La présidentielle ivoirienne otage d’un cafouillage médiatique


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La victoire d’Alassane Ouattara semblait acquise et entérinée, jeudi après-midi, après que la presse française et internationale eut relayé la déclaration du président de la Comission électorale indépendante, Youssouf Bakayoko. Une information qui ne tenait pas compte de la décision du Conseil constitutionnel de reporter l’annonce officielle des résultats.

Cafouillage médiatique. Alors que la Côte d’Ivoire finit à peine d’écouter ce jeudi après-midi, sur la RTI, la télévision nationale, le président du Conseil constitutionnel Paul Yao N’Dré annoncer que la population devra encore patienter avant d’avoir les résultats de l’élection présidentielle, sur la chaîne d’information internationale France 24, bientôt relayée par les autres médias français, Alassane Ouattara est déclaré vainqueur du scrutin avec 54, 1% des voix.

Pourquoi un tel télescopage ? Pourquoi la diffusion de deux informations contradictoires sur un média national et un média français ? Le choix du président de la Commission électorale indépendante (CEI), Youssouf Bakayoko, de sortir des locaux de son institution pour s’exprimer librement face aux journalistes de la presse internationale, et leur déclarer que le candidat du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) a gagné, est lourd de sens. Exfiltré quelques minutes plus tard sous une solide escorte – plus d’une centaine de casques bleus l’ont accompagné à l’aéroport international d’Abidjan –, son acte prouve qu’il a nécessité une réelle dose de courage. Les images de son porte-parole, Bamba Yacouba, tentant vainement mardi soir de proclamer les résultats, et se faisant arracher ses notes par un autre membre de la CEI, gros bras de La majorité présidentielle (LMP), la formation de Laurent Gbabgo, ont fait le tour du web. Pas facile, donc, de faire sortir ces chiffres sans altercation physique.

En effet, les résultats du second tour de l’élection ivoirienne étaient et demeurent contestés par le camp Gbagbo. L’annonce surprise du résultat par le président de la CEI n’y changera rien. Tant que le Conseil constitutionnel, comme l’a déclaré son président cet après-midi, n’aura pas statué sur les procès verbaux électoraux dans le délai de sept jours qui lui est imparti, aucun vainqueur ne sera unanimement reconnu. Le motif invoqué par Paul Yao N’Dré, qui a invalidé les résultats proclamés par Youssouf Bakayoko ? L’incapacité des membres de la CEI de se mettre d’accord avant mercredi minuit, trois jours après le scrutin, comme l’exigeait la loi. Une partie d’entre eux dénonçait l’irrégularité du processus électoral dans certaines régions, en particulier celles du nord où les ouattaristes sont dominants.

Que France 24 ait proclamé Alassane Ouattara vainqueur après l’annonce faite par Youssouf Bakayoko, et sans signaler dans un premier temps la position du Conseil constitutionnel, donne du grain à moudre au camp Gbagbo. En effet, la position qu’il a longtemps défendue, à savoir la volonté de la France de l’éliminer du sommet de l’Etat, se trouve confortée. Il pourra donc à loisir développer l’idée que l’ordre « impérialiste » veut s’imposer coûte que coûte dans son pays.

Au crédit du camp Ouattara, la proximité de Paul Yao N’Dré et de Laurent Gbagbo. Pouvait-il accepter que le Conseil constitutionnel, présidé par un homme nommé par le président sortant, décide de l’issue du scrutin ? Le temps jouait contre lui. Toutefois, les événements de ce jeudi après-midi sont loin de garantir à Alassane Ouattara un début de règne apaisé. Les plus ardents défenseurs de la paix, au sein des deux camps, devront faire des miracles pour ramener chacun aux meilleurs sentiments, afin que le calme s’installe, éviter des troubles et une nouvelle partition du pays.

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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