Bataille pour le contrôle du port de Conakry


Lecture 8 min.
arton22255

Le gouvernement guinéen veut annuler la concession attribuée au groupe français Getma/ Necotrans en 2008, pour gérer le terminal à conteneur du port de Conakry. Il évoque le manque de résultats » dans l’exécution de ce contrat. Le concessionnaire soupçonne le groupe Bolloré d’avoir usé de son influence dans la capitale guinéenne pour motiver cette décision. L’affaire pourrait se finir devant la justice.

Grégory Quérel: « C’est comme un match de foot. On respecte les règles. Pas questions de revenir (après le coup du sifflet final) voir les arbitres ». Abdel Aziz Thiam: « Nous sommes inquiets parce qu’il y a beaucoup de rumeurs qui vont dans le même sens. Il y a un concurrent qui a été battu et qui cherche à rentrer par la fenêtre ». Devant les journalistes, mardi 1er mars dans un hôtel parisien, le vice-président et le secrétaire général de Getma/ Nécotrans invoquent volontiers des images, pour éviter de prononcer le nom du groupe Bolloré. Ils en sont cependant convaincus : si à quelque 6 000 km de la capitale française leurs rapports avec les autorités guinéennes se sont rapidement dégradés, c’est par la faute du groupe Bolloré. Depuis trois ans, leur société, Getma/Necotrans, gère le terminal à conteneur du port de Conakry, et selon eux, Bolloré souhaite leur arracher ce juteux contrat.

En 2008, le consortium Getma/ Necotrans, spécialisé dans la gestion des ports et des aéroports, avait remporté l’appel d’offre international lancé par le gouvernement de feu Lansana Conté pour la gestion du terminal à conteneurs du port de Conakry. Il y a avait quatre concurrents sur la liste. Le groupe Bolloré, le consortium dano-hollandais APM /Maersk et le catalan Tcb étaient arrivées respectivement deuxième, troisième et quatrième. Cependant, l’adjudicataire de l’appel d’offres, Getma/ Necotrans, semble n’avoir pas eu beaucoup de chance dans l’exécution du contrat. Après trois années d’exécution chaotiques rythmées par les soubresauts de la vie politique guinéenne, sa concession est tout simplement menacée d’annulation. Une procédure qui profiterait au groupe Bolloré.

Manque de résultats

Vendredi 11 février, lors d’une session extraordinaire de son conseil d’administration, le Port autonome de Conakry (Pac) a émis le souhait de dénoncer la convention qui le lie à Getma/ Necotrans, le groupe fondé en 1985 par le Français Richard Talbot. Officiellement, le Pac évoque un « manque de résultats » et le non respect « des formes juridiques » au moment de la signature de l’accord, selon des indiscrétions glanées par l’AFP. Pour le Pac, le concessionnaire n’a pas réalisé les engagements qu’il avait promis, pour améliorer la capacité et l’efficacité du port.

Getma/ Necotrans devait effectuer des travaux d’extension du quai du port, pour le porter de 250 à 350 mètres. Il devait aussi réaménager l’espace de stockage, lequel devait passer de 5 hectares à 12. « Le port n’a connu aucun changement significatif depuis trois ans. Les retards observés dans son aménagement sont préjudiciables à l’économie guinéenne », indique sous anonymat une source portuaire. Celle-ci explique par ailleurs que plusieurs clauses léonines avaient été glissées dans la convention, avec pour effet de la déséquilibrer au profit de Getma/ Necotrans. Toutes choses qui auraient été consignées, affirme-t-on à Conakry, dans un rapport réalisé par le cabinet juridique anglais Ernst & Young, sollicité par le Pac pour réaliser un audit de la convention de concession et des travaux. «L’essentiel des travaux à réaliser dans le projet représente 90%. Et pour une plus grande efficacité, il est nécessaire de résilier la convention de concession et de confier la paternité du dossier au Port Autonome de Conakry qui le traitera à l’image du Port d’Abidjan (…) dans l’intérêt du pays », indique un administrateur du Pac cité par Eco Vision. Selon ce journal, le Pac « s’est appuyé sur les appels de fonds lancés par Getma International pour augmenter son capital, pour douter de sa capacité à exploiter convenablement le port de Conakry ».

