Guinée : de la guerre des bérets à celle des grandes puissances


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L’Union Européenne a décidé le 22 décembre « d’imposer des mesures restrictives supplémentaires à l’encontre des membres du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) ainsi que des personnes physiques ou morales (…) responsables de la répression violente ou de l’impasse politique dans laquelle se trouve le pays ». La France a pressé pour un procès rapide des responsables des massacres et M. Kouchner n’a pas caché son souhait de ne pas voir revenir Camara en Guinée. Comment expliquer ces violences en Guinée ? Les condamnations et pressions occidentales sont-elles totalement sincères ?

Après les massacres du 28 septembre à Conakry la commission d’enquête indépendante de l’ONU a qualifié dans son rapport de « crimes contre l’humanité » plusieurs faits des membres de la junte au pouvoir en Guinée (Moussa Dadis Camara, Aboubacar Sidiki « Toumba » Diakité, Claude Pivi) lors de ces évènements dramatiques : tirs sur une foule désarmée, viols de femmes, crimes à caractère ethnique. Ce rapport a donné lieu à une session du conseil de sécurité lundi 21 décembre.

De la lutte inter-ethnique à la lutte intra-ethnique

Quelques six heures après la mort de l’ancien dictateur guinéen Lansana Conté il y a tout juste un an en décembre 2008, une junte militaire avait pris le pouvoir, sous la houlette du capitaine Dadis Camara, « investi d’une mission divine ». Depuis lors, après des promesses habituelles de démocratisation et de pouvoir « bientôt » rendu aux civils, d’arrêt de la corruption ou du trafic de drogue, les militaires n’ont eu de cesse en réalité de se servir du régime à leur profit, avec en prime une gestion des affaires publiques des plus fantaisistes, plongeant la Guinée dans le chaos.

Comme souvent en Afrique, le contrôle du pouvoir se traduit par la main mise d’une ethnie sur les ressources du pays. Le premier président Sékou Touré était Malinké et s’est entouré des siens pour asseoir son pouvoir de terreur. Lansana Conté, son successeur dans la dictature, n’a eu de cesse « d’épurer » l’administration pour placer des Soussous, son ethnie. Dadis Camara vient lui de la Guinée forestière et, derrière les barbelés de son camp Alpha Yaya Diallo à la sortie de Conakry, avait constitué une annexe présidentielle autour de son ethnie et de ses bérets rouges.

Jusqu’à ce que son ami et aide de camp Aboubacar Sidiki Diakité dit « Toumba », tente de l’assassiner le 3 décembre. Dadis est depuis soigné au Maroc et resté muet pendant que son ministre de la défense, le général Sékouba Konaté, dit « El Tigre » assure l’intérim et semble fidèle à son supérieur. La pression de la culpabilité en relation aux massacres du 28 septembre peut expliquer le geste de Toumba : il tuait le « dictateur Dadis » et pouvait en réclamer la gloire. Si Toumba est désormais en fuite, un autre homme du clan se verrait bien calife à la place du calife : le capitaine Claude Pivi, ministre de la sécurité qui tient le camp Alpha Yaya Dallo. Il semble clair que les militaires de la même ethnie se battent pour le pouvoir et la situation est très tendue.

En fait, l’argent est sans doute, comme souvent, le nerf de la guerre ici : détenir le pouvoir en Guinée signifie mettre la main sur le magot des ressources naturelles. La Guinée est en effet le deuxième producteur et le premier exportateur de bauxite au monde, avec les réserves les plus importantes. Mais la Guinée c’est aussi les diamants, l’or, le fer, le trafic de drogue et bientôt, au large, le pétrole. Et c’est sans doute justement aussi la formidable manne promise par des contrats avec des entreprises chinoises en octobre dernier de l’ordre de 7 à 9 milliards de dollars pour l’extraction de ressources et la prospection pétrolière.

Diplomatie à géométrie variable

De ce point de vue on comprend mieux les irritations occidentales : le concurrent chinois prend pied en Guinée. Les crimes perpétrés par la junte sont bien réels et doivent être vivement condamnés, mais on souhaiterait qu’il en soit toujours ainsi en occident. Or les pays occidentaux, notamment la France, ont une facilité à invoquer les droits de l’homme quand cela les arrange. Quand on constate que Paris par exemple étouffe l’affaire des biens mal acquis éclaboussant trois pouvoirs africains, a soutenu le fils du dictateur Bongo durant la crise démocratique au Gabon, ou s’est tu sur le référendum anticonstitutionnel de Tandja au Niger, il paraît difficile de ne pas voir une diplomatie à géométrie variable.

L’Afrique est encore et toujours au centre de la lutte entre les grandes puissances sur l’échiquier géopolitique – ici avec la Guinée. La montée en puissance de la « Chinafrique » en gêne plus d’un en occident, et surtout la France, qui perd peu à peu sa « Françafrique ». Après avoir soutenu la violation des droits de l’homme en Afrique, voilà que la France invoque ces derniers… Les Chinois, sans doute moins hypocrites, ne posent pas de questions sur les droits de l’homme. En se focalisant sur un échange « extraction » contre « construction d’infrastructures », il se trouve que la Chine a plus de chances de contribuer au bien-être et au développement des populations guinéennes.

La solution idéale serait bien sûr de parvenir à imposer l’état de droit en Afrique, mais force est de constater que cela n’a pas été une priorité des puissances occidentales depuis un demi-siècle. La nouvelle donne géopolitique les forcerait peut-être à pousser en ce sens, d’autant que la société civile africaine est à bout. Mais malheureusement il y a fort à parier que ce seront encore des guerres indirectes, issues d’une géopolitique nationaliste et court-termiste de sécurisation de sphères d’influences, qui émergeront.

Emmanuel Martin est analyste sur www.UnMondeLibre.org

Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org

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