Palmiers à huile au Cameroun : Herakles Farms, une saga à rebondissements


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Au Cameroun, le projet pharaonique et controversé de la société américaine Herakles Farms de planter des palmiers à huile semble avoir tourné court. Et le pdg de la firme a disparu comme par enchantement.

L’oiseau s’est envolé. Bruce Wrobel, le pdg d’Herakles Farms, l’entreprise américaine très contestée qui ambitionnait de créer une plantation géante de palmiers à huile au Cameroun, est aux abonnés absents.

Les équipes dirigeantes sur place ont aussi quitté le navire : d’Herakles Farms au Cameroun, il ne reste qu’un chantier de défrichage et des arbres abattus, stockés dans l’attente de leur sort définitif. Les 750 employés ont été presque tous remerciés, selon le journal Modern Ghana News. Seules resteraient 27 personnes pour veiller sur les jeunes plants de palmiers.
La société américaine Herakles Farms avait obtenu du gouvernement camerounais, dans des conditions opaques, une concession de 73 000 hectares de terres situées dans une zone de forêt primaire au sud-ouest du pays. Objectif : développer une activité de palmiers à huile. Mais cette affaire avait mobilisé des ONG locales, un grand nombre d’habitants privés de leurs terres par le projet, ainsi que Greenpeace et l’ONG américaine Oakland Institute (voir article Cameroun : une histoire de terres et d’huile de palme).

Les ONG ont démontré une série d’irrégularités et de fraudes, des méthodes douteuses de la part d’Herakles Farms et un impact très négatif d’un projet industriel de grande envergure sur l’équilibre économique local et l’environnement riche en biodiversité de la région.
Après une succession de péripéties, le gouvernement camerounais suspendait les activités d’Herakles Farms en mai 2013, tandis que deux ONG camerounaises portaient plainte pour corruption aux Etats-Unis -où la société a son siège- contre la filiale camerounaise d’Herakles Farms, la SGSOC. Il y est question d’intimidation et de corruption de chefs coutumiers et de membres de la communauté par Herakles Farms. De nouveaux développements ont, ces derniers mois, apporté un éclairage supplémentaire sur l’ambiguïté de ce projet et de son protagoniste principal, Bruce Wrobel.

Curieuses disparitions

Premier fait marquant, la disparition d’ une ONG présidée par Bruce Wrobel (le pdg d’Heraklès Farms), « All for Africa ». L’ONG s’est évaporée aussi discrètement que son mentor, Bruce Wrobel. Cette organisation qui prônait le développement en Afrique via la culture intensive de palmiers à huile a, elle aussi, disparu des radars. Le lien Internet vers le site Mouline dans le vide, la page Facebook n’a pas été actualisée depuis janvier 2013. Voici quelques mois, le site ouvrait sur un appel aux investisseurs pour planter 1 million de palmiers à huile et soutenir ainsi le développement durable au Cameroun.

Pourtant, la très sérieuse coopération allemande, la GIZ, a établi que le projet de 73 000 hectares -une superficie énorme – d’Herakles Farms au Cameroun se situe en partie sur une zone forestière de grande valeur de par sa biodiversité. Un constat qui remet en question le principe de développement durable vanté par Herakles Farms et Bruce Wrobel sur le site (disparu) de l’ONG « All of Africa ».

Cette ONG servait-elle de vitrine honorable pour collecter des fonds aux fins de nourrir le projet camerounais d’Herakles Farms sous couvert de développement ? Ni la nature du projet qui vise à défricher une vaste zone de forêt primaire ni les agissements, sur le terrain, de cette société via sa filiale camerouaise SGSOC, ne semblent répondre à des critères de « développement » et encore moins « durable ». En interceptant des échanges confidentiels entre Bruce Wrobel et ses actionnaires, Oakland Institute avait découvert une gestion des ressources humaines pour le moins irrespectueuse, voire ironique.

Cet été, après la suspension par le gouvernement camerounais des droits alloués à Herakles Farms sur ces terres, la société a continué à défricher malgré l’injonction publique, rapportait un quotidien camerounais. Selon plusieurs témoignages, Herakles Farms s’apprêtait manifestement à vendre ce bois coupé, bien que la loi ne l’autorise pas à le commercialiser.

Finance spéculative et discours humanitaire dans le même sac

Second fait troublant, Bruce Wrobel n’était pas seulement le pdg d’Herakles Farms et l’animateur de l’ONG « All for Africa », il était aussi, jusqu’en juillet 2013, le fondateur et pdg de Sithe Global, un groupe industriel américain actif dans l’énergie qui construit notamment des centrales hydrauliques à l’étranger. Sithe Global lui-même appartient à 99% à la banque américaine de capital-investissement, Blackstone.

Ce groupe a annoncé fin juillet la démission de Bruce Wrobel et a gommé de son site l’essentiel des mentions se rapportant à son ancien pdg. Comme s’il s’agissait d’une personnalité désormais non grata. Un coup d’œil sur l’ organigramme des liens d’Herakles Farms avec une nébuleuse de sociétés, reconstitué par l’ONG Oakland Institute, montre qu’Herakles Farms est l’émanation de fonds spéculatifs via Herakles Capital Management et via Blackstone, holding de Sithe Global dont M.Wrobel était le pdg jusqu’en juillet 2013. En 2005, Blackstone avait pris 80% des parts dans le groupe Sithe Global et placé Bruce Wrobel à la tête de ce groupe. C’est le groupe Sithe Global, et donc Bruce Wrobel son (ex)-pdg, qui a créé l’ONG All for Africa.

Même si le mélange des genres n’est pas en soi réfutable -qu’on en juge avec la Fondation Rockfeller ou celle de Bill Gates-, la concentration des pouvoirs en une seule personne (Bruce Wrobel), des affaires à l’humanitaire, et les liens de filialisation entre les entités -Herakles Farms, All for Africa, Herakles Capital Management- ont de quoi surprendre. Et faire douter : pourquoi Bruce Wrobel a-t-il précipitamment disparu des radars des entreprises tout comme de l’ONG suite à l’affaire camerounaise ?

Mais surtout, ce mélange des genres se traduit par un double discours qui laisse sceptique sur la sincérité de la bonne fée.

D’un côté le blabla du développement, de l’éradication de la pauvreté; de l’autre, mais sur les mêmes pages, celui du business, de la rentabilité pour l’investisseur. Dans un document officiel d’Herakles Farms à l’intention des investisseurs, on peut ainsi découvrir des argumentaires très business. « Retours sur investissements attractifs avec un taux de 25%… »Forte demande internationale en huile de palme » (alors que de grands noms de l’agro-alimentaire se sont engagés soit à l’abandonner, soit à n’acheter que de l’huile de palme durable). Et aussi : « 10 ans d’exonération d’impôts sur la société, aucune restriction sur les mouvements de capitaux, absence de droits de licence, de charges administratives et fiscales sur l’exportation ». Logée à cette enseigne, comment l’entreprise pourrait-elle restituer au Cameroun une bonne part de la manne financière? Par l’emploi peut-être? Alors, qu’on s’en souvienne : dans un autre document, confidentiel, Bruce Wrobel confiait à ses actionnaires qu’il espérait pouvoir faire pression, et longtemps, sur les salaires des employés de la plantation. Pendant ce temps, des habitants se sont vus chassés des parcelles qu’ils exploitaient jusque-là. Au nom du développement durable.

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