Afrique : Le tourisme, toujours une arme pour la paix ?


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Maurice Freund, Président de la coopérative Point Afrique rentre du Niger et part samedi rencontrer les hautes autorités et populations locales en Mauritanie pour mieux comprendre et nous rapporter la réalité du terrain.

« Voici quelques mois, nous nous battions pour rester présents dans les zones fragiles et déshéritées du Sahel et du Sahara en y maintenant nos vols et nos circuits… Notre stratégie reposait sur une forte conviction :le tourisme peut être une arme pour la Paix !

Aujourd’hui, le Point-Afrique – initiateur des vols sur Gao (1995), Agadez (1996), Atar (1997), la Libye (1999), Tamanrasset (2000), Djanet (2001), Timimoun (2008) – se doit de stopper net les 4/5e de son activité. Cette décision draconienne découle de l’accélération ces dernières semaines de la montée en puissance des cellules terroristes au sud de l’Algérie, au nord du Mali et du Niger.

Je n’ai pas la prétention d’être un expert, ni même un fin spécialiste des problèmes géopolitiques ou géostratégiques de ces zones. Néanmoins j’ai celle d’avoir une bonne connaissance du terrain. Voici bientôt quarante ans que je sillonne ces régions et que je m’implique dans leur développement. J’observe aussi les évolutions politiques de ces pays. La création du Point-Afrique il y a quinze ans, m’a en effet amené à côtoyer non seulement les populations mais aussi les gouvernements de ces pays (pour obtenir les droits de trafic aériens). Par ailleurs, la création du Point-Afrique visait aussi le renforcement de la Paix suite aux accords signés à la fin des rébellions touarègues des années 90 au nord du Mali et du Niger. Nos premiers guides là-bas furent pour partie d’anciens rebelles reconvertis dans le tourisme.

A l’époque, en matière de sécurité, les problèmes restaient mineurs. A l’exception de quelques très rares cas – certains touristes délestés de leurs appareils photos ou autres objets de valeur – jamais il n’y eut de violence. A maintes reprises, j’ai eu l’occasion de discuter avec les trafiquants de cigarettes sans qu’il y ait d’animosité.

Aujourd’hui, nombre d’entre eux se sont orientés vers le trafic plus lucratif de la drogue provenant d’Amérique du Sud, voire, plus grave, dans le trafic d’émigrés que parfois on abandonne en plein désert…

Notre analyse

Le phénomène des prises d’otages a débuté vraiment vers 2003 dans le sud algérien. Une opération menée par Abderrarak el-Para (ancien officier de l’armée algérienne) dont l’adjoint n’est autre qu’Abdelhamid Abou Zeid, l’actuel émir qui opère à la frontière algérienne au nord-est du Mali, dans les montagnes de l’Ifoghas.

Aujourd’hui trois émirs, pas toujours d’accord entre eux, sont les principaux leaders d’AQMI (branche maghrébine d’Al Qaida). Leur chef (Abdelmalek Droukdel) dirige le mouvement depuis la Kabylie. Le quatrième et dernier émir en date, Abdelkrim, surnommé Taleb, est touareg et ancien imam de Khalil au Mali. C’est l’un des rares émirs non algérien et il règne sur un groupe de soixante hommes.

Si la population touarègue dans sa grande majorité n’est en aucun cas complice des terroristes et n’est pas attirée par leur fanatisme religieux, force est de constater que de jeunes touaregs rejoignent cette nébuleuse et lui prêtent main forte (appât du gain ? engagement sincère ? le choix des motivations est vaste…). Parmi les terroristes tués lors de l’assaut de l’armée mauritanienne au nord du Mali de ces dernières semaines, on dénombre quatre touaregs !

L’un de mes amis, Ag Aroudeni, frère de l’amenokal des Oulmeliden (la plus importante tribu touarègue) m’avoue « ne plus comprendre ». Et m’a fait part de son inquiétude, car depuis quelques temps dans sa commune (grande comme cinq départements français !) il voit s’installer des prêcheurs, certains originaires du Pakistan, venus enseigner le salafisme. Leur prêche s’accompagne de construction de puits, d’aide aux populations et bien sûr de la construction de mosquées. Ils ne sont pas terroristes, mais ils en font le lit en instrumentalisant l’Islam à des fins politiques.

