Antonin Tisseron : « Le partenariat économique entre l’Europe et le Maghreb est loin d’être remis en question »


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L’institut Thomas More présente ce jeudi à Bruxelles son deuxième rapport sur la sécurité au Maghreb. Les révolutions arabes ont modifié le paysage politique et économique de la région. Pour faire face à ces changements, le Maghreb pourrait renforcer son partenariat avec l’Europe si elle obtient de réelles contreparties. Le chercheur Antonin Tisseron, auteur du rapport, répond à Afrik.com.

Afrik.com : Un partenariat entre le Maghreb et l’Europe sera-t-il possible après les révolutions arabes qui ont bouleversé la région ?

Antonin Tisseron :
Oui, bien évidemment. La question est par contre quel type de partenariat. L’Union européenne a adopté l’année dernière une nouvelle stratégie de voisinage, qui repose notamment sur la conditionnalité et la différenciation. Mais dans sa mise en place, il reste des questions. En tout cas, le Maghreb attend un vrai partenariat sur un pied d’égalité, avec de réelles contreparties, et des discussions et des échanges entre les Européens, l’Europe et ses voisins.

Afrik.com : L’insécurité gagne du terrain au Maghreb, notamment avec la prolifération des armes en Libye. Cette instabilité ne risque-t-elle pas de mettre en péril le partenariat économique entre l’Europe et le Maghreb ?

Antonin Tisseron :
Les répercussions du conflit libyen peuvent renforcer la criminalité et le terrorisme dans la région, et pas seulement dans le sud algérien et le sud tunisien. La Libye est un cas à part. Mais l’on est encore loin d’une remise en cause du partenariat économique entre l’Europe et le Maghreb. En fait, la montée de l’insécurité touche aujourd’hui davantage le Sahel que le Maghreb avec le retour de combattants et la circulation d’armes et d’explosifs. La reprise des combats au nord-Mali par le MNLA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad, ndlr).est d’ailleurs un avatar du conflit libyen.

Afrik.com : Les Européens vont devoir désormais travailler avec les islamistes qui font partie intégrante de la vie politique depuis l’effondrement des régimes arabes. Pour que cette coopération fonctionne, l’Europe devra-t-elle baisser sa garde vis-à-vis des islamistes dont elle s’est toujours méfiée ?

Antonin Tisseron :
Pour que cette coopération fonctionne, il faut que l’Union européenne et les Européens laissent leur chance aux partis qui ont gagné les dernières élections. Il ne s’agit pas de baisser la garde, d’accepter une remise en cause des droits de l’Homme. Mais il ne s’agit pas non plus de diaboliser les nouveaux dirigeants, au risque de favoriser une radicalisation réciproque des postures et des discours des deux côtés de la Méditerranée. Alain Juppé avait parlé de « vigilance » mais sans « procès d’intention ». La formule me semble parfaitement résumer aujourd’hui la manière dont les Européens doivent travailler avec les partis islamistes au pouvoir, ne serait-ce que pour apprendre tout simplement à les connaître.

Afrik.com : Ces révoltes ont fragilisé les économies des pays du Maghreb, provoquant la fuite des investisseurs. Auront-elles les capacités de se redresser dans les années à venir ?

Antonin Tisseron :
Le visage du Maghreb est très contrasté dans ce domaine. D’un côté, il y a la Tunisie et la Libye, qui sont confrontés à des situations post-révolutionnaires transitionnelles plus ou moins compliquées, et là avec de réelles inquiétudes notamment pour la Libye. L’appareil d’État de la Tunisie ne s’étant pas effondré avec la révolution. De l’autre, le Maroc devrait, selon le FMI, préserver une croissance du PIB supérieure à 4,5% et il continue d’attirer des investisseurs comme le canadien Bombardier à Casablanca en novembre dernier ou, plus récemment, Renault à Tanger. Entre les deux, l’économie algérienne peut aussi bien évoluer dans le sens d’une préservation du protectionnisme ou dans le sens d’une ouverture.

Afrik.com : Selon vous les investisseurs qui ont fui ces pays en raison des troubles politiques sont-ils prêts à revenir ?

Antonin Tisseron :
Là encore, les deux pays qui ont vécu une révolution ne peuvent être mis sur le même plan que les autres. Pour la Tunisie, l’année 2011 a été noire. En novembre dernier, le directeur général de l’agence de promotion de l’investissement extérieur évoquait une baisse de 25% des investissements étrangers sur l’année. Concernant un éventuel retour des investisseurs, cela prendra nécessairement du temps car il faudra rassurer et recréer un climat de confiance. Quant à la Libye, en 2007 les hydrocarbures produisaient 80% des recettes budgétaires du pays et le secteur pétrolier représentait 74% du PIB.

Afrik.com : Les peuples arabes sont nombreux à considérer que leurs conditions de vies ne se sont pas améliorées depuis les révolutions. Les dirigeants actuels en place répondront-ils rapidement à leurs attentes ou y a-t-il un risque qu’ils fassent les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs ?

Antonin Tisseron :
Espérons que les dirigeants actuels ne referont pas les mêmes erreurs et que l’Union européenne et les Européens sauront le rappeler à leurs voisins et partenaires de la rive sud, dans le domaine des réformes politiques mais aussi dans celui du développement économique. À cet égard, le résultat des discussions sur une éventuelle relance de l’Union du Maghreb arabe fera office de test dans la volonté des dirigeants de la région de dépasser les anciennes rivalités et contentieux, à commencer par le non-règlement du conflit du Sahara occidental malgré la proposition d’autonomie formulée par le Maroc en 2007, et de privilégier la coopération et la recherche de synergies à l’échelle régionale.

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