Jean Divassa Nyama, défenseur de la mémoire du Gabon


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Couverture du roman

Jean Divassa Nyama est l’un des écrivains les plus populaires du Gabon. Observateur attentif de sa société, il doit en partie son succès à sa plume pleine d’humour et à une connaissance intime des traditions qu’il entend sauver de l’oubli. Invité à Paris, à l’occasion du Salon du livre, il dédicacera le vendredi 23 mars son dernier roman publié, La vocation de Dignité. Interview.

Né en 1962, Jean Divassa Nyama, d’ethnie punu, est l’une des figures marquantes de la littérature gabonaise. Professeur d’anglais et directeur du magazine littéraire L’Air du Temps, il vit actuellement à Libreville où, en tant que vice-président de l’Union des Ecrivains Gabonais (UDEG), il joue un rôle très dynamique dans la promotion de la littérature. Dans ses romans, dans un style sobre et sensible, il décrit le quotidien de ses concitoyens, leurs joies et leurs inquiétudes face aux bouleversements induits par le monde moderne et la perte des valeurs traditionnelles. La vocation de Dignité, le deuxième élément de sa trilogie intitulée La calebasse, vient de paraître en édition de poche dans la collection « Afripoche » des éditions Ndzé. Il relate l’histoire de Dignité, une petite fille née dans un village au sud du Gabon, qui se découvre une vocation de religieuse. De passage à Paris pour le Salon du livre, il nous a accordé une interview.

Afrik.com : Vous êtes issu de la tradition punu, qui est orale. Et vous, aujourd’hui, vous vous consacrez à l’écriture. Pourquoi ?

Jean Divassa Nyama : Je suis né du ventre de l’oralité. Mais pour communiquer avec l’autre, j’ai dû passer à l’écriture. Quand je suis entré en Sixième, à Magoumba, j’ai eu des amis téké, fang, vili… Pour échanger avec eux, il a fallu que je me mette à l’écriture du français. Dès l’âge de 14 ans, j’ai publié mes premiers textes dans L’Union, le quotidien national. Ensuite, je me suis dit qu’il fallait passer à autre chose, m’investir dans l’écriture romanesque pour laisser une trace. Et c’est avec L’oncle Mâ que j’ai commencé, un roman que j’ai écrit en 1985 et qui a été publié en 1991.

Afrik.com : Vous dites vouloir laisser une trace à la postérité, pourquoi ?

Jean Divassa Nyama : J’ai commencé par faire du journalisme. Mais, vous savez, en Afrique, si on n’a pas de papier hygiénique, on prend le journal… Moi, je suis une trace de quelqu’un. Je suis une trace de mon père et de ma mère. Et les écrits restent. Depuis le lycée, je me projetais comme professeur d’anglais et comme écrivain. Donc, j’ai accompli cet objectif. Très jeune j’ai été frappé par Léopold Sédar Senghor, Camara Laye, Richard Wright… Et quand mes camarades de classe me voient aujourd’hui, ils me disent : « on ne s’est pas trompé ».

Afrik.com : Comment définissez-vous votre écriture ?

Jean Divassa Nyama : Je définis mon écriture comme étant des lettres que j’écris à mon frère jumeau, pour lui montrer comment est la société. Mon frère jumeau est né prématuré et n’a pas survécu. Et moi, j’ai le souci de témoigner pour ce frère jumeau, c’est à dire pour tous mes semblables, les êtres humains, et les nouvelles générations. Mais mes écrits sont enracinés dans le vécu du pays. Je fais de la littérature africaine parce que j’écris à partir des réalités africaines. J’écoute les gens, j’entends leurs cris, leurs paroles, j’observe le balancement de leurs hanches…

Afrik.com : L’angoisse de la perte de mémoire traverse votre œuvre. Pour quelle raison ? Et comment, au quotidien, appréciez-vous ce phénomène ?

Jean Divassa Nyama : La perte de mémoire me gène parce que le Gabon ne peut pas se développer à partir de la culture d’un autre peuple. Si le Gabon ne revisite pas sa mémoire, il ne trouvera pas le dynamisme nécessaire pour se développer. Je ne dis pas qu’il doit s’enfermer. Il faut que nous apportions quelque chose aux autres pour que les autres puissent nous apporter leur savoir en retour. Mais pour apporter aux autres, il faut se connaître. C’est pourquoi, cette perte de mémoire, je la perçois comme un grand danger qui mine l’avenir de la nouvelle génération. Nombre de jeunes du Gabon ne savent plus faire la différence entre le bon grain et l’ivraie. Maintenant, nous avons douze chaînes de télévision. Un jeune ne zappe pas forcément d’une chaîne à l’autre avec discernement. Il va absorber cette culture qui va le formater, et il ne sera plus le même. Il n’apportera plus rien à la société gabonaise. Il ne saura plus faire que ce qu’il aura vu dans ces émissions. Il ne pourra plus croire aux proverbes et aux contes que lui ont raconté son grand-père et sa grand-mère. (…) Aujourd’hui, par exemple, beaucoup de jeunes rejètent même le bwiti (religion traditionnelle du Gabon), pourtant la démarche cultuelle est la même que celle des autres religions. Ils la rejètent parce qu’il y a une prolifération des églises éveillées qui tuent le sens même de la religion animiste.

Afrik.com : Mais les coutumes peuvent quelquefois être pesantes. La vocation de Dignité, un roman que les éditions Ndzé viennent de republier en poche, raconte l’histoire d’une jeune fille, Dignité, qui veut devenir religieuse pour ne pas avoir à supporter le poids de la tradition…

Jean Divassa Nyama : Oui, parce qu’une femme punu doit normalement se marier et avoir des enfants. Mais sa sœur qui a suivi ce chemin a été répudiée par son mari. Donc elle s’est posée des questions sur le bien-fondé de la tradition. Mais bien que chrétiens, Sœur Dignité et son Oncle Mâ n’abandonnent pas l’animisme parce qu’ils considèrent que son apport est positif. Dans mon village, l’abbé n’hésitait pas à saluer son père bwitiste, à participer aux rituels bwiti, et le dimanche il officiait à l’église… Depuis la fin des années 1990, on peut chanter à la messe des chants traditionnels bwiti enrichis avec des apports catholiques. Notre pratique est résolument syncrétique. Nous pouvons prendre des autres en restant nous-mêmes.

Jean Divassa Nyama est le vendredi 23 mars au Salon du livre de Paris, à partir de 16h00, sur le stand des librairies d’Afrique et de la Caraïbe (H160) pour une séance de signature.

Consulter la liste de ses ouvrages sur le site des éditions Ndze

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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