Il y a peu de temps, les membres d’AQMI n’étaient qu’une poignée de cent à deux cents hommes. Aujourd’hui ils approchent, voire dépassent les mille combattants… et des cellules dormantes naissent partout !

1) Algérie / Mali / Niger

Les problèmes sont similaires dans ces trois pays, où les gouvernements n’accordent aucune confiance à leurs ressortissants touaregs (et vice-versa). Alger se méfie du sud, Bamako et Niamey se méfient du nord. Les deux rébellions touarègues de 1990 et de 2007 n’inspirent pas – de part et d’autre – une franche coopération.
Plus grave: les touaregs sont divisés (on les a divisés pour mieux régner ?). Certains chefs de ces rebellions se sont vu offrir des postes importants dans les administrations et les ex-combattants de base ont été laissés pour compte. Cela crée des frustrations, de la jalousie, voire de la haine.

Pire : une certaine élite aux gouvernes de ces pays, trempe dans les divers trafics cités. Les sommes d’argent générées sont colossales et chacun y trouve son dû. AQMI joue les « parrains » en protégeant ces activités illégales et prélève sa dîme. Des complicités s’installent.
L’extrême pauvreté et l’absence d’avenir servent de catalyseur aux jeunes pour lesquels il n’y a plus foi, ni loi. En perte d’identité et de dignité, leur haine de l’Occident – vu comme le prédateur de leurs ressources minières – enfle. (Voir à ce sujet l’ouvrage prémonitoire de Jean Ziegler, « La Haine de l’Occident », N.d.l.R.)

Les associations humanitaires officiant dans ces régions se replient et les populations locales, seules capables d’enrayer l’actuel processus, se sentent abandonnées. La spirale infernale est en marche ! Surtout avec la dernière « solution » trouvée : la force !

Les touristes ne viennent plus, les ONG et les ressortissants français résidant dans le nord du pays s’en vont… le vide s’installe ! Mais les militaires français débarquent, et l’exploitation des mines et la prospection pétrolière continuent… Principalement visible à l’hôtel principal de Niamey (en tenue de combat, s.v.p !), la présence de nos militaires sur le sol nigérien est ressassée en boucle par les chaînes de télévision. Quelle humiliation pour un pays souverain ! C’est ce sentiment que j’ai éprouvé tout au long de ma semaine passée au Niger fin septembre.

De mon entrevue avec notre Ambassadeur à Niamey le 21 septembre, je n’ai retenu que son interrogation: « comment, si la paix revient, pensez-vous revenir dans ces régions ? »

2) Mauritanie

Le cas de ce pays apparaît bien différent. Déjà, il n’y a pas de problème de confiance entre le nord et la capitale. C’est le seul pays où les tribus nomades sont maîtresses de leur destin.

S’il est vrai que l’avant-dernier gouvernement avait, pour des raisons d’équilibre politique, une tendance à fermer les yeux, voire à favoriser certains partis prônant un régime islamiste, il n’en est plus de même aujourd’hui. Le nouvel homme fort, le général Aziz, s’est engagé dans une lutte sans merci contre l’intégrisme et ses violences. Il agit de manière assez efficace en jouant sur trois leviers:

1. Lutte contre la pauvreté : un ensemble de mesures sont prises en faveur des quartiers défavorisés de Nouakchott où il se rend régulièrement, tel que l’adduction d’eau et autres commodités.

2. Mobilisation d’imams : cinq cents d’entre eux ont été missionnés pour contrer les prêches extrémistes et salafistes.

3. Action militaire : l’armée dispose de véhicules neufs, de stocks de carburants et les consignes sont strictes. Si la totalité du pays n’est pas encore quadrillée, d’importantes zones sont quasi hors de portée d’une quelconque intervention d’AQMI.

