Les Antillais et l’homosexualité : l’appel à la tolérance des « Konxs »


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Les Konxs
Les Konxs, affiche du film de Julien Dalle

À travers son premier long-métrage, le réalisateur Julien Dalle désirait lancer un vibrant appel à l’acceptation de la différence. Pour faire passer le message, ce jeune homme de 28 ans a choisi le thème de l’homosexualité, encore mal vue aux Antilles. Il aborde au passage d’autres thèmes, comme le racisme en France et aux Antilles. Interview.

Au départ, les Konxs – une bande de copains d’enfance guadeloupéens – voulaient juste tourner en France un film entre potes. Mais Julien Dalle s’est pris au jeu. Il a écrit un scénario et a au final réalisé un long métrage. Le pitch ? Les Konxs – une contraction des mots « con » et « sérieux » – partagent tout, parfois même les petites amies.

À Paris, ils jouent au football, échangent à propos du travail, du racisme, d’une Guadeloupe que certains rêvent de retrouver au plus vite… L’osmose est parfaite, jusqu’au jour où l’homosexualité d’un membre du groupe est percée à jour.

Une faute grave car elle viole la dernière des trois règles fondamentales de la bande : honorer le boulot, honorer le siwo (la fête, en créole) et honorer les femmes. Divisé sur le cas de l’accusé, les Konxs organisent un procès avec un juge négropolitain, le surnom donné aux Antillais ayant grandi en métropole…

Le thème de l’homosexualité est le vecteur d’un vibrant message de tolérance, d’acceptation de l’autre dans sa différence, que Julien Dalle fait passer en évoquant au passage le racisme aux Antilles et en France. À l’occasion du Festival international cinéma et femme, qui s’est ouvert ce jeudi en Guadeloupe, le réalisateur de 28 ans s’est confié à Afrik.

Afrik.com : L’homosexualité n’est pas bien vue aux Antilles. Le Festival du cinéma de la Guadeloupe a-t-il tout de suite été preneur du film ?

Julien Dalle : Immédiatement. Ils avaient déjà entendu parler du film et nous ont directement donné leur accord pour que le film soit dans la sélection officielle. Il y a eu un bouche à oreille efficace pour ce film et aujourd’hui on le voit sur les sites de discussion d’Internet. Beaucoup aimeraient le voir sortir au cinéma.

Pourquoi avoir choisi l’homosexualité pour parler du thème plus global de la tolérance ?

À l’époque, et bien avant les problèmes qu’il y a entre les artistes de dancehall et les homosexuels, je trouvais que c’était un bon thème pour mettre le feu aux poudres dans une bande d’amis et ensuite pour décliner tous les autres thèmes qui sont présents dans le film.

Je pensais que ce thème était particulièrement intéressant parce que justement aux Antilles on a parfois certaines intolérances qui sont peut-être plus exacerbées et qui peuvent donner lieu à des comportements plus extrêmes.

Je me suis dit que si cette bande d’amis de garçons machos avait un ami homosexuel parmi eux, les réactions pourraient être diverses et certaines pourraient être extrêmes.

A-t-il été difficile de décider lequel des Konxs allait jouer le rôle de l’homosexuel ?

Au début j’avais pensé à l’un des membres, Jean-François, parce que je trouvais qu’il avait un côté un peu spirituel, un peu mystérieux, qui pouvait correspondre à quelqu’un qui avait quelque chose à cacher. Le deuxième choix était Gerald, qui a une personnalité à la fois très forte, très virile et très douce.

Jean-François a préféré ne pas accepter le rôle mais ça a été une très bonne chose qu’il n’ait pas eu un rôle aussi lourd à porter. Lourd non pas parce que c’est un rôle d’homosexuel mais parce que c’est le rôle principal du film, qui nécessitait énormément d’implication.

Or, dans le tournage, Jean-François a pris une part très importante dans la réalisation et l’organisation. Ce qu’il faut noter surtout c’est qu’il n’y avait pas d’homosexuels dans le groupe donc ça a été un choix très difficile à faire. Les volontaires ne se sont pas bousculés au portillon.

Parmi les autres thèmes abordés, il y a notamment le fort attachement à la Guadeloupe, l’île natale des Konxs. Certains parlent même de retourner aux Antilles…

Aux Antilles, les gens reviennent souvent quand ils ont fini leurs études et je trouvais intéressant de développer ce thème parce qu’un certain nombre de personnes rentrent par dépit ou par choix.

D’autres rentrent sans s’être vraiment ouvertes à la nouvelle culture européenne qu’ils avaient découverte pendant trois ou quatre ans ou veulent rester en métropole plus longtemps pour apprendre plus.

