Mali : les menaces d’enlèvement attirent l’attention sur le personnel humanitaire local


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Les menaces d’enlèvement qui empêchent les travailleurs humanitaires occidentaux de se rendre dans certaines zones du Mali mettent en péril les interventions d’aide et soulignent l’importance des organisations non gouvernementales (ONG) locales, selon des spécialistes de l’humanitaire.

Plusieurs organisations humanitaires internationales ont interrompu tout déplacement de leurs employés occidentaux dans la région de Gao, au nord-est du Mali, depuis le début de l’année 2010, ont dit à IRIN des travailleurs humanitaires. Certaines ONG internationales font preuve de discrétion en utilisant des véhicules locaux banalisés pour mener à bien leurs opérations dans la région. Actuellement, c’est à Gao que la situation est la plus préoccupante, mais des alertes ont également été émises pour d’autres régions du Mali.

L’enlèvement, le 16 septembre, de sept personnes travaillant pour une entreprise française au Niger voisin est le dernier d’une longue série d’attaques contre des entités occidentales dans le Sahel, menées en majorité par la branche d’Al-Qaïda en Afrique du Nord. Au cours des derniers mois, plusieurs gouvernements occidentaux ont déconseillé à leurs ressortissants de se rendre dans le nord-est du Mali à cause des menaces proférées par ce groupe.

Le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest (UNOWA) a dit dans un rapport publié en juin que la sécurité s’était dégradée au cours des dernières années et que le nombre d’enlèvements d’étrangers et d’attaques contre les forces de sécurité nationales avait considérablement augmenté.

Bien que les contraintes de sécurité n’aient pas d’impact direct sur les bénéficiaires, elles entravent les missions de suivi et de contrôle de la qualité, ont dit à IRIN des travailleurs humanitaires exerçant dans la région. L’insécurité a également augmenté les coûts, car au moins une organisation a recours à des escortes militaires pour accompagner ses déplacements dans la région de Gao. Plusieurs organisations humanitaires internationales sont actives dans cette région, car les habitants sont confrontés à de graves pénuries d’eau, de nourriture et de fourrage.

« Les dernières menaces limitent notre capacité à envoyer des équipes d’évaluation des besoins dans la région de Gao, alors que la population est frappée par la sécheresse », a dit un travailleur humanitaire international qui exerce au Mali et qui a souhaité garder l’anonymat. Sur les conseils de ses collègues maliens et de diplomates occidentaux, il venait d’annuler une mission de suivi à Gao et organisait ses réunions ailleurs.

« Nous adaptons nos activités en donnant plus de responsabilités au personnel local et en nous en remettant davantage aux ONG maliennes, dans la mesure où elles sont actuellement moins en danger ».

Des représentants de bailleurs de fonds et des travailleurs humanitaires internationaux ont dit qu’ils pouvaient déjà compter sur un nombre important de personnels locaux possédant une grande expérience de l’humanitaire. Mais ils ont ajouté que l’accès demeurait essentiel car toutes les activités n’étaient pas menées par des employés locaux. Des travailleurs humanitaires au Mali ont dit à IRIN qu’il était également difficile de se faire une idée d’ensemble de la situation et des besoins si les chefs de projets ne pouvaient pas visiter régulièrement la région.

Cyprien Fabre, chef de l’Office d’aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO) en Afrique de l’Ouest, a dit : « C’est un problème pour ECHO, car ce qui fait notre force, c’est notre présence et notre capacité à constater la situation par nous-mêmes et à évaluer la qualité et l’impact d’un projet financé par l’Union européenne ».

Les activités soutenues par ECHO au Sahel comprennent des projets s’attaquant aux causes de la malnutrition et venant en aide aux éleveurs.

Soutien aux ONG locales

Pour Hervé Ludovic de Lys, chef du bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), les problèmes d’accès signifient qu’il faut faire davantage d’efforts pour renforcer la capacité des travailleurs humanitaires locaux à mener des actions d’aide humanitaire conformément aux normes internationales et au principe de redevabilité.

« Il semble qu’il soit temps pour les ONG internationales de considérer davantage leurs homologues locaux comme des partenaires avec une mission plus large… La performance des ONG internationales devrait peut-être se mesurer non seulement par leurs contributions envers les bénéficiaires, mais aussi par leur capacité à renforcer la capacité de leurs partenaires locaux ».

Il a dit que « les ONG locales sont tout simplement indispensables » dans certaines régions du monde pratiquement inaccessibles aux occidentaux.

En Afrique de l’Ouest, la plupart des ONG locales se consacrent au développement. Selon M. de Lys, le moment pourrait être venu d’élargir leur expertise à la réponse humanitaire.

M. Fabre a dit qu’ECHO avait apporté son soutien à la formation de personnels d’ONG locales. « Certains de nos partenaires sont déjà présents au Mali ou ailleurs depuis des décennies pour des projets de développement… [Lorsqu’ils sont bien formés] cela facilite le passage des opérations en mode d’urgence et nous utilisons beaucoup cet outil. Nous prenons cela en compte pour les financements ».


Coupables de complicité ?

Pour l’instant, les travailleurs humanitaires du Mali ou d’autres pays d’Afrique subsaharienne n’ont pas été pris pour cible pour s’être associés à des ONG internationales. « Nos équipes peuvent travailler sur le terrain », a dit à IRIN Sidy Diallo, qui travaille avec Médecins du Monde Belgique au Mali. « Elles sont de la région et sont intégrées dans les communautés. Pour le moment, elles ne sont pas prises pour cible ».

Mais les organisations humanitaires surveillent cela de près, à dit à IRIN Philippe Conraud, coordonnateur de l’aide humanitaire pour Oxfam-UK en Afrique de l’Ouest. « On ne peut pas exclure [la possibilité d’une attaque] ». Il a signalé que les travailleurs locaux faisaient toujours l’objet de vols de voitures et d’autres crimes dans la région.

M. de Lys, d’OCHA, a dit que le personnel humanitaire national était en première ligne partout dans le monde et qu’il était souvent la première victime des violences.

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