L’armée mauritanienne, accusée par AQMI d’être un «suppôt de l’Occident», quitte son territoire pour attaquer les bandes terroristes de l’émir Mokhtar Belmokhtar qui opère à la frontière algéro-mauritanienne.

Action du Point-Afrique dans l’Adrar mauritanien :

A l’automne dernier, après consultation du Premier Ministre mauritanien, nous avons pu engager – en concertation avec les autorités chargées de la sécurité – une formation de tous les guides de l’Adrar, qui ont été équipés de balises Argos.

La configuration géographique de l’Adrar mauritanien a été soigneusement étudiée. Seuls cinq passages permettraient de sortir de la zone en cas de prise d’otages. Les procédures d’intervention rapide de la gendarmerie permettent de faire échouer toute tentative d’enlèvement. Et la population locale, à l’inverse des pays voisins, coopère avec les autorités et assure une veille sur la circulation de tout étranger. Cette coopération exemplaire ne peut hélas, pour le moment, s’appliquer aux trois autres pays mentionnés dans mon analyse, car l’absence de dialogue et de confiance est trop criante.

Dernier point : les échanges d’une heure, au printemps dernier, avec le chef de l’Etat mauritanien, m’ont permis de mesurer l’importance qu’il donne à cette lutte sans merci. Il m’a également confié son souci de voir le tourisme se maintenir en raison de l’impact indéniable de cette activité dans la lutte contre la pauvreté (son autre fer de lance).

3) Pays Dogon

Le peuple Dogon n’est pas prêt à glisser vers AQMI. Il serait regrettable qu’un amalgame s’installe. De manière surprenante, nous avons pourtant connu la semaine passée plus de 40% d’annulation vers Mopti. Nous essayons néanmoins de maintenir les vols Paris-Mopti.

Conclusion :

Au regard de la situation que je viens d’évoquer, Point-Afrique se doit de prendre les mesures suivantes :

 Algérie : Arrêt total de toute activité sur Tamanrasset, Djanet et Timimoun.
Niger : Arrêt total sur Agadez.
Maintien de l’activité au sud de Niamey (dont la Tapoa et la réserve du W).

 Mali : Arrêt total sur Gao et le nord du pays.

Maintien des vols sur Mopti et de l’activité touristique en pays dogon.

 Mauritanie : suspension des vols jusqu’à Noël. Vérification et état des lieux en octobre. Si les conditions suffisantes sont réunies (approfondissement des formations sécuritaires des guides et des chameliers, renforcement des moyens de communication…), Point-Afrique opérera une liaison aérienne pour une reprise d’activité touristique dans la zone.

Inutile de vous décrire ma profonde révolte et l’impuissance du Point-Afrique à faire face à la situation actuelle. Nous avons perdu une bataille contre AQMI. Pour l’instant, nous devons réduire la voilure…
Certains de nos confrères ont décidé de maintenir leur offre sur l’Algérie, pour laquelle il est vrai la demande reste encore forte… Sans vouloir nous plier sans discussion aux recommandations des Affaires Etrangères du quai d’Orsay, force est de reconnaître que le danger est devenu démesuré. Bien que téméraire (je l’ai prouvé à maintes reprises), je ne suis pas fou. Pour avoir été pourfendeur des règles établies et jusqu’auboutiste des causes les plus perdues, force m’est de reconnaître que l’adversaire est d’une dangerosité nauséabonde et les risques incommensurables. Ma déontologie m’interdit de chercher à relever un tel défi !

C’est donc en toute humilité que j’ai décidé que cet hiver Point-Afrique n’ira que là où nous sommes raisonnablement sûrs de la sécurité et où nous sommes protégés par la population locale (ce qui n’est plus vrai malheureusement dans certaines zones spécifiques). Il est en effet impossible de jouer avec la vie des gens, tant ici que là-bas.
Et pour la Mauritanie: affaire à suivre !

Maurice FREUND

Président de Point-Afrique

N.B: A ce jour, le site du Ministère Français des Affaires étrangères indique que: « La Mauritanie semble constituer la cible privilégiée d’AQMI après l’Algérie ». « 

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