L’un des Konxs parle de la Guadeloupe comme de son « pays ». Cela donne le sentiment que pour lui cette île est un pays à part même si elle est officiellement un département français…

Tout à fait. Les Antillais considèrent la Guadeloupe comme un pays. C’est dû au fait – un peu comme la Bretagne ou le pays Basque où il y a un certain poids historique qui fait que la culture est sensiblement différente de la France métropolitaine – qu’il y a un fort sentiment presque nationaliste alors qu’on n’est qu’un département. On considère que l’on est Guadeloupéen avant tout et aussi Français. Ce qui est valable de façon analogue pour la Martinique.

Et puis, historiquement, la Guadeloupe est quand même une île où on amenait les gens qui étaient un peu plus rebelles que les autres. Il s’est passé tout un tas de choses qui ont montré que les Guadeloupéens étaient très fortement encrés dans ce « nationalisme ».

Dernier exemple en date : c’est le « non » au référendum européen sur la constitution. Le taux de « non » en Guadeloupe était bien plus élevé que la moyenne nationale et qu’en Martinique.

Le film dénonce le racisme en France mais aussi le racisme entre antillais…

Le racisme en France n’empêche plus autant de vivre, il ne crée plus autant de problèmes qu’avant. Les choses évoluent positivement mais le racisme est quand même présent. Une étude du Cran a statistiquement montré que beaucoup de gens subissaient des actes racistes aujourd’hui. J’ai trouvé intéressant de le montrer un peu.

Quant au racisme entre les membres du Konxs, il visait à montrer qu’aux Antilles on est quand même assez conscients de la couleur de peau des gens et que quand on souffre d’un problème il faut se demander si on ne le crée pas aussi chez soi…

Autre « racisme » abordé : celui entre les Antillais nés aux Antilles et ceux nés en métropole, appelés « négropolitains »…

Exactement. Il y a une seule « communauté antillaise » et malgré ça on arrive encore à segmenter entre Antillais qui viennent des Antilles, les Antillais qui sont issus de deuxième génération, etc.

Comme la deuxième partie du film parle plus sur la division du groupe, je trouvais intéressant d’aller chercher un juge chez les négropolitains parce qu’il est à même de comprendre les problèmes à la fois des Français et des Antillais.

Quels retours avez-vous eu du film ?

Premièrement, que les gens l’aient beaucoup aimé ou trouvé moyen, il y a quelque chose qui est quand même général c’est que les gens étaient marqués, intéressés, par le film.

De manière globale les gens apprécient beaucoup ce film parce que, à ce que les professionnels nous en disent, il est un peu à part dans le monde de l’audiovisuel qui est aujourd’hui très réglementé, qui l’est de plus en plus et le sera de plus en plus.

Avoir un projet un peu frais comme ça, fait par des amateurs déterminés encadrés par des professionnels, a donné un produit que je pense qu’on peut dire unique sur le marché du cinéma. Il a vraiment une authenticité. Je pense que c’est ce qui ressort du feed-back des téléspectateurs.

Ce film parle à toutes les minorités. Beaucoup de Maghrébins qui ont vu le film se sont sentis concernés. Ils ont fait la transposition à leur cas personnel et c’est le cas aussi pour la plupart des Africains qui sont venus me parler.

La colonne vertébrale du film étant la tolérance, comptez-vous le diffuser dans des écoles, des lycées… ?

Absolument. Ce film a un message de tolérance, d’ouverture d’esprit, d’ouverture au voyage. Tous ces thèmes-là me semblent intéressants pour les lycéens qui sont eux-mêmes amenés à partir en France plus tard. Ça leur donne une vision de la vie qu’ont les Antillais en France, des problèmes qu’ils rencontrent, la différence de culture qui s’y opère.

Beaucoup de gens nous sollicitent pour qu’on passe le film dans les lycées et les écoles. On le fera de toute façon, aux Antilles, en France (dans l’Ile-de-France, où il y a énormément d’Antillais et de minorités).

Mais on a quand même comme priorité de sortir le film dans les salles de cinéma, puis à la télévision et puis de le montrer au plus grand nombre, par exemple au cours d’actions où les places seraient à un prix plus raisonnable ou lors de soirées à thème.

Une sortie en France est-elle prévue bientôt ?

Nous sommes en discussion avec un certain nombre de salles de cinéma qui démarchent les longs-métrages. Nous avons aujourd’hui au niveau des Antilles une proposition de diffusion et nous cherchons aujourd’hui à démarcher le film en France, principalement d’ailleurs en Ile-de France, où il y a environ 800 000 Antillais et négropolitains, mais aussi énormément d’Africains.

Voir la bande-annonce du film Les Konxs :

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