L’abbé Pierre voulait que l’Afrique se prenne en charge


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L’abbé Pierre est décédé lundi matin, à l’hôpital parisien du Val-de-Grâce. Il était âgé de 94 ans. Le fondateur du mouvement Emmaüs a voué sa vie à la défense des plus démunis. Son combat dépassait les frontières de la France. Aujourd’hui, Emmaüs est implanté dans 39 pays, dont 14 en Afrique. Le Béninois, Patrick Atohoun, est secrétaire général d’Emmaüs international. Il explique à Afrik.com le souvenir qu’il a gardé de l’homme et l’action que mène son organisation en Afrique et au Bénin.

En 1949, l’abbé Pierre (né Henri Grouès), un jeune ecclésiastique français issu d’un milieu aisé, crée Emmaüs, une organisation chargée de venir en aide aux plus déshérités. Pendant l’hiver 1954, particulièrement rigoureux, il devient célèbre en lançant sur la radio RTL un appel en faveur des sans abris et des mal logés. Reconnaissable entre tous, avec son béret, sa barbe et sa capeline noire, l’abbé Pierre est devenu, en France, une figure emblématique et populaire du combat contre la pauvreté et l’injustice sociale. Son mouvement, d’abord national, a essaimé sur 4 continents. Aujourd’hui, 327 associations sont membres d’Emmaüs. Elles sont implantées dans 39 pays dont 14 en Afrique. Patrick Atohoun est secrétaire général d’Emmaüs international et responsable de l’organisation au Bénin. Il a bien connu l’abbé Pierre et participé au développement de son mouvement en Afrique. Il répond aux questions d’Afrik.com.

Afrik.com : Quand avez-vous rencontré l’abbé Pierre ?

Patrick Atohoun :
Au Bénin, nous sommes en contact avec l’abbé Pierre depuis 1990. C’est par l’intermédiaire de feu Monseigneur De Suza qu’Emmaüs a été créé ici. Nous avons été sensibles à son message, car il lutte pour aider ceux qui souffrent de la misère. Il faut aussi se rappeler qu’en 1990, toutes les communautés d’Emmaüs ont cotisé pour soutenir le passage à la démocratie au Bénin. En ce qui me concerne personnellement, ma rencontre avec l’abbé Pierre date de 1992. Elle a eu lieu en France, à Alfortville, à l’occasion d’un congrès international. Le message qu’il a porté vis-à-vis de nous à cette occasion m’a touché.

Afrik.com : Quel souvenir gardez-vous de cette première rencontre avec l’abbé Pierre ?

Patrick Atohoun :
Une idée fondamentale : c’est l’échange qui doit primer entre nous, entre le sud et le nord, entre les pauvres et les riches. Son message était qu’il fallait soutenir les pauvres et leur offrir les outils pour qu’ils se prennent en charge. C’est ce message de prise en charge par soi-même qui m’a accroché et qui fait que depuis lors je travaille à Emmaüs et qu’aujourd’hui j’y ai des responsabilités.

Afrik.com : Qu’a fait Emmaüs pour l’Afrique ?

Patrick Atohoun :
Emmaüs a beaucoup fait. D’abord, pour l’éveil des consciences, à travers son message. Dans 14 pays, il a poussé les Africains à se prendre en charge à partir de leurs potentialités et de leurs ressources. Le travail a été fait en particulier en direction de la jeunesse. Avec cette idée que, plutôt que de partir et de rester en Europe, elle apporter ses forces, sur place, en Afrique. Au Bénin, il y a quatre associations qui sont membres d’Emmaüs international. Une à Tohouè, qui travaille sur la question des ordures ménagères. Une à Pahou, dont je suis le responsable, et qui se charge de l’accueil et de la réinsertion des jeunes en situation difficile. Il y a aussi AFA (l’Association des femmes amies), à Cotonou et Womey, qui vient en aide aux femmes. Et Métokan, à Bohitou, qui accompagne les artisans.

Afrik.com : Quel bilan tirez-vous de l’action d’Emmaüs au Bénin ?

Patrick Atohoun :
Grâce au travail qu’on a mis en oeuvre, beaucoup de jeunes ont trouvé un emploi, en particulier dans le secteur du traitement des ordures ménagères. Emmaüs œuvre également sur un volet social avec 200 à 300 femmes, qui reçoivent des cours d’alphabétisation. Nous travaillons aussi sur le problème de la traite des enfants. Nous enseignons aux enfants leurs droits. Nous soutenons les petits artisans, les petits commerçants, et appuyons les initiatives qui entrent dans le cadre du micro-crédit. De plus, nous avons des conteneurs, et nous revendons à la population des produits de récupération. Cette démarche nous permet de créer des ressources et des emplois. D’autre part, Emmaüs a un grand projet sur le lac Nokoué (aux environs de Cotonou), où il envisage de fournir l’accès à l’eau à 9 villages des populations lacustres. L’eau est un bien fondamental que l’Etat doit normalement fournir. Mais face au dénuement, Emmaüs a décidé de prendre le problème en charge, de pourvoir à l’eau et de construire des sanitaires.

Afrik.com : L’abbé Pierre est décédé ce matin. Comment avez-vous appris la nouvelle, et quel souvenir garderez-vous de l’homme ?

Patrick Atohoun :
J’étais à Paris la semaine dernière. J’étais là quand il a été évacué vers l’hôpital. Donc je suivais l’évolution de la situation. Ce matin, à 5 heures, on a eu l’information de son décès par RFI (Radio France Internationale). Pour nous tous, ça a été un coup dur. Mais ce qu’il y a de bien tout de même, c’est qu’on a reçu beaucoup de messages de soutien, du Bénin et de partout dans le monde. Le combat du Père est ancré dans ceux qui l’ont connu. Tout ce qu’on souhaite, c’est que cette action se poursuive. Nous nous emploierons pour que l’ardeur déployée par l’abbé Pierre continue de vivre. Jeudi, je serai à Paris pour lui rendre hommage.

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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