Affaire Bourgi : Sarkozy lâche t-il la Françafrique ?


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Dans une interview au JDD, l’avocat franco-libanais Robert Bourgi dévoile la teneur des propos qui sont repris dans le prochain livre de Pierre Péan, « La République des Mallettes ». C’est une plongée au cœur de la Françafrique des grandes heures avec des djembés remplis de billets et, pour une fois, des noms et des montants. Ces révélations provoquent un séisme dans la classe politique française ou Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont annoncé qu’ils allaient porter plainte. Mais Bourgi, proche de Nicolas Sarkozy est-il en opération commandée ?

« Il y a du lourd ? » : c’est par ces mots que Jacques Chirac l’accueillait, le soir, quand il venait apporter l’argent des chefs d’Etats africains, raconte Robert Bourgi dans une interview au Journal Du Dimanche. L’héritier de Jacques Foccart revient sur 25 ans de financement occulte des partis politiques français. De Mobutu (Zaïre) à Omar Bongo (Gabon), bien sûr, en passant par Blaise Compaoré (Burkina Faso), Teodoro Obiang Nguema (Guinée Equatoriale) et Denis Sassou Nguesso (Congo) et aussi, plus surprenant, à Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire) et Abdoulaye Wade (Sénégal), tous ces chefs d’Etats ont versé de grosses sommes d’argent, en liquide, à destination de Dominique de Villepin, alors Secrétaire général de l’Elysée, et à Jacques Chirac. Ces versements auraient cessé, explique Bourgi, lors de l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy.

Bien entendu, Jacques Chirac et Dominique de Villepin démentent fermement ces révélations et ont annoncé qu’ils allaient porter plainte contre Robert Bourgi. Dominique de Villepin a déclaré au journal télévisé de France 2 : « Les accusations qu’il porte sont graves, scandaleuses, détaillées comme tous les mauvais polars et c’est pour cela que comme Jacques Chirac, je porterai plainte contre lui ». En réponse, Robert Bourgi a affirmé qu’il était à la disposition de la justice.

Ces révélations, qui ne sont que la confirmation de ce que « tout le monde savait » mais que personne n’osait raconter, ont été en partie confirmées par Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne et ancien proche de Laurent Gbagbo: « Robert Bourgi a parfaitement raison, il y a eu un transfert d’argent entre Laurent Gbagbo et Jacques Chirac, en 2002 », a ainsi déclaré l’homme politique, faisant état « d’environ deux milliards de francs CFA (environ trois millions d’euros) transportés d’Abidjan vers Paris par valise » .

Réactions en chaînes

Depuis, les réactions affluent. Bien entendu, les présidents africains en exercice réfutent les accusations alors que la classe politique française de gauche comme du centre se lève comme un seul homme pour demander l’ouverture d’une enquête judiciaire. Les personnalités de droite, elles, se font plus discrètes. Mais la vraie question qui se pose derrière ces révélations est de savoir pourquoi elles interviennent aujourd’hui et si Robert Bourgi, qui est un proche du président français Nicolas Sarkozy, est en service commandé, lorsqu’il décide de lancer ce pavé dans la mare.

Bourgi affirme que tous ces versements ont cessé lors de l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy qui a plusieurs fois annoncé la fin de la Françafrique, sans pour l’instant que personne ne puisse y croire réellement. Un câble de Wikileaks révélé en décembre dernier avait même mis à mal cette version en expliquant que près de 30 millions d’euros auraient été détournés de la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC) par le défunt président gabonais Omar Bongo. Cette somme aurait financé, pour une partie, les partis politiques français, en particulier Jacques Chirac mais aussi Nicolas Sarkozy (voir l’article d’afrik.com du 30 décembre 2010).

Une vérité qui en cache une autre

Robert Bourgi s’est toujours présenté comme un ami proche du président français et déclarait très officiellement lors d’une interview au journal Le Monde qu’il travaillait pour les chefs d’Etats africains, mais en étroite collaboration avec Sarkozy et Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration et ancien Secrétaire général de l’Élysée. Pourquoi alors mettre aujourd’hui ces même chefs d’Etats africains dans une situation délicate ?

Plusieurs réponses sont possibles. D’une part, nous sommes à deux jours de l’ouverture de l’appel du procès Clearstream où Dominique de Villepin, ennemi juré de Sarkozy, est l’accusé principal. Mais la sortie mercredi du livre de Pierre Péan « La République des Mallettes » vient mettre en avant un possible nouvel instigateur en la personne d’Alexandre Djouhri, ce qui pourrait dédouaner Villepin. Avec ce nouveau coup porté par Bourgi, Villepin ne se relèvera sans doute pas et peut mettre une croix sur ses ambitions présidentielles. Mais surtout, les révélations de Bourgi sont aussi en partie racontées dans le livre de Pierre Péan. Peut être alors aurait-il simplement considéré qu’il était préférable de prendre les devants en déballant tout à la presse, mais en prenant bien soin de protéger Sarkozy? Puisque le scandale va éclater, autant en être l’instigateur et faire de l’ombre aux autres révélations du livre de Pierre Péan qui elles pourraient être plus gênantes.

D’autre part, ces déclarations pourraient être un avertissement aux chefs d’Etats mentionnés, les informant qu’ils sont lâchés par la France, qui souhaite modifier ses relations avec le continent africain. La famille Wade a déjà été lâchée officiellement, toujours à travers des déclarations de Robert Bourgi faisant référence à Karim Wade alors qu’Ali Bongo n’est plus soutenu que du bout des lèvres par le gouvernement français. Les récentes révolutions du monde arabe ont par ailleurs démontré que les populations africaines étaient en marche pour renverser les dictatures corrompues. La révélation d’un passé trouble serait donc une façon habile de faire table rase du passé pour repartir sur des bases différentes afin de reconstruire les relations franco-africaines. A six mois de la présidentielle française, cette nouvelle position de Nicolas Sarkozy lui permettrait sans aucun doute d’améliorer son image, au moins auprès des électeurs français d’origine africaine.

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