Guerre d’Algérie : la mémoire de Mohammed Larbi


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Drapeau de l'Algérie
Drapeau de l'Algérie

Mohammed Larbi, un Français d’origine algérienne, ancien professeur d’études politiques à Paris revient sur les derniers débats en France concernant la guerre d’Algérie. Jugeant l’évolution positive, il souhaiterait cependant que soit également abordée la question de la colonisation de l’Algérie et de ses conséquences.

Afrik.com : Depuis plusieurs mois on reparle en France de la guerre d’Algérie. Quel est votre sentiment général à l’égard de ce débat ?

Mohammed Larbi : Je pense que le débat est dans l’ensemble très positif. Une opinion qui savait en France tout de ce qui se passait, des rafles quotidiennes…Les Français savaient mais aujourd’hui ils en parlent. Ils libèrent en quelque sorte leur conscience. C’est important car ils créent dès lors les conditions pour rendre justice.

Afrik : Quelles peuvent être les conséquences directes pour la communauté algérienne ?

M.L. : Je crois que les révélations ont fait office de révélateur. Pendant des années, les Algériens en France qui ont vécu la guerre d’Algérie n’ont rien transmis à leurs enfants. C’est une situation qui permet de libérer leur mémoire et de rétablir un contact entre génération. Ce qui me paraît aujourd’hui très important.

Afrik : L’Institut national de l’audiovisuel (INA) organisait, le 11 décembre dernier, un débat sur la mémoire télévisuelle de la guerre d’Algérie et vous y assistiez. Qu’avez-vous pensé de ce qui a été dit de la lenteur de la télévision à dire la guerre d’Algérie ?

M.L. : Tout le monde sait que la télévision a été en France pendant très longtemps une télévision d’Etat. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Par conséquent, la manipulation se lit facilement et se comprend compte-tenu des positions politiques qui venaient du sommet de l’Etat en France.

Afrik : En fin de débat, vous êtes intervenu comme d’autres, sur le manque de représentation de la communauté algérienne à l’image. Qu’entendiez-vous par-là ?

M.L. : Quand je suis intervenu ici, je me référais à La Peste de Camus. Il y a quand même quelque chose d’incroyable : cette guerre s’est déroulée en Algérie mais les Algériens ne sont pas là. Ils sont absents. (il sourit). Rien à l’image, comme si cela ne concernait que les Français, et que les éléments du débat ne devaient être débattus qu’entre Français.

Afrik : Vous avez également dénoncé une certaine  » arrogance tranquille « . Je vous cite :  » On pense que ce qui se passe en Algérie depuis son indépendance peut exonérer une partie de la société française de ce qu’elle commis par le passé.  » Expliquez-vous.

M.L. : Oui, en effet. Et je crois que c’est un élément qui permet même à une certaine partie de l’opinion française, comme à une partie de la presse, de parler tranquillement, de rester entre gens de bonne compagnie. Elle se dédouane en se disant  » au fond les victimes d’hier se conduisent de la même façon aujourd’hui que leur bourreau de l’époque. Je trouve cela assez arrogant. Il ne faut pas oublier qu’au départ les Algériens sont les opprimés.

Afrik : Quel type de discours aimeriez-vous alors entendre, ou quel comportement souhaiteriez-vous que la France ait aujourd’hui ?

M.L. : L’opinion publique est majoritairement anti-colonialiste. Ce qu’il faudrait aujourd’hui, c’est aborder la question de la colonisation de l’Algérie. Une colonisation qui n’a rien à voir avec la présence de la France en Tunisie ou au Maroc. La France a détruit tout ce qui faisait la culture algérienne. Elle possédait toute une organisation politique, mais aussi culturelle, qui a été saccagée. L’Algérie a été un pays déchiré, et au plus profond. Il faudrait sérieusement mesurer toutes les conséquences de cette colonisation, condition pour un véritable débat mais aussi pour comprendre ce qui s’est produit en Algérie depuis l’indépendance du pays.

Afrik : Ce travail est-il fait par les Algériens eux-mêmes ?

M.L. : Malheureusement non. L’Etat pèse beaucoup en Algérie sur cette évolution et pas toujours de manière très positive. Au contraire même parfois. Mais cela ne doit pas empêcher la France de faire ce travail.

Afrik : Enfin, pensez-vous qu’un jour il puisse exister un véritable débat franco-algérien ?

M.L. : Je ne crois pas aujourd’hui que l’on puisse parler de débat franco-algérien. Mais les derniers débats qui ont eu lieu en France ont permis d’ouvrir une porte. On ne pourra pas revenir en arrière. Elle reste donc ouverte et, je l’espère, le sera encore davantage à l’avenir.

Retrouvez notre article sur la guerre d’Algérie dans les médias français (25 décembre 2000)

Yasmine Ben Hamida

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