Pourquoi les Maliens résistent-ils autant au nouveau code de la famille ?


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Au Mali, le gouvernement a jugé nécessaire la refonte du code de la famille pour respecter les conventions et traités internationaux sur les droits de l’Homme qu’il a déjà ratifiés. Cependant certains points comme la non reconnaissance du mariage religieux, le partage des charges familiales entre époux, la puissance paternelle remplacée par l’autorité parentale ont posé problème, donnant lieu à des manifestations populaires dans le pays. Comment expliquer l’opposition à cette réforme ?

Une analyse de Noël KODIA, essayiste et critique littéraire d’origine congolaise.

Dans un pays pauvre à 90% musulman, les Maliens ne pouvaient rester insensibles à cette réforme. Un meeting organisé par le Haut conseil islamique du Mali a rassemblé prés de 50 000 personnes à Bamako les 15 et 22 août dernier. Des protestations et prêches virulentes ont eu lieu dans d’autres grandes villes du pays. Le respect de la tradition, la préservation du mode de vie ancestral, les rapports entre l’homme et la femme fondés sur la religion sont des valeurs profondément ancrées dans la société malienne. Le Secrétaire du Haut Conseil Islamique du Mali, Mamadou Diamouténé a déclaré que « Le code adopté par l’Assemblée nationale le 3 août 2009 ne sera pas appliqué à nous, Maliens et Maliennes attachés à nos valeurs et tenant à vivre pleinement notre religion ».

Religion et tradition nourrissent la résistance au changement

Pour les croyants musulmans, comme chrétiens, le mariage religieux apparait plus important que le civil hérité de la culture occidentale laïque. Dans la tradition africaine, le mariage coutumier unit deux communautés et c’est le religieux qui scelle cette union entre elles ad vitam aeternam. Ne plus reconnaitre le mariage religieux est perçu par de nombreux maliens comme un encouragement au divorce que condamne la religion, mais qui est toléré par le mariage civil. Le partage des charges familiales entre l’homme et la femme, la puissance paternelle transformée en autorité parentale ont ainsi interpelé certains Maliens. Pour eux, le Mali irait droit vers un dérèglement socioculturel si le mariage religieux était désavoué.

Au-delà des traditions des communautés, il faut noter le poids des groupes de pression religieux qui entretiennent justement certaines croyances. Les imams, qui ont une interprétation étroite et non libérale de l’islam et qui occupent une place prépondérante dans la société, verraient en effet leur pouvoir communautaire, et donc leur pouvoir économique, sapé par de tels changements. Ils pourraient freiner cette réforme et les changements souhaités risquent d’avorter. Il n’est pas certain par ailleurs que ce traditionalisme ne profite pas de l’analphabétisme d’une majorité de femmes.

L’économie de la famille

Mais c’est sans doute surtout l’économie de la famille qu’il faut prendre en compte. On doit reconnaître le lien étroit entre organisation économique et organisation de la famille : tel type de mariage correspond à tel type d’organisation économique qui elle-même correspond à un certain niveau de développement économique. L’évolution du type de mariage se fait très largement « par le bas » (par les choix des individus) en fonction de l’évolution économique, et à vouloir forcer un type de mariage « par le haut » (par décision politique), on risque d’imposer un type de mariage qui ne répond plus aux besoins de la société à son stade de développement économique, ce qui entraîne un risque d’effets pervers.

Dans des zones rurales, les filles sont en général mariées entre douze et treize ans. Elles servent très clairement de main d’œuvre et de « reproductrices de main d’œuvre », faisant beaucoup d’enfants pour assurer les nombreuses tâches familiales. C’est aussi l’analphabétisme et la condition familiale qui poussent très tôt les filles au mariage, échappant ainsi à la dictature parentale. Prise en mariage par l’homme qui débourse une importante somme d’argent et qui doit s’occuper d’elle, la femme africaine comprend que le partage des charges familiales entre son mari et elle ne sera jamais équitable.

La progéniture valorise le couple et affirme la puissance paternelle qui est ipso facto reconnue par l’Africaine. C’est l’homme qui travaille, solutionne tous les besoins matériels et financiers de la famille. Cette puissance paternelle justifie sa position de chef de famille. Même marié, le Malien émigre parfois pour chercher du travail. Il impose ainsi sa puissance paternelle en envoyant de l’argent au pays pour sa femme et ses enfants. L’organisation économique de la famille se fait autour du respect paternel. Or, dans cette réforme, le pouvoir paternel cède la place au pouvoir des deux parents.

Par ailleurs le mariage n’unit pas seulement deux partenaires mais deux communautés, pérennisant une certaine organisation économique intracommunautaire, contrairement au mariage occidental qui concerne deux individus.

Dans cette Afrique là, on ne se marie donc pas pour les mêmes raisons qu’en Occident. Le mariage répond à des impératifs économiques. Porter brusquement l’âge du mariage à dix huit ans, consacrer la parentalité et dissoudre implicitement le lien communautaire n’est donc pas réaliste dans ce contexte de développement.

Si la civilisation occidentale est arrivée à l’égalité sociale entre l’homme et la femme dans le partage des charges familiales, il n’en est pas de même dans la réalité africaine. C’est essentiellement l’évolution économique qui fait changer les pratiques matrimoniales et les mentalités. D’ailleurs les traditions commencent à être altérées au Mali même, avec l’évolution socioéconomique urbaine où la femme n’est plus une citoyenne de seconde zone.

Bien sûr, cette réforme est en principe louable d’autant que l’émancipation de la Malienne devient une réalité dans sa lutte contre la soumission et les sévices corporels comme l’excision. Mais aboutira-t-elle dans une société majoritairement musulmane traditionnaliste ? Ne risque-t-elle pas de briser des équilibres d’institutions familiales qui, même si elles peuvent paraître archaïques et discriminatoires pour la femme, sont en réalité adéquates pour un certain niveau de développement ? N’est-ce pas justement indirectement, en favorisant le développement par le biais d’une ouverture économique, qu’on améliorera le sort de la femme et fera évoluer le mariage ?

 Publié en collaboration avec Un Monde Libre

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