Kenya : les Mau Mau demandent réparation aux Anglais


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Cinq vétérans du mouvement Mau Mau se sont rendus la semaine dernière, à Londres, pour porter plainte en personne contre le gouvernement britannique pour des actes de torture commis avant l’indépendance du pays. Des dizaines de milliers de Kenyans ont été arbitrairement emprisonnés, torturés ou exécutés en réponse à une rébellion contre les colons. Les victimes demandent aujourd’hui réparation et reconnaissance des exactions commises à l’Etat anglais.

Le 23 mai dernier, cinq victimes des troupes coloniales britanniques ont quitté leur pays pour déposer plainte, à Londres, contre le gouvernement anglais. Entre 1952 et 1960, les Mau Mau se sont rebellés contre les colons pour reprendre leurs terres. Ce soulèvement a été violemment réprimé par des exécutions, des actes de torture et des internements dans des camps. Les survivants réclament aujourd’hui une compensation et surtout la reconnaissance des crimes subis. En effet, depuis cinquante ans, les Etats kenyan et anglais passent sous silence ces évènements. Si la plainte aboutit, des milliers de Kenyans pourraient à leur tour demander une compensation. La commission kenyane des droits de l’homme (Kenyan Human Rights Commission) a documenté une quarantaine de cas de castration, d’abus sexuels et de détentions illégales commis par des officiers des troupes coloniales, dont cinq seront présentés devant la Cour suprême. Après avoir objecté que le temps écoulé depuis les faits était trop long, et que la responsabilité de l’empire colonial est passée à l’Etat kenyan avec l’indépendance du pays, Londres doit faire face à une action en justice. Pour les survivants qui ont entre 70 et 80 ans, la plainte constitue leur dernière chance de voir leurs souffrances reconnues.

Une rébellion violemment réprimée

Le mouvement Mau Mau était dominé par les Kikuyus, le groupe ethnique le plus important du Kenya. Pendant la première partie du 20ème siècle, les Européens possédaient la plupart des terres cultivables du pays. A la fin de la seconde guerre mondiale, Jomo Kenyatta, leader des Mau Mau, créa la Kenyan African Union (KAU) qui réclamait l’accès aux terres pour les noirs. C’est dans se contexte que les Mau Mau menèrent des actions violentes pour récupérer leur droit, entre 1952 et 1960. L’Etat d’urgence fut instauré et la rébellion fut brutalement réprimée par des emprisonnements, des exécutions, des actes de torture… Les Kenyans soupçonnés de soutenir ou de sympathiser avec le mouvement Mau Mau furent emprisonnés sans jugement dans des camps. Les gardiens se livrèrent à des actes barbares comme la castration et des agressions sexuelles qui entrainèrent souvent la mort. Les historiens estiment que 150 000 personnes ont été internées dans 150 camps à travers le pays, mais les chiffres diffèrent selon les sources. D’après un bilan officiel, les colons ont emprisonné 80 000 sympathisants potentiels des Mau Mau. 11 000 d’entre eux auraient été tués d’après ce bilan, tandis que des historiens avancent des chiffres allant de 20 000 à 300 000 morts. En 1959, l’Etat d’urgence est levé et des discussions sur la formation d’un gouvernement kenyan débutent. L’indépendance du pays est déclarée le 12 décembre 1963. La même année, les activistes Mau Mau sont amnistiés. Jomo Kenyatta devient le premier président du pays en 1964.

Wambugu Wa Nyingi, 81 ans, est l’un des plaignants qui a fait le déplacement à Londres. Avant son arrestation le 24 décembre 1952, il travaillait comme conducteur de tracteur et était membre du Kenyan African Union (KAU), un parti politique qui militait pour plus de libertés et d’indépendance pour les Kenyans. Wambugu n’a jamais prêté serment au mouvement Mau Mau. Il a été arrêté pendant la nuit par sept officiers blancs qui l’emmenèrent dans un premier camp, sans jugement. Transféré de camps en camps, il est resté captif pendant neuf ans. Il a été agressé à plusieurs reprises, notamment à Hola Camp où onze détenus ont été battus à mort après avoir refusé de creuser leurs propres tombes.
Les souvenirs des violences commises sont encore très présents dans la société kenyane. Mais des survivants de cette époque rappellent aussi que la rébellion Mau Mau était violente envers la population et que des exactions ont été commises par des Kenyans eux-mêmes. Plus de cinquante après, le travail de mémoire n’en est qu’à ses débuts.

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