Tunisie : vers un dialogue du régime de Ben Ali avec l’opposition ?


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La campagne officielle pour les élections tunisiennes présidentielle et législatives a débuté dimanche. La veille, a eu lieu à Paris une conférence sur les élections à venir en Tunisie le 25 octobre. Elle a revêtu un caractère exceptionnel par la présence à la fois de l’opposition et de représentants du pouvoir. Malgré une approche d’abord légère de l’événement, le parti de Ben Ali a fini par s’investir dans le débat, laissant entrevoir ce que pourrait être un véritable débat politique en Tunisie.

41876231.jpgLes vigiles sont nerveux devant l’entrée de Sciences Po, dans le VIIe arrondissement de Paris. « C’est la troisième fois que cette voiture passe ! ». Il est entendu que les renseignements tunisiens ne peuvent avoir omis de s’intéresser à un tel événement, en ce samedi matin. C’est en effet toute l’opposition qui se rassemble dans le grand établissement français d’enseignement supérieur, à l’occasion d’une conférence organisée par l’association étudiante Sciences Po Monde arabe.

Mais l’événement s’annonce véritablement exceptionnel, puisque le pouvoir du Président Ben Ali, en place depuis 1987, a accepté d’envoyer des représentant débattre avec l’opposition. A la veille du lancement des 13 jours de campagne, avant les élections présidentielle et législatives, le 25 octobre, on ne pouvait trouver meilleur symbole.

Naissance d’un espace public

« Il ne s’agit pas d’un meeting de l’opposition, chacun sera traité de la même façon », prend bien le soin de préciser Sélim Ben Hassen, qui tient la tribune avec Aïda Doggui. C’est en fait un véritable embryon d’espace public qui émerge, dans l’amphithéâtre où 350 personnes se sont réunies.

Le pouvoir a accepté à reculons de venir se confronter à l’opposition. Les premières interventions sont donc empreintes de légèreté et de mépris. Ainsi, un conseiller de Ben Ali, Mezri Haddad[[Intellectuel réputé dans les années 1990 pour ses critiques virulentes du régime, mais rallié depuis au camp de Ben Ali. Il en serait très écouté.]], invité à évoquer « les acquis de l’ère Ben Ali », annonce ne pas avoir préparé son intervention et préfère disserter de choses et d’autres. « Je suis proche de la nature, proche des animaux, proche de la culture, mais pas proche du régime », déclare-t-il, en assumant malgré l’intelligence qu’on lui prête de passer pour ridicule.

41972207.jpgLa salle comporte nombre de défenseurs de Ben Ali. « Je suis venu de ma propre initiative et je n’ai pas été payé ! », se défend l’un d’eux. Leur rôle est de soutenir les représentants de la présidence face à une salle hostile. Mais ils servent aussi à attaquer frontalement et sans nuances les membres de l’opposition. Un militant interpelle par exemple un représentant d’Ettajdid[[Héritier du Parti communiste tunisien, au spectre politique à présent plus élargi. Son candidat est Ahmed Brahim.]], l’accusant d’avoir pour modèle Cuba et la Corée du Nord. L’intervenant déclare en réponse n’être lui-même pas communiste et rappelle avoir justement critiqué Cuba quelques minutes plus tôt.

Les pro-Ben Ali s’insurgent à plusieurs reprises d’un manque de démocratie dans les débats, et évacuent même la salle avec fracas… pour mieux revenir une fois leur pause-déjeuner achevée. Et c’est vers la fin de la journée qu’un semblant de débat s’enclenche enfin, quand un avocat partisan du Président demande à intervenir pour répondre de manière structurée aux critiques de Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), sur le musellement de l’opposition en Tunisie.

Ont donc été en partie dépassées, l’espace d’une journée, les critiques que se renvoient opposition et pouvoir de refuser chacun tout dialogue dans un manichéisme contre-productif. Mais les choses paraissent bien éphémères, puisque le soir même les exemplaires du journal d’Ettajdid ont été saisis, officiellement pour une violation du code électoral. Et l’on se doute que, comme à chaque élection présidentielle en Tunisie, le Président Ben Ali sera réélu avec plus de 90% des suffrages. Les opérations électorales restent contrôlées par le parti-Etat, comme la FIDH le dénonce.