Pour Getma/ Necotrans, Conakry est responsable du retard des travaux

Le groupe Getma/ Necotrans ne voit pas les choses à travers le même prisme. Si l’on y reconnait que les travaux prévus sur le port connaissent du retard, on estime cependant que la faute en incombe aux autorités guinéennes. « Sur un engagement initial de 120 millions d’euros, nous avons déjà mis environ 31 millions d’euros dans le projet. La moitié a servi à payer le ticket d’entrée (15 millions) à l’Etat guinéen et le reste à l’acquisition du matériel d’élevage, la rénovation du terminal actuel », explique Abdel Aziz Thiam. « Nous avons déjà réalisé le quart du programme d’investissement. La plus grande partie, qui est l’extension du port est en voie d’être contractée avec nos opérateurs », précise Grégory Quérel. « Les gestionnaires du port sont mal placés pour nous reprocher le retard observé dans l’exécution des travaux. La convention est entrée en vigueur le 17 septembre 2008. Mais le terrain pour étendre le port ne nous a été attribué que le 23 mars 2010, c’est-à-dire près de deux ans après. Il nous semble que le planning des travaux devrait être décalé pour tenir compte de cet ajournement », estime Abel Aziz Thiam.

Dadis Camara voulait annuler la concession

Selon lui, la prise du pouvoir par la junte du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) à la mort de l’ancien président Lansana Conté, le 22 septembre 2008, n’aurait par ailleurs pas arrangé les affaires de Getma/ Necotrans, et expliquerait en partie la lenteur des investissements. Dès la deuxième semaine de janvier 2009 en effet, Dadis Camara, le nouvel homme fort de Guinée, suspend la convention de concession. Dans une interview qu’il accorde à Jeune Afrique, le chef de la junte déclare : « La concession du Port autonome de Conakry à Getma international, par exemple, va être purement et simplement annulée. En dépit d’un audit mené par FFA Ernst & Young, qui déclare ce contrat manifestement défavorable à l’Etat, le gouvernement sortant s’est entêté à brader notre port. Pour servir quels intérêts ? » « Une commission nous a alors reçus et nous a posé plein de questions sur le contrat. Nous avons fourni toutes les réponses souhaitées », commente Abel Aziz Thiam. En avril, la suspension est levée et dès le 1er juin, Getma/Necotrans entame l’exploitation du terminal à conteneurs.

L’épisode du général Konaté n’entrave pas cette gestion. Les problèmes ressurgissent après la prise de fonction du président élu, Alpha Condé. Pour le staff de Getma/Necotrans, c’est à ce moment que l’influence du groupe Bolloré commence véritablement à se faire sentir. Car le port de Conakry a de quoi susciter des convoitises. En l’état, il représente un chiffre d’affaires de près de 20 millions d’euros. S’il était équipé et fonctionnait de façon optimale, il pourrait facilement avoir la préférence des hommes d’affaires opérant au Mali, pays enclavé, par rapport aux ports d’Abidjan et de Dakar. Le corridor Conakry-Bamako est moins long (980 km) que ceux d’Abidjan-Bamako (1250 km) et Dakar-Bamako (1550km). Et le lancement début février par le président Alpha Condé et l’ancien président brésilien Luiz Ignacio Lula Da Silva des travaux de reconstruction, d’un coût d’un milliard de dollars, de la ligne de chemin de fer Conakry-Kankan ( 660 Km) qui sera ensuite raccordée au Mali et au Burkina Faso (Bobo-Dioulasso) conforte ces perspectives d’affaires. Tout comme la persistance de la crise politique en Côte d’ivoire.

