Comment Sarkozy a eu raison de Gbagbo


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Officiellement, le président Nicolas Sarkozy a engagé les soldats français aux côtés des forces d’Alassane Ouattara pour protéger les civils en détruisant les armes lourdes des pro-Gbagbo selon le mandat de l’Onu. Mais selon Le Canard Enchainé, il était déterminé à chasser Laurent Gbagbo qui l’avait ridiculisé. La participation des troupes d’élite françaises a été déterminante dans la victoire militaire d’Alassane Ouattara. Les pro-Gbagbo dénoncent une « guerre coloniale »

Une participation active et décisive. Ainsi pourrait se résumer l’appui des forces françaises de l’opération Licorne aux troupes d’Alassane Ouattara, qui a conduit à l’arrestation lundi après-midi de Laurent Gbagbo, président sortant de la Côte d’Ivoire. Quant à savoir qui a effectivement capturé le président, retranché depuis quelques jours dans sa résidence partiellement détruite par l’aviation de guerre française, les premiers avis divergent. Pour Alain Toussaint, le Conseiller de Laurent Gbagbo à Paris, celui-ci a été « arrêté par les forces spéciales françaises et remis à des chefs de la rébellion », alors qu’il se trouvait dans son bureau. « Ces chefs de la rébellion ont été convoyés sur place par les forces françaises qui ont pénétré dans la résidence avec des chars », a-t-il expliqué lundi peu après les faits. A l’opposé, Paris soutient que ce sont les hommes d’Alassane Ouattara qui ont arrêté le chef d’État sortant. Ce sont «les forces d’Alassane Ouattara soutenues par l’Onuci et Licorne qui ont procédé à l’arrestation de Laurent Gbagbo », lit-on sur le site d’Europe1, qui cite une source du ministère français des Affaires étrangères. Une version qu’a aussi défendu Guillaume Soro, le Premier ministre du rival de Laurent Gbagbo. On en saura sans doute plus au fur et mesure que la situation se clarifiera. En attendant, l’entrée en guerre des soldats français aura été capitale dans le dénouement de la rivalité meurtrière à laquelle se sont livrés, depuis décembre, les deux président proclamés de la Côte d’Ivoire.

Une revanche personnelle de Nicolas Sarkozy

Officiellement, l’entrée en guerre de la France aux côtés des Forces républicaines de Côte d’ivoire (FRCI) d’Alassane Ouattara, dès le lundi 4 avril, obéissait à la nécessité de protéger les populations civiles ivoiriennes et les ressortissants étrangers du pays. Pour cela, Paris a obtenu du Conseil de sécurité l’adoption, le 30 mars, de la résolution 1975, qu’elle a déposée conjointement avec le Liberia. Laquelle l’autorisait a entreprendre en appui à la Mission de l’Onu en Côte d’Ivoire (Onusienne), toute action destinée à empêcher l’usage, par les forces fidèles à Laurent Gbagbo, des armes lourdes contre les populations civiles. Cependant, indique Le Canard Enchainé dans sa livraison du mercredi 6 avril, le chef d’État français n’a pas souhaité laissé à un autre pays le soin de bombarder la présidence ivoirienne pour en extirper Laurent Gbagbo. Car depuis plusieurs semaines, affirme l’hebdomadaire satirique, Nicolas Sarkozy ne décolérait pas contre le président sortant, « le dictateur sanglant de Côte d’Ivoire », comme il le désignait en conseil des ministres, un homme avec qui il était « à bout de patience ». Outre ses exactions vis-à-vis des droits de l’homme, celui-ci était coupable à ses yeux de l’avoir ridiculisé, en ignorant l’ultimatum de 48 heures qu’il lui avait donné pour quitter le pouvoir au profit de « son ami » Ouattara, déclaré vainqueur de l’élection présidentielle par l’Onu.

Nicolas Sarkozy a donc engagé les forces françaises auprès des hommes d’Alassane Ouattara, dès la rapide conquête du sud de la Côte d’Ivoire, qui en moins de quatre jours les mène en plein Abidjan. Interrogé par Le Canard Enchainé, un officier supérieur français, proche de l’Élysée, se félicite ainsi de « notre efficacité dans l’organisation de la descente sur Abidjan ». Un autre haut gradé de l’armée française explique: « On a fourni des conseils tactiques aux FRCI » et « des munitions et des Famas (fusils d’assaut ». Dans le même temps, renseigne Le Canard Enchainé, dès le 4 avril, Paris renforce son contingent militaire qui passe de 900 hommes à 1700. Pour ce faire, la capitale française fait appel aux Rambo de la Direction des opérations spéciales (ex-Service action) de la DGSE et aux forces spéciales. C’est donc la crème des forces armées françaises qui pilonne via des hélicoptères Puma, les positions tenues par les hommes de Laurent Gbagbo.

Une victoire à prix d’or

La participation des soldats français dans le conflit ivoirien a donc commencé avant même la bataille d’Abidjan, où Paris a justifié son intervention par la nécessité de mettre hors d’état de nuire les armes lourdes des pro-Gbagbo. Elle a été déterminante dans la victoire des FRCI qui, bien que numériquement supérieures aux hommes restées loyaux à Laurent Gbagbo, peinaient à déloger celui-ci, du fait de leur manque de coordination et d’expérience. Pour Le Canard Enchainé, une des questions qui restent en suspens concerne le financement des armes flambant neuves des FRCI, qui ont impressionné les Ivoiriens. Le journal révèle, citant des documents obtenus des proches de Ouattara, qu’un important trafic d’or a été effectué en 2009 et 2010 par le camp du président élu. Extraites des mines du nord de la Côte d’Ivoire. Cet l’or, estimé à plusieurs tonnes, a été emmené au Ghana voisin « sous couvert des voitures de l’Onu ». Acheminé en petites quantités à Anvers (Belgique), cet or a été négocié, à l’été 2010 à 15 000 euros le kilo.

Évoquant les frappes françaises, Charles Blé Goudé, leader des « Jeunes patriotes » et ministre de la Jeunesse de Laurent Ggagbo a déclaré: « C’est l’interventionnisme, le racisme envahissant de la France que nous dénonçons. Les armes lourdes ne se trouvent pas dans la résidence ». Après la chute de Laurent Gbagbo, le débat pourrait se poursuivre en France, sur le rôle de l’Hexagone dans le dénouement de la crise ivoirienne. Dimanche, le porte-parole du Parti socialiste, Benoît Hamon avait déclaré sur Europe 1 qu’il fallait « clarifier » ce que faisait Licorne. Il avait ajouté qu’il « ne souhaitait pas que les forces françaises soient engagées aux côtés d’un acteur qui aurait perpétré de tels massacres », faisait allusion aux événements de Duekoué, à l’ouest de la Côte d’Ivoire. Lundi, l’avocat Jacques Vergès a dénoncé sur la même radio «  une guerre coloniale d’agression ». Il a accusé Alassane Ouattara d’être « le chef d’une armée équipée par la France ». Une page sanglante et polémique que Guillaume Soro veut vite tourner. Pour le Premier ministre d’Alassane Ouattara, « le cauchemar est terminé ».

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