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Les images sont issues du blog Débat Tunisie

Interview de Sélim Ben Hassen, organisateur de l’événement

min_Image_1.jpgSélim Ben Hassen est le descendant indirect du premier président tunisien, Habib Bourguiba, écarté du pouvoir par Zine el-Abidine Ben Ali en 1987. A 29 ans, il dirige l’association universitaire Sciences Po Monde Arabe, à l’origine de la conférence.

Afrik.com : Comment avez-vous pu organiser un tel événement, à l’importance soulignée par tous les participants d’opposition ?

Sélim Ben Hassen :
Je n’irai pas jusqu’à dire que cet événement est historique, mais il est tout de même unique. Tout d’abord, parce qu’il a réuni toute l’opposition, dont les membres s’insultent hélas trop souvent. Et ensuite parce que les représentants du Président Ben Ali ont accepté d’y participer. J’ai passé trois mois en Tunisie, pour démarcher les différents intervenants. J’ai dit à l’opposition qu’il n’y aurait pas de débat en Tunisie, et au pouvoir que la politique de la chaise vide leur était défavorable.

Afrik.com : A-t-il vraiment suffit de donner cet argument au pouvoir pour qu’il participe ?

Sélim Ben Hassen :
Non, bien sûr, j’ai dû insister un peu plus. J’ai bien précisé, pour les rassurer, que nous serions à Sciences Po, donc dans un lieu neutre. J’ai rappelé que la conférence aurait lieu à la veille du lancement de la campagne officielle. Et j’ai insisté sur le fait que c’était une association étudiante non partisane qui se chargeait de l’organisation, en me présentant bien comme quelqu’un d’indépendant et non comme un opposant.

Afrik.com : Justement, n’êtes-vous pas considéré comme un opposant par le régime de Ben Ali ?

Sélim Ben Hassen :
Pour le pouvoir, quelqu’un qui discute avec l’opposition ne peut qu’en faire partie. Il n’est donc pas étonnant que le journal dont est actionnaire le gendre du Président Ben Ali ait dénoncé une « réunion de l’opposition à Paris ». Mais l’inverse est également vrai : pour l’opposition, discuter avec le pouvoir c’est se compromettre. Pour le reste, j’étais probablement un parfait inconnu à leurs yeux avant d’organiser cet événement.

Afrik.com : On vous prête des ambitions politiques. Pour paraphraser une phrase célèbre, pensez-vous à devenir président de la Tunisie quand vous vous rasez le matin ?

Sélim Ben Hassen :
Je souhaite surtout servir mon pays, quelque soit le poste. On verra de quoi demain sera fait.

Afrik.com : Et où vous situez-vous politiquement, dans le contexte tunisien ? Mustapha Ben Jaafar (FDTL) disait lors de la conférence que « le mur de Berlin n’est pas tombé en Tunisie », sous-entendant qu’on ne se positionnait que par rapport au régime…

Sélim Ben Hassen :
Politiquement, je me classerais plutôt à gauche, mais il est vrai que cela n’a pas beaucoup de sens en Tunisie. Beaucoup y pensent que la démocratie n’est pas faite pour les Arabes. Pour repartir, il nous faudrait rédiger notre propre contrat social, et non plus nous baser sur un simple copié-collé des institutions françaises. Nous ne pouvons continuer longtemps avec des institutions sans fondations.

Afrik.com : Enfin, question incontournable : quel est votre lien de famille avec Habib Bourguiba ? Et quel est votre rapport au nom du premier Président de la Tunisie ?

Sélim Ben Hassen :
Je ne suis que le petit-neveu du président Bourguiba. Et puis je pense surtout que les convictions politiques ne se transmettent pas par les gènes ! Je fais mon chemin en politique, et mon rapport à Habib Bourguiba est celui du citoyen au Père de la nation : critique parfois, mais reconnaissant toujours…

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