans le bon sens. Il a montré ça comme un geste fort, mais c’est exactement le contraire qui s’est produit. C’était une nouvelle tentative de manipulation, tel un candidat aux abois. Il a renié sa parole. En 2007, le candidat s’était engagé à reconnaitre les massacres et l’abandon des harkis. Chose qu’il n’a pas faite. Et son injonction – « Pardonnez » – est déplacée… Nicolas Sarkozy fait preuve d’une vulgarité intellectuelle et ose refaire ce qu’il a fait en campagne en 2007.

Afrik.com : Qu’attendez-vous des candidats à la présidentielle et plus généralement de l’Etat français aujourd’hui?

Fatima Besnaci : Je ne crois plus trop aux promesses des candidats. C’est de l’Etat français que l’on attend qu’il reconnaisse cette responsabilité, même si j’ai l’impression qu’il vaut mieux ne rien attendre car il y a un véritable cynisme ambiant.

Afrik.com : Le Front National dénonce, une fois de plus, une manipulation de Nicolas Sarkozy au sujet des harkis et des rapatriés d’Algérie. Quelle est votre opinion à propos de l’idée reçue que les harkis votent en majorité pour le Front National ?

Fatima Besnaci : Les harkis sont des Français comme les autres, il y en a peut-être plus à droite mais ça s’arrête à l’UMP, hormis quelques brebis galeuses qui s’aventurent sur les terres du FN. Cette idée reçue est totalement fausse. Tout cela n’est que rumeur et, d’ailleurs, les journalistes ont une grande part de responsabilité au sujet de cette désinformation. Le FN est un parti raciste et les harkis sont avant tout des Arabes. Le numéro 2 du FN, Louis Aliot, a réagi après les déclarations de Nicolas Sarkozy, car il cherche des voix pour le FN. Le PS [parti socialiste, ndlr], lui, ne s’est pas manifesté. Le PS devrait être plus actif, là, il est totalement inerte.

Afrik.com : Harkis rime souvent avec « trahison » en Algérie. Comment les harkis sont-ils perçus aujourd’hui dans leur pays d’origine ? Attendez-vous aussi des excuses officielles de l’Etat algérien ?

Fatima Besnaci : Nous n’attendons rien du pouvoir totalitaire algérien. L’histoire a été déformée pendant cinquante ans. A l’époque, les membres du FLN [Front de libération national, ndlr] ont massacré des milliers de paysans. Ils voulaient absolument que les paysans se rallient à leur cause, de gré ou de force. J’espère que le pouvoir actuel se pose la question suivante : qui a trahi pendant la guerre ? Les harkis ont fait la guerre en tant que supplétifs de l’armée. Plutôt que de dire « ils ont trahi, ils ont tués, etc… », il faut se demander comment ces paysans en sont arrivés à se retrouver du côté français. Voici la réponse : principalement à cause de la violence du FLN. Pendant la guerre, le FLN s’étoffe et la France veut maintenir sa présence en Algérie alors que le FLN veut en découdre avec le colonialisme. Et pour gagner cette guerre, il était indispensable pour le FLN d’avoir l’appui de la population. Sauf que les paysans ne bougeaient pas car ils avaient d’autres priorités comme subvenir aux besoins de leurs familles en matière de nourriture, de santé, etc. Pour les réveiller, les membres du FLN tuaient de temps en temps des paysans pour l’exemple.

Les paysans hébergeaient et nourrissaient des combattants de l’ALN [l’Armée de Libération Nationale, ndlr] la nuit et des militaires français le jour, pendant qu’ils patrouillaient dans les villages à la recherche de combattants de l’ALN. Pour couper l’ALN de sa base vitale, plus de deux millions de paysans ont été déplacés et mis dans les camps en Algérie pendant la guerre. Eloignés de leurs terres cultivables, l’armée française a pu recruter plus facilement des milliers de paysans, ce qui leur a permis de nourrir leur famille. Le pouvoir algérien le sait pertinemment mais il se sert de cette désinformation pour faire diversion sur les vrais problèmes que rencontre la société. Mais petit à petit, on saura la vérité.

Afrik.com : Les descendants de harkis doivent-ils, selon vous, préserver ou digérer ce lourd héritage ?

Fatima Besnaci : Qu’ils la vivent comme un héritage, qu’ils entourent avec beaucoup d’amour leurs parents, qu’ils combattent les idées reçues et ne laissent personnes parler à leur place. Ils doivent garder la tête haute et rester conscients du fait que leurs parents ont subi une injustice. Mais tout ça, ils le savent, je n’ai pas de leçon à leur donner. Ils portent déjà très bien cette histoire. Avec beaucoup de dignité.

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