La croissance urbaine mise en cause dans les inondations en Afrique de l’Ouest


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Mamadou Ndiaye fait des allers-retours dans sa maison inondée, tandis que ses enfants évacuent l’eau sale, seau par seau. Cette famille fait partie des milliers de Sénégalais dont les maisons sont envahies par les eaux depuis des jours…

Il y a 30 ans, quand M. Ndiaye s’est installé à Guédiawaye, à 26 kilomètres du centre de Dakar, la capitale, la terre était sèche et bon marché. A présent, les habitants de cette banlieue très peuplée subissent des inondations à chaque saison des pluies.

Les inondations récurrentes dans les villes moyennes ou grandes sont davantage liées à la présence humaine qu’aux précipitations, a affirmé Cheikh Mbow, professeur de l’Institut des Sciences environnementales de l’Université de Dakar, qui étudie l’impact de la variabilité du climat sur les risques d’inondations en zone urbaine. D’après lui, les inondations annuelles que connaît la région sont le reflet de la croissance démographique explosive des villes, de la pauvreté et de l’insuffisance des politiques d’aménagement urbain.

« Les habitants des zones rurales qui sont frappés par la pauvreté viennent s’installer sur des terres inadaptées à l’habitat, où ils sont ensuite exposés à des inondations et d’autres catastrophes telles que des glissements de terrains ou des risques industriels ».

D’après les prévisions du Fonds des Nations Unies pour la population, l’Afrique de l’Ouest devrait connaître une croissance démographique de 2,4 pour cent entre 2005 et 1010, et la population de cette région risque d’être multipliée par plus de deux entre 2008 et 2050, passant de 293 millions à 617 millions ; l’essentiel de cette croissance aurait lieu dans les zones urbaines.

Concernant les inondations de cette année en Afrique de l’Ouest, qui ont fait au moins 160 morts selon le bilan des Nations Unies, les observateurs pointent du doigt le problème de la congestion urbaine. A Freetown, la capitale de la Sierra Leone, la principale cause des inondations récentes serait « la construction irréfléchie » dans des zones de la ceinture verte [terres non exploitées], d’après Mary Kamara, directrice de la gestion des catastrophes au Bureau de la sécurité nationale.

Dans les villes du nord du Nigeria, la surpopulation a conduit les habitants à construire leurs maisons dans les lits des cours d’eau, et les systèmes de drainage naturels ont été bloqués par les ordures, a expliqué Hassan Musa, écologue à l’Université Bayero de la ville de Kano, dans le nord du pays.

« Dans certains cas, quand les habitants construisent des maisons sur des cours d’eau et que le gouvernement ne fait quasiment rien pour les en empêcher, cela conduit à un cercle infernal d’inondations et de destructions, qui aboutit parfois à la mort », a dit à IRIN M. Musa.

« Nous vivons dans des conditions atroces. Les inondations sont un problème qui pourrait être résolu par le gouvernement. Mais les politiques nous ont oubliés. C’est aussi simple que cela »

Pas de plan d’aménagement urbain à Dakar

Il y a 50 ans, Dakar était une presqu’île triangulaire entourée de marécages, connue sous le nom de « Cap Vert ». Les environs, où dominait autrefois la couleur verte, sont aujourd’hui majoritairement gris, depuis qu’une sécheresse, survenue dans les années 1970 et 1980 dans le Sahel, a poussé les habitants des régions rurales à s’installer dans les parties basses et inondables des alentours de la ville, malgré les règlements interdisant la construction dans ces zones.

« L’Etat n’a pas vraiment pris de mesures strictes pour rendre effective l’interdiction d’occupation de ces terrains inadaptés à l’habitat », a déclaré M. Mbow. A présent, 95 pour cent de la région de Dakar, qui comprend les districts de Pikine, Rufisque et Guédiawaye, sont couverts de constructions et de routes qui bouchent les cours d’eau et les bassins naturels.

D’après Malick Faye, urbaniste au Conseil régional de Dakar, les graves inondations qui ont eu lieu dans le quartier de Wakhinane à Guédiawaye – où les habitations ont été construites au niveau de la nappe phréatique – sont un exemple révélateur d’un problème plus vaste.

« La nappe phréatique était autrefois très basse, mais maintenant que les précipitations sont revenues, l’eau a retrouvé son niveau naturel. Aujourd’hui, cinq minutes de pluie suffisent à provoquer une inondation », a-t-il expliqué à IRIN.

A l’heure où des équipes de réponse d’urgence pompent l’eau qui a envahi certains quartiers de Dakar, les experts s’accordent tous pour dire que la seule solution serait de reloger les habitants.

« On ne peut pas se battre contre le trajet de l’eau », a déclaré M. Mbow. « Pendant que l’on pompe, l’aquifère rétablit le niveau de l’eau. Il faut évacuer les habitants et s’assurer que personne ne viendra s’installer à leur place ».

De nouvelles villes

En réponse aux inondations qui avaient dévasté Dakar en 2005, le gouvernement a lancé un programme de relogement intitulé « Plan Jaxaay », qui visait à installer les victimes des inondations dans une zone située à 25 kilomètres à l’est de la capitale.

Le gouvernement a construit 1 793 logements de deux pièces – sur 3 000 prévus – ainsi que trois écoles primaires, un collège d’enseignement moyen, une école maternelle et un poste de police.

Aliou Ba, habitant de la Cité Jaxaay et instituteur à la retraite, est satisfait de sa nouvelle maison. « Je préfère vivre dans la cambrousse que les pieds dans l’eau en ville », a-t-il déclaré. « Le seul problème, c’est qu’il n’y a pour l’instant ni électricité ni eau courante ».

Pour Chimère Diallo, coordinatrice terrain pour le Plan Jaxaay, le fait que 3 000 familles aient été relogées est un bon début, mais ce n’est pas suffisant, étant donné l’ampleur immense du problème de logement au Sénégal.

D’après M. Mbow, environ 1,6 million de personnes vivent dans les banlieues de Dakar, la densité atteignant 10 000 habitants par kilomètre carré dans certains quartiers.

En matière de relogement, l’effort à fournir est énorme, a affirmé M. Faye, du Conseil régional.

« Pour reloger 2 000 familles, il faut créer une nouvelle ville… et donc mettre en place tous les services et toutes les infrastructures nécessaires – électricité, eau, systèmes de drainage. Cela représente énormément de travail… Le Plan Jaxaay est une bonne chose, mais nous ne pouvons pas construire des maisons pour tout le monde en un an ».

Les habitants des banlieues de Dakar ont récemment manifesté pour exprimer leur lassitude face au manque de services et aux conditions de vie déplorables auxquelles ils sont confrontés.

M. Ndiaye, habitant de Guédiawaye, a déclaré : « Nous vivons dans des conditions atroces. Les inondations sont un problème qui pourrait être résolu par le gouvernement. Mais les politiques nous ont oubliés. C’est aussi simple que cela. Nous ne pouvons pas compter sur les hommes politiques. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes ».

Photo: Nancy Palus/IRIN : Une petite fille traversant une rue inondée à Pikine

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