La chasse aux « Chibanis » à Marseille


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34 travailleurs immigrés maghrébins à la retraite, logeant dans un hôtel meublé du centre ville de Marseille depuis des dizaines d’années, ont un mois pour quitter les lieux. Le Tribunal de grande instance a prononcé, le 21 juin dernier, une ordonnance politique d’expulsion à leur encontre. Une affaire qui reflète les difficultés auxquelles sont confrontées les vieux travailleurs immigrés, arrivés en France durant les Trente Glorieuses alors que le pays avait besoin de main d’œuvre.

Par Vitraulle Mboungou

« Halte à la chasse aux Chibanis »[<*>Mot signifiant « anciens » en arabe]]. Tel est le mot d’ordre de l’association marseillaise [Rouet à cœur ouvert (RACO), engagée dans la réhabilitation des logements insalubres à Marseille. Ces retraités d’origine maghrébine, venus travailler en France dans les années 60 à l’époque des grands travaux, sont confrontés à une ordonnance d’expulsion sans proposition de relogement, prononcée le 21 juin dernier par le Tribunal de grande instance. Ils doivent donc quitter les lieux, un hôtel dans un quartier populaire de la ville phocéenne, dans un délai d’un mois.

Logeant depuis plusieurs dizaines d’années dans cet immeuble jugé insalubre, ils subissent un programme de requalification immobilière. L’hôtel a été racheté par Marseille Aménagement, une société d’économie mixte appartenant à la mairie. Chargée de la gestion de zones d’aménagement et maître d’ouvrages des projets, cette dernière entend obtenir l’expulsion de ses habitants, dont certains ont toujours vécu là. Le statut de l’immeuble enregistré comme hôtel meublé au registre du commerce, n’ouvre pas de droits à des relogements.

Âgés entre 65 et 75 ans

Selon le RACO, ces « chibanis » âgés de 65 à 75 ans sont « placés dans une situation telle, qu’ils ont le choix entre être SDF en France, ou rentrer définitivement au pays perdant leur droit à la santé, au complément vieillesse etc ». Les foyers étant complets et les organismes de logements sociaux n’ayant rien à leur proposer, ils sont dans l’impossibilité de trouver un domicile dans le délai qui leur est imposé. L’association qui défend depuis des mois ces vieux travailleurs immigrés à la retraite, estime que « derrière cette décision de justice, c’est l’immigration jetable qui s’installe ».

Ces hommes venus construire les autoroutes, les grands ensembles immobiliers, les lignes de métro françaises sont aujourd’hui « considérés comme des inutiles par l’Etat français et la ville de Marseille qui ne veulent pas prendre en charge leur vieillissement sur le sol français ». Le Raco a donc mis sur pied un comité de soutien regroupant certains élus locaux, tels que le Conseiller Général des Bouches du Rhône, Denis Rossi (Parti Socialiste) et Patrick Mennucci, président du groupe socialiste au conseil municipal de la ville qui a demandé au maire UMP Jean-Claude Gaudin, de surseoir à la procédure et « de chercher une solution de relogement acceptable pour tous et de ne pas faire expulser ces personnes d’ici-là ».

Victimes de logements insalubres et de marchands de sommeil

Une analyse statistique du Haut conseil à l’Intégration (HCI) sur les migrants âgés soumise au gouvernement en 2004, indique qu’environ 90 000 Maghrébins de plus de 65 ans vivaient en France en 1999 et 53 000 africains sub-sahariens. Le nombre de Marocains a triplé entre 1990 et 1999, celui des Algériens plus que doublé. Cette hausse s’explique par le fait que beaucoup de ces immigrés, captifs des prestations de retraite, renoncent à rentrer dans leurs pays d’origine où ils ont laissé leur famille. Cette situation les oblige à faire des allers-retours et à vivre dans la précarité, l’isolement, voire le dénuement.

« Ils sont tous connus pour être arrivés dans les années 50 et 60 comme travailleurs du BTP. Ils ont contribué à la construction d’immeubles d’habitations auxquels ils n’ont jamais eu accès », affirme le RACO, soulignant ainsi leurs délicates conditions de logement. Un grand nombre de « chibanis » vit dans des foyers dont certains sont dans un état d’abandon jugé « alarmant » par le HCI. Beaucoup d’autres, faute de foyers ou de logements sociaux, se replient sur des chambres d’hôtels totalement insalubres de 5 m2 à 55€ la nuit. L’obligation de résidence permanente sur le territoire français pendant environ quatre mois pour toucher les prestations sociales telles que l’aide personnalisée au logement (APL), devient ainsi une condition quasiment impossible à respecter par manque de logement adapté et de ressources.

Des prestations sociales sous condition …

Un titre de séjour spécifique est proposé aux immigrés âgés n’ayant pas acquis la nationalité française : la carte de séjour mention « retraité », valable dix ans et renouvelable de plein droit. Elle ne permet pas de jouir des mêmes droits qu’un titre de séjour classique, notamment en matière de couverture santé. Beaucoup préfèrent donc le titre de résident. Cependant, même avec un titre de séjour classique, les prestations sociales auxquelles ces immigrés peuvent prétendre sont soumises à des conditions de résidence et/ou de nationalité qui limitent leur libre circulation. Ainsi, lorsqu’ils effectuent des allers-retours avec les pays d’origine, ils peuvent être exclus de ces prestations à cause de l’obligation de présence sur le sol français pendant six mois, qu’impose la loi. Pour ne pas perdre l’allocation minimum vieillesse par exemple, que la majorité reçoit à cause de la faiblesse de leurs retraites, nombreux sont ceux qui choisissent de ne pas retourner au pays.

Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les immigrés vieillissants, la majorité des maghrébins retraités vivant en foyer depuis plus de vingt ans, dispose d’un revenu inférieur à 450 euros par mois. D’une manière générale, les immigrés âgés connaissent des difficultés pour à faire valoir leur droit à la retraite. Carrières « à trous », déclarations incomplètes des employeurs, pertes de bulletins de salaires -beaucoup pensaient repartir-, sont autant de raisons qui font de la liquidation de la retraite une démarche longue et chaotique. En outre, très peu d’entre eux demandent la retraite complémentaire par manque d’informations. Alors qu’elle est accessible et d’un montant qui peut parfois représenter un tiers de leurs revenus finaux.

Alors qu’ils consultent trois fois moins que les Français âgés, les « chibanis » souffrent dès 55 ans, de pathologies observées chez les Français de vingt ans plus âgés, selon le HCI. Elles sont liées à leurs anciens métiers, souvent précaires. La majorité d’entre eux souffrent ainsi de problèmes respiratoires et cardiaques, de rhumatismes. L’accès aux soins varie en fonction de la situation administrative des uns et des autres. Ainsi, les détenteurs de la carte de séjour « retraité » ne peuvent bénéficier des prestations maladie qu’en cas de soins immédiats ou d’hospitalisation d’urgence. Par conséquent, beaucoup d’entre eux qui sont en invalidé et vivant sans couverture sociale, ne peuvent se faire soigner. Cette génération « invisible et silencieuse » comme l’appellent les auteurs du rapport de l’Igas, nourrit en eux une colère pudique, celle d’être oubliée de tous dans ce pays dont ils ont contribué au développement.

 Visiter le site du RACO

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