Au groupe Bolloré on nie avoir influencé le gouvernement guinéen

« Nous n’avions pas de problème avant que Vincent Bolloré (PDG du groupe Bolloré) n’aille à Conakry le 3 février et ne rencontre le président Alpha Condé. Cinq jours après ce voyage, les rumeurs ont commencé à circuler sur la résiliation de notre contrat », analyse au téléphone, après la conférence de presse de mardi, Abdel Aziz Thiam. « Combien de fois avons-nous téléphoné au groupe pour leur demander de nous laisser tranquille ? », ajoute-t-il. Il nie par ailleurs avoir été mis au courant de l’audit dont parlent les gestionnaires du port de Conakry. «Comment peut-on faire l’audit d’un terminal à conteneurs sans que le exploitants soient mis au courant ? Il est possible que cet audit existe. Mais nous n’en avons pas eu connaissance. Cela nous paraît être un argument fallacieux ». Afrik.com a sollicité l’avis du cabinet Ernst & Young sur cette question. En vain.

Chez Bolloré également, l’on ne souhaite pas réagir aux accusations de Getma/Necotrans. Toutefois, Sous anonymat, un cadre confie que le groupe n’a rien à voir dans le différend, qui selon lui, oppose uniquement Getma/Necotrans au gouvernement guinéen. « Les autorités successives de ce pays ont critiqué cette convention de concession. Nous avons déjà quinze concessions portuaires en Afrique et employons plus de 22 000 personnes dont de hauts cadres locaux. Ce problème ne nous concerne pas », déclare-t-il. Et d’ajouter : « Nous serons éventuellement concernés par les conséquences d’une éventuelle annulation de la concession de Getma/Necotrans. Mais là, simplement parce que nous étions arrivés deuxième lors de l’appel d’offres. Si le gagnant est jugé défaillant par le concédant, les règles internationales en la matière veulent que la concession soit attribuée au second sur la liste ». Évoquant le voyage de Vincent Bolloré à Conakry en février, ce cadre explique qu’il n’avait pas une signification particulière, son patron rencontrant habituellement les dirigeants du continent où son groupe est très présent. « Le contentieux date de 2009, c’est-à-dire longtemps avant l’élection du président Alpha Condé », souligne-t-il.

Vers un imbroglio judiciaire

Quoi qu’il en soit, la bataille pour le contrôle du port de Conakry s’annonce rude. Chez Getma/ Necotrans, on fourbit ses armes. Selon la Lettre du Continent, Richard Talbot, le président du groupe, a réussi à gagner du temps en mobilisant le «bataillon d’avocats du cabinet Ficher Landau », en plus des « actions entreprises par ses conseillers auprès de l’Elysée, du ministère français de la Coopération ou des organisations patronales (Cian, Medef …) ». De son côté, Abdel Aziz Thiam veut pouvoir compter sur la volonté du gouvernement guinéen à respecter les clauses du contrat. « La convention est précise : en cas de manquements de notre part, les autorités peuvent déclencher une procédure. Cependant, à la date d’aujourd’hui, personne n’a effectué une telle démarche. Par ailleurs, si des manquements ont été constatés, nous devons en être notifiés. Nous avons alors un délai de 6 moins pour nous mettre en conformité. C’est seulement si ce délai n’est pas respecté qu’une procédure de résiliation peut être déclenchée ».

Pour Grégory Quérel, « le président guinéen est dans une position inconfortable dans le contexte actuel. Nous n’avons pas d’éléments qui nous permettent de penser que la décision a déjà été prise ». « Nous allons tout faire pour conserver la concession », assure Abdel Aziz Thiam. C’est-à-dire qu’en cas de remise en cause de la convention, un lourd contentieux judiciaire serait déclenché devant la justice guinéenne et devant [le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), l’institution arbitrale qui a pour vocation de faciliter le règlement des litiges relatifs aux investissements entre les gouvernements et investisseurs étrangers.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News