Plutôt mourir sur les laves de Goma que dans les camps du Rwanda


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Drapeau de la République Démocratique du Congo
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Il n’y a pas d’endroit plus sécurisant que chez soi. C’est la philosophie qui a dû habiter les réfugiés congolais au Rwanda dans leur mouvement de retour vers la ville de Goma. Ils ont refusé de rejoindre les camps des réfugiés érigés pour eux par le gouvernement rwandais sur les hauteurs de la ville de Gisenyi, préférant défier le volcan et ses horreurs. Pourvu qu’ils se retrouvent au pays. Par ce comportement de très haute portée politique, les Congolais ont voulu faire savoir au monde entier qu’en dépit de la catastrophe humanitaire, la guerre persistait entre le Congo et le Rwanda et qu’il n’était pas question de s’offrir à l’ennemi. Les Rwandais, quant à eux, n’ont rien fait pour démentir cette opinion que les réfugiés se faisaient d’eux. Ils ont taxé jusqu’au verre d’eau, dénoncent certains. L’inimitié semble irrémédiable.

 » Nous ne sommes pas en sécurité sur le territoire rwandais « . C’est ce qu’expliquent à Roger Kahindo, journaliste de Goma, des dames réfugiées à Gisenyi, et qui, dès le lendemain de la catastrophe, accompagnées de leurs enfants en bas âge, reprenaient la route de Goma. Chose curieuse, ce sont les femmes qui, stoïquement, ont été les premières à prendre la décision de boycotter les camps des réfugiés érigés par le Rwanda qu’elles préfèrent appeler  » camps de concentration « . Elles racontent, en effet, que la cohabitation a été très difficile. Les Rwandais n’ont manifesté, à leur égard, aucun sentiment de compassion. Au contraire, ils auraient profité de l’affluence pour tout taxer très cher. Même l’eau potable.  » Ils ont oublié qu’en 1994, ils se sont réfugiés chez nous, fuyant le génocide « , s’insurge une des dames en pleurs.

Le retour s’est fait sous une pluie battante. Ce qui, visiblement, a permis de tempérer l’incandescence des laves. On est mieux chez soi, bien sûr, mais à condition que la maison ait survécu à la fureur des laves. Beaucoup de familles n’ont pas retrouvé leur résidence. Jamais, de mémoire d’habitants de Goma, éruption volcanique n’avait été aussi dévastatrice. De retour, les réfugiés ont eu du mal à reconnaître leur ville. Partout des scènes d’apocalypse. L’éruption du Nyiragongo a couvert de boue incandescente la plus grande partie de la ville et de sa banlieue.

Pour bon nombre de Congolais, la nature lance un message à la barbarie des chefs de guerres. Fatalisme, superstition, les Congolais ne savent plus où ils en sont ni comment expliquer ce qui leur arrive.

Atmosphère polluée

A Goma, capitale de la province du Nord-Kivu (2500 km de Kinshasa), les habitants savent depuis toujours que la chaîne des volcans qui surplombe la ville constitue tout autant une curiosité touristique susceptible de rentrées d’argent qu’une épée de Damoclès. Pourvu, ont-ils toujours souhaité, que le pire ne puisse arriver que le plus tard possible. L’éruption qui a eu lieu le week-end dernier est la plus dévastatrice – la plus meurtrière étant celle de 1977 avec 2000 morts. D’une hauteur de 2 à 4 mètres, la lave, chauffée à 2500 degrés, a couvert une grande partie de l’aéroport, rendant celui-ci inutilisable. Elle s’est ensuite répandue dans le centre-ville, non sans engloutir sur son passage plusieurs quartiers périphériques. Toutes les infrastructures sont détruites. Plus d’électricité. Le siège du réseau ayant été englouti, plus d’eau potable non plus. La lave a pollué le lac dont est tirée l’eau courante distribuée dans la ville.

Lundi 21 janvier, le volcan se calme mais la menace reste suspendue sur la ville. La lave a cessé de couler alors qu’elle continue de bouillonner dans le cratère et que l’atmosphère est souillée par un brouillard de cendres volcaniques. Secousses sismiques. Le mardi, 22 janvier, on annonce l’entrée en éruption du volcan Nyamulagira, immédiatement voisin du Nyiragongo, mais pas de dégâts notables.

RCD-Goma

Devant la catastrophe, la population n’avait pas d’autre choix que de se réfugier vers la ville voisine de Gisenyi, au Rwanda. Sur une population totale d’environ 500 000 habitants, près de 300 000 ont traversé la frontière, l’autre partie ayant préféré s’enfoncer vers l’Ouest de la ville sur les terres de Masisi, anciennement exploitées en fermages mais rendues à la nature à cause des guerres incessantes depuis 1993 dans ce territoire agricole. La vitesse assez lente de la coulée a permis à la population de se mettre à l’abri. Le week-end dernier, on comptait tout de même une cinquantaine de morts, prisonniers de laves ou des nombreux incendies qui en ont résulté.

Les circonstances politiques dans lesquelles s’est déroulée la catastrophe en rajoutent au tragique. Depuis août 1996, la ville de Goma a subi deux assauts de l’armée rwandaise dont la seconde, pour des raisons d’incompréhension ou d’incompatibilité avec le gouvernement de Kinshasa d’alors, a créé une rébellion baptisée  » Rassemblement Congolais pour la Démocratie  » (RCD-Goma). La rébellion, composée essentiellement d’éléments tutsis de souche rwandaise et dont Kinshasa doute de la citoyenneté congolaise, n’a jamais été acceptée par la population de Goma, pourtant quartier général de la rébellion.

C’est ce qui explique qu’elle se retrouve de nouveau et d’une manière inattendue sur la route, en direction de Goma, en dépit de la dissuasion des organismes humanitaires. Des rares contacts téléphoniques que nous avons pu avoir avec les réfugiés congolais à Gisenyi, nous retenons que les populations sentent comme une double humiliation le fait de devoir chercher refuge chez les Rwandais qui les submergent déjà trop dans leur propre pays, à Goma. Aussi préfèrent-ils vivre le même martyr à Goma plutôt qu’au Rwanda. Ce retour inattendu des réfugiés à Goma n’arrange certainement pas les affaires des organisations humanitaires qui croyaient réglée la question des structures d’accueil avec le gouvernement rwandais.

L’aide reste bloquée

A Kinshasa, le drame qui frappe les populations de Goma a plongé la capitale congolaise dans une consternation extrême. Alors que, du fait de la guerre, des milliers de ressortissants de la province du Nord-Kivu avaient dû quitter précipitamment Goma pour Kinshasa, voici qu’une nouvelle catastrophe se produit. Jacques Lubwele, médecin, se préparait à repartir sur Goma : « J’espérais pouvoir retrouver ma clinique à Goma. Mais tel que j’ai vu et interprété les images sur Internet, même le bâtiment n’existe plus ».

Les ressortissants du Nord-Kivu se sont organisés pour collecter de l’aide à envoyer à Goma mais l’état de belligérance peut compliquer l’aboutissement normal de cette démarche. Les autorités du RCD-Goma ne veulent rien savoir de ce qui vient de Kinshasa. Le gouvernement congolais devait envoyer sur les lieux de la catastrophe une aide évaluée à 1,5 million de dollars mais la délégation se trouve encore à Kinshasa. Kigali, après avoir autorisé cette visite, s’est rebiffée par la suite. Les ministres, membres de cette délégation, ont tenu une conférence de presse pour dénoncer cette attitude qu’ils jugent inhumaine.

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