L’homme qui ne commentait pas les commentaires


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Les hommes de Paul Biya nous en jettent plein la vue. Avec le come-back médiatique de Grégoire Owona, on a la confirmation que la communication du Gouvernement est en train de trouver une logique interne. Bien sûr, on est encore dans une communication milieu de gamme qui hésite, achoppe, se rature, au point de perpétuer des schémas propagandistes, en dépit de quelques touches de modernité.

Avant la dernière présidentielle, les débats s’animaient sur le point de savoir si Paul Biya pouvait légalement se représenter, pendant la présidentielle, on se demandait s’il était légitime que les Camerounais votent pour lui, après la présidentielle, on se demande s’il a organisé sa succession, s’il ne se voit pas qui dépérit. Paul Biya se révèle meilleur que tous ceux qui l’ont combattu et c’est dans le sens qu’il a voulu que l’histoire évolue depuis 30 ans.

Mais la communication qui émane du Cameroun se limite à la communication du Gouvernement. C’est ce dernier qui est souvent le premier à nous informer de ce qui se passe au parlement. L’Assemblée Nationale a-t-elle une publication destinée à tous ? Est-elle présente sur les réseaux sociaux ? A-t-elle une chaine de télévision ? En outre, la voix des autorités judiciaires feraient un bien fou à l’image de la justice, malmenée dans les médias par les commentaires des savants à la petite semaine.

Il faut pour coordonner tout cela des « créatifs » d’Etat, des personnalités décalées, qui osent et détonent, des cellules de brainstorming, et des instances de validation qui veilleraient à ce que la communication ne se réduise pas simplement à la transmission d’informations. Il faudrait que les gens du Cameroun soient aussi contents de la qualité de l’information qui leur est fournie, que l’information ne soit pas exclusivement ce que l’on dit, qu’elle soit aussi ce qu’on espère, qu’elle soit ce que les autres attendent.
Autrement, si elle est toujours « rigide, sèche, » sérieuse, solennelle, l’information sera parfois lue comme une manipulation ou une provocation. La rumeur et l’intoxication prospèrent parce qu’elles utilisent des canaux les plus inattendus, l’information qui est pourvue d’une autorité particulière doit s’imposer partout.

Sans doute de telles instances de contrôle et de régulation de la parole officielle existent-elles déjà. Peut-être l’idée de créatifs ne s’est-elle vue nulle part ailleurs. Qu’importe ! « Le Cameroun c’est le Cameroun » et nous avons tout pour être un laboratoire géant d’idées nouvelles, un champ d’expérimentation de concepts inédits. Au Canada, ils ont tout un programme dédié à la coordination de leur image de marque-pays.
Paul Biya, un dictateur moderne ?

Le dimanche 20 juillet dernier, sur Vox Africa, un universitaire décadent appelait implicitement à tuer Paul Biya. Sans nommer le président de la république, il faisait un parallèle avec les chefs de tribu que jadis l’on assassinait rituellement quand ils venaient à manquer de vigueur. Cette interprétation sélective et partiale de ce que furent nos traditions, qui voyaient en tout chef un vieux, un sage, signe une pathétique impuissance d’« apprentis sorciers» : après avoir prédit les soulèvements populaires qui n’ont pas eu lieu, ils évoquent à présent un improbable assassinat, qui ne saurait se tenir. Les adversaires de Paul Biya ne sont pas prêts à aller jusqu’au bout de leur logique pour conquérir Etoudi, Paul Biya est, lui, prêt à tout pour conserver son pouvoir, il l’a prouvé à plusieurs dates.

Quant aux Grandes Réalisations, elles sont vraisemblablement le chant du cygne de Paul Biya. Le président camerounais se refuse à donner à son œuvre à la tête du pays une impression de « fini ». Et ne dit toujours rien de sa succession. C’est un Rodin d’un nouveau genre, un Rembrandt du pouvoir, un impressionniste de la politique, qui revendique son droit à considérer son œuvre comme achevée lorsqu’il aura atteint son objectif, c’est-à-dire lorsqu’il aura décrété que son objectif est atteint.

Son image personnelle prévaut sur celle du Cameroun, sa rhétorique est exceptionnellement prégnante. Il y a toujours eu une cohérence dans ce qu’il renvoie et dans la perception qu’ont de lui les Camerounais : sobre (son apparence contraste avec son train somptuaire), humaniste (pas humanitariste pour un sou), roué (quand son pouvoir est en jeu), et rancunier (pauvre monsieur Edzoa !). Tous ceux qui l’ont rencontré ont toujours eu le sentiment d’un homme au fait des réalités les plus douloureuses du Cameroun, il endort son entourage en lui donnant l’impression qu’il sommeille lui-même. A l’heure ultime, quand on le donnera mourant, c’est un pari, il continuera à faire tomber des têtes.
Que ce soit dans le choix de son épouse en secondes noces, dans la théâtralisation de ses apparitions publiques, dans l’entretien de sa jouvence infinie, Paul Biya mène une vie de rêve, traversée ça et là par des tourments sécuritaires. Il n’est pas déconnecté de la souffrance alentour, il n’y arrive pas, un point c’est tout.

S’il pouvait transformer le Cameroun, il le ferait. Au moins pour qu’on lui foute un peu la paix, à lui et à son pouvoir. Ceux qu’il nomme savent, l’administration se renouvelle chaque année, et de jeunes cadres sont disséminés partout dans la haute administration, pourtant tous avancent au pas, tous se dévouent spontanément, tous organisent sa survie éternelle, tous savent que pour faire réussir le projet d’un Cameroun nouveau, après avoir tué le président de la république, il faudra aussi tuer tous les Camerounais.

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