France : identité nationale et immigration, le faux débat


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Au regard des problèmes (logement, travail, santé, école, etc.) que rencontrent la majorité des immigrés, la France a constaté avec amertume l’échec de son modèle d’intégration fondé sur l’assimilation surtout après les émeutes en banlieue de 2005. Les immigrés ont été pointés du doigt comme refusant les principes et les valeurs de la république française et donc rejetant l’identité française. Dans ce sens, le ministre Eric Besson a lancé récemment son initiative d’un débat sur l’identité nationale. Le problème d’intégration réside-t-il dans la non-assimilation de l’identité française ? Selon, Emmanuel Martin, analyste sur UnMondeLibre.org, le problème est ailleurs. Il explique que l’intégration de certains immigrés est donc bloquée d’un côté par certaines régulations empêchant les gens d’accéder à ou de se créer un marché du travail local, et de l’autre par des droits sociaux sans contrepartie productive, qui n’incite pas à sortir de la trappe à pauvreté.

Au vu des problèmes d’intégration de certains immigrés en France, le gouvernement français a lancé il y a quelques semaines un débat public sur l’identité nationale. Il y a fort à parier que l’identité nationale française sera très proche de l’italienne, fromages et linguistiques mis à part. En fait, comme en son temps dans le débat sur l’immigration choisie plutôt que subie, on passe à côté du vrai problème.

Des droits individuels…

Le vrai débat sur l’intégration se trouve à un autre niveau, qui est éludé soit parce qu’il est politiquement incorrect de le mentionner, soit parce que certaines conclusions seraient en conflit majeur avec un élément central de la social-démocratie : les droits dits sociaux. Il faut bien comprendre que la montée de l’État-Providence s’est accompagnée d’une transformation du concept des droits. Parce qu’avoir des droits semble une bonne chose, s’est répandue l’idée qu’il fallait « en donner » plus. Cette vision juridique a malheureusement faussé l’origine et la nature des droits, et la coordination et la plasticité sociales qu’ils permettent.

A l’origine les droits dits « individuels » étaient des « droits-libertés », c’est à dire des droits « de faire quelque chose » (de contracter, de s’exprimer…). Invoquer « un droit à » dans ce cadre était alors conditionnel à une production de service : c’est parce que j’ai produit de la valeur en rendant service à un tel que j’ai « droit à » mon salaire. Un « droit à » nécessitait donc une contrepartie productive : pas de « droit à » sans elle. Et, point crucial, le fait que je gagne un droit ne se faisait pas au détriment des droits de quelqu’un d’autre, au contraire : c’est parce que j’ai créé une valeur pour autrui que je touche mon droit.

… aux droits sociaux « universels »

Mais depuis la fin du dix-neuvième siècle, dans une certaine tradition juridique, les droits venant d’une contrepartie productive des individus ont été érodés au profit des droits sociaux distribués par l’État. J’ai désormais un « droit à » (la santé, au logement, au travail…) parce que j’ai tel statut, ou parce que ce droit est dit « universel ». Ici deux problèmes, au moins, émergent.

Premièrement, alors qu’un droit positif de première génération émanait d’une création de valeur permettant une « cohabitation des droits », les droits dits « sociaux » génèrent des « conflits de droits » : mon « droit opposable au logement » ne tombe en effet pas du ciel mais est financé par des contribuables à qui l’on ampute leur salaire, c’est à dire… leur droit. Clairement, mon droit opposable au logement entre en conflit avec votre droit à toucher intégralement le fruit de votre travail. Même avec l’outil de l’inflation, l’État est bien forcé en donnant des droits sociaux aux uns de prendre des droits aux autres. L’aspect quelque peu magique des droits sociaux « donnés par la société » ne doit pas occulter la réalité de leur origine : un conflit de droits.

Deuxièmement, ces droits dits sociaux se voient conférer une dimension « universelle ». Étant donné le caractère nécessairement rare et limité des ressources permettant d’octroyer des droits sociaux, on ne saurait trop insister sur la dangerosité de cette universalité proclamée. N’importe quel individu peut venir sur le territoire et réclamer son droit universel à la santé, à l’éducation, au logement, à la nourriture etc. En toute logique les promoteurs de ces droits universels ne devraient rien avoir à redire. Sauf que la réalité du « conflit de droits » les rattrape bien évidemment très vite. L’universalité doit donc s’arrêter à la frontière.

Droits sociaux et intégration

C’est là que se pose le problème de l’immigration. Même s’il n’est pas question ici de stigmatiser les immigrés comme des profiteurs (comme le fait une certaine droite), on ne peut nier l’appel d’air que représentent ces droits « gratuits » pour les récipiendaires. Les nationaux dits « de souche » font face aux mêmes incitations de ce point de vue. Mais pour certaines populations immigrées, le problème est d’autant plus aigu que l’intégration par le travail ne se fait pas du fait de la discrimination et de réglementations telles que le salaire minimum national.

En effet, des populations dont la productivité est perçue comme basse par les employeurs « locaux » ou dont les réseaux économiques sont relativement pauvres et peu complexes, donc avec une productivité globale faible là aussi (complexité et productivité vont de pair), ne peuvent tout simplement être employées à des niveaux « élevés » de salaire. Il est sans doute choquant d’affirmer que « le salaire minimum est trop élevé » pour certains. Malheureusement derrière le vœu pieux d’égalité, il faut bien reconnaître la profonde hétérogénéité du développement sur un territoire national. Et en tirer les conséquences en termes de nécessaire hétérogénéité des salaires.

L’intégration de certains immigrés est donc bloquée d’un côté par certaines régulations empêchant les gens d’accéder à ou de se créer un marché du travail local, et de l’autre par des droits sociaux sans contrepartie productive, très confortables. Obstacles à l’entrée sur le marché du travail et dépendance aux droits sociaux n’incitant pas au travail (aides diverses, allocations…) génèrent ainsi le phénomène bien connu des trappes à pauvreté, qui alimentent la non-intégration.

Tous les débats sur l’identité nationale passent à côté du problème principal des ressorts de l’intégration économique des immigrés qui seule permet leur intégration sociale. Malheureusement une société proposant à foison des droits sans contrepartie productive n’est pas viable, très largement parce qu’elle instaure le conflit de droits comme mode de régulation sociale. La souplesse, la flexibilité et la « capacité absorptive » d’une société où les « droits à » viennent de la création de valeur et où les prix sont libres est, comme par le passé, la seule réponse au défi de l’immigration et de l’intégration dans une société ouverte.

Emmanuel Martin est analyste sur www.UnMondeLibre.org. (Il est petit-fils d’émigrés italiens très bien intégrés à « l’identité nationale française », avant l’avènement des droits sociaux).

Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org

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