L’ulcère de Buruli, la « maladie mystérieuse »


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L’ulcère de Buruli est une maladie terriblement douloureuse et invalidante qui affecte particulièrement les populations des pays du golfe de Guinée. Causée par une mycobactérie transmise notamment par les punaises d’eau, elle détruit la peau, les muscles et peut même toucher les os. Le point sur cette maladie méconnue et sur les avancées de la recherche en ce qui concerne son traitement.

L’ulcère de Buruli est la troisième maladie mycobactérienne chez l’homme, après la lèpre et la tuberculose. Elle est pourtant encore peu ou mal connue. A tel point que cette infection cutanée, causée par une bactérie de la même famille que celles responsables de la tuberculose et de la lèpre, est souvent qualifiée de « maladie mystérieuse ». La forme non ulcérée est le premier stade du Buruli qui se présente alors sous forme de nodule, d’œdème ou de plaque. Sans traitement, les lésions peuvent devenir très importantes.

« L’ulcère de l’ulcère de Buruli est causé par une mycobactérie, Mycobacterium ulcerans (MU), qui provoque des ulcérations cutanées extrêmement profondes, détruit la peau, les tissus sous-cutanés, les muscles, et peut même attaquer l’os », explique le professeur Jacques Grosset, spécialiste de la tuberculose et de la lèpre, encouragé depuis 10 ans par la Fondation Raoul Follereau à travailler sur le Buruli.

Maladie terrible, douloureuse et invalidante

La maladie sévit dans les régions intertropicales humides et elle est en telle expansion en Afrique de l’Ouest depuis les années 80 qu’elle est considérée comme une maladie émergente. Elle doit son nom à la région ougandaise proche du Nil où l’explorateur Sir Albert Cook l’a découverte. C’était en 1897. Aujourd’hui, l’ulcère de Buruli touche 31 pays et, en Afrique, il affecte notamment les populations qui vivent en bordure du golfe de Guinée. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime qu’au moins 100 000 enfants et adultes sont contaminés en Afrique. Cependant, sa prévalence reste difficile à établir de façon précise, notamment car cette maladie touche des populations rurales reculées ayant difficilement accès aux services de santé. Les statistiques les mieux établies proviennent du Ghana, du Bénin, de Guinée, d’Australie, de Guyane Française et de Papouasie Nouvelle-Guinée.

En 2003, 3 233 nouveaux cas ont été recensés, contre 3028 en 2002. Les personnes de moins de 20 ans sont les plus affectées et représentent 50 à 60% des cas diagnostiqués. L’ulcère de Buruli n’est pas une maladie contagieuse et le taux de mortalité des personnes infectées est inférieur à 5%. « Les malades meurent de surinfections par des microbes dangereux comme le staphylocoque mais pas à cause du MU. En revanche, l’ulcère de Buruli est très mutilant. Même en l’absence de traitement, il évolue pendant un an avant de régresser et quand il régresse, il laisse des séquelles fantastiques. Les malades ont des rétractions tendineuses qui entrainent de graves invalidités et peuvent même perdre une jambe ou un bras. C’est une maladie terrible, effroyablement invalidante », explique Jacques Grosset.

Bientôt, un traitement antibiotique

Contrairement à la tuberculose et à la lèpre, on ne soigne pas encore l’ulcère de Buruli avec des antibiotiques. Le traitement est encore chirurgical. « Les ulcères raoul.jpg peuvent atteindre 20 cm de diamètre. L’excision chirurgicale des lesions est donc étendue, profonde et nécessite d’être complétée par des greffes de peau », précise Jacques Grosset. On compte environ 15% de rechute après les opérations et les complications post-chirurgicales sont terriblement handicapantes : déformations par rétractations, amputations de membres, atteintes oculaire, thoracique ou génitale…

Grâce à différents travaux de recherche, un traitement antibiotique (qui associe la streptomycine et la rifampicine) a été mis au point et testé au Ghana (entre septembre 2001 et décembre 2002), sous l’égide de l’OMS. Les premiers essais ont été concluants et il apparaît que cette association d’antibiotiques permet de guérir les lésions peu importantes, et de réduire les autres de moitié ou aux trois-quarts. Ces essais doivent être étendus afin de valider l’efficacité du traitement et définir plus précisément sa durée.

La punaise d’eau, vecteur de la maladie

« Je suis fasciné par cette maladie dont on ne savait presque rien il y a encore 10 ans », précise Jacques Grosset. « Aujourd’hui, on a identifié la toxine et on a identifié, dans le chromosome de la bactérie, les gènes responsables de la sécrétion de cette toxine. Ces découvertes, qui ont été faites à l’Institut Pasteur dans le laboratoire du Professeur Cole, datent d’à peine deux ans. On savait que l’ulcère de Buruli affectait les populations vivant dans des régions marécageuses des pays tropicaux et touchait les parties du corps les plus exposées à l’eau, comme les jambes et les bras. De nombreux travaux, notamment ceux du Pr.Bernard Carbonnelle et de Laurent Marsolier à Angers, ont permis de découvrir que la punaise d’eau pouvait être non seulement porteuse de MU, ce dernier se multipliant dans ses glandes salivaires, mais aussi transmettre la maladie. En mordant l’homme, l’insecte lui injecte la bactérie. Mycobacterium ulcerans serait ainsi la seule mycobactérie qui pourrait être transmise par un insecte et la seule à produire une toxine. Avoir découvert les gènes de la toxine permet d’envisager le développement d’une anti-toxine, pour traiter, et d’un vaccin, pour prévenir. De nombreux travaux restent à faire mais les perspectives sont prometteuses. »

Grâce au soutien financier de l’Association française Raoul Follereau, Laurent Marsolier, qui travaille maintenant dans le laboratoire du Pr Cole a l’Institut Pasteur à Paris, a pu mener à bien ses travaux en laboratoire suite à des prélèvements de punaises aquatiques dans différentes régions marécageuses de Côte d’Ivoire, en zone d’endémie. « Pour le moment, le seul facteur de virulence est la toxine. Nous l’avons donc étudié, nous avons cherché à savoir comment elle agit, car cette étape permet de développer un vaccin, et comment elle se transmet », explique Laurent Marsolier. « Il a fallu du temps car la mycobactérie se multiplie lentement. Le temps de croissance ne permet de cultiver le germe que 4 fois dans l’année… Mais aujourd’hui l’OMS est bien au courant de nos conclusions en ce qui concerne les punaises d’eau et dans certains villages, la sensibilisation a porté ses fruits : les habitants commencent à arracher les herbes aquatiques dans lesquelles se cachent les punaises. Traiter les insectes n’est pas la solution, il vaut mieux aménager les abords des points d’eau pour éviter les piqûres… et mettre des pantalons ! Comment empêcher les gens de se faire piquer, comment les protéger, sont des thématiques sur lesquelles nous réfléchissons. »

Avec le temps, l’ulcère de Buruli apparaît donc moins « mystérieux ». Même si le traitement antibiotique n’est pas encore généralisé, les résultats des premiers essais ont soulevé un grand espoir. En parallèle, il reste à développer un test de diagnostic rapide, fiable et applicable sur le terrain, qui, pour le moment, fait cruellement défaut. Il permettrait la détection des formes précoces et faciliterait la prise en charge des